NDLR: L’Acadie Nouvelle vous présente aujourd’hui un dossier sur la fibre acadienne des Îles-de-la-Madeleine. Au fil de rencontres avec plusieurs personnages insulaires, notre journaliste Pascal Raiche-Nogue brosse un portrait de cet archipel québécois qui n’a pas oublié les liens forts qu’il entretient depuis toujours avec l’Acadie des Maritimes.

Ils ont beau être Québécois, les gens des Îles-de-la-Madeleine n’ont pas moins de fortes racines acadiennes. Comme le raconte l’ex-politicien et auteur madelinot Maxime Arseneau, les liens entre l’Acadie des Maritimes et cet archipel ne datent pas d’hier.

C’est tout un périple que d’aller aux Îles. Il faut d’abord se rendre à Souris, dans l’est de l’Île-du-Prince-Édouard pour prendre le traversier. Après cinq heures en mer, on débarque à Cap-aux-Meules.

Ce qui frappe en sortant du bateau, ce sont les couleurs. Les couleurs des petites maisons de bois construites dans les collines. De l’eau. Du ciel. C’est à en couper le souffle.

Et puis, on remarque d’autres couleurs plus familières. Sur des plaques d’immatriculation décoratives. Sur des drapeaux. Et même sur le traversier.

Ces couleurs, ce sont le bleu, le blanc et le rouge, avec un peu de jaune. Aux Îles, pas besoin d’aller bien loin pour tomber sur un drapeau acadien.

Évidemment, l’histoire lointaine y est pour quelque chose. Les Îles-de-la-Madeleine ont d’abord été peuplées peu après la déportation de 1755 par des Acadiens de l’Île-du-Prince-Édouard venus chasser le phoque pour un Anglais.

En 1774, les Îles sont refilées au Québec. Mais, comme le rappelle Maxime Arseneau, qui a été député provincial des Îles de 1998 à 2008 et écrit deux romans historiques liés au Grand dérangement, cela n’a pas empêché l’archipel de garder des liens forts avec l’Acadie des Maritimes.

«Dans les faits, dans la réalité quotidienne des gens des Îles, c’est qu’il y a toujours eu énormément de liens entre l’Île-du-Prince-Édouard et les Îles-de-la-Madeleine et avec l’Acadie de façon générale.»

Les Îles entretiennent en effet des liens directs avec les Maritimes depuis longtemps. Par exemple, elles ont fait partie du diocèse de Charlottetown de 1829 à 1946. Elles ont ensuite été annexées au diocèse québécois de Gaspé.

De plus, jusqu’à la Révolution tranquille des années 1960, les communautés religieuses des Maritimes ont joué un rôle de premier plan dans l’éducation et dans la santé aux Îles, selon M. Arseneau.

«Elles prenaient en charge les services aux citoyens. L’État avait moins d’importance. À ce moment-là, tous les liens économiques, tous les liens culturels se faisaient vers l’Acadie et les Maritimes, non pas vers le Québec.»

Les choses ont beaucoup changé depuis quelques décennies. Le gouvernement québécois s’occupe désormais de l’éducation et des soins de santé.

Mais les liens entre l’archipel et l’Acadie demeurent. Plusieurs artistes acadiens des maritimes se rendent régulièrement aux Îles pour s’y produire en spectacle, tandis que bien des Madelinots font le trajet inverse.

Plusieurs Madelinots, comme Maxime Arseneau, affectionnent le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard. «À Souris, on est chez nous. Moi, à Moncton, je suis chez nous», dit-il.

Des liens institutionnels existent aussi. D’ailleurs, la Société nationale de l’Acadie a récemment tenu son assemblée générale annuelle aux Îles-de-la-Madeleine afin de les souligner. C’était la première fois qu’elle organisait son rassemblement annuel à l’extérieur des provinces de l’Atlantique.

L’Acadie à travers les yeux de Georges Langford

 

Georges Langford - Acadie Nouvelle: Pascal Raiche-Nogue
Georges Langford – Acadie Nouvelle: Pascal Raiche-Nogue

Les artistes madelinots jouent un grand rôle dans l’évolution et la survie de la fibre acadienne. L’un d’eux, Georges Langford, nous explique sa vision de l’Acadie et de la place qu’y occupent les Îles.

Aux Îles, on dit que chaque famille compte au moins un musicien. Des violonistes, il y en a très peu, mais des violoneux courent les rues. Pour chaque chansonnier qui a fait carrière sur le continent, des dizaines font leur petit bout de chemin aux Îles.

Lorsque l’on parle de culture acadienne aux Îles, on ne peut passer à côté de Georges Langford, un monument madelinot. On lui doit de nombreuses chansons qui traitent des Îles et de la mer, des sujets qui lui sont chers.

Vous l’ignorez peut-être, mais vous connaissez au moins l’une de ses chansons; Le frigidaire. C’est en effet lui qui a écrit la version originale de cette pièce popularisée par Tex Lecor dans les années 1970.

L’Acadie fait partie de la vie de Georges Langford depuis longtemps. Ce sexagénaire se souvient bien de son enfance et des liens forts qu’entretenaient les Îles et le Nouveau-Brunswick.

«On était partie prenante (de l’Acadie), on allait acheter le quotidien l’Évangéline à tous les jours au magasin général, on avait les nouvelles de l’Acadie. On n’y était jamais allés, mais on était enfants et on savait déjà à peu près où c’était», dit-il.

La question à savoir si les Îles faisaient partie de l’Acadie, il ne se l’est jamais posée, dit-il. «Pour moi, les Îles en faisaient partie, c’était automatique parce qu’on avait les mêmes noms de famille, on parlait la même langue, on avait la même religion, même si on ne la pratiquait pas toujours. Elle était là quand même», dit-il en riant.

Les études ont amené Georges Langford au Collège de Bathurst. C’est là qu’il a fait ses premiers pas comme artiste. Après avoir passé quelques années à rouler sa bosse au Québec et à faire carrière, il a décidé de revenir aux Îles dans les années 1980. Il y demeure depuis.

Une identité complexe…pour les visiteurs

La fibre acadienne indéniable n’empêche pas les Îles-de-la-Madeleine d’avoir une culture bien à elle, des accents qui lui sont propres. On l’entend bien en s’arrêtant ça et là. À Havre-Aubert, un bastion culturel acadien, les gens prononcent leur «r» sans détour.

Plus au nord, à Havre-aux-Maisons, d’où est originaire Georges Langford, c’est le contraire; les gens ne prononcent pas, ou peu, les «r» et les remplacent à l’oral par des «y». Leur parler est chantant et, il faut le dire, un peu difficile à comprendre lorsque l’on n’y est pas habitué.

Bon nombre de Madelinots n’hésitent pas à se dire Madelinots, Acadiens, Québécois et Canadiens. Dans l’ordre, ou à peu près. De quoi donner le tournis aux visiteurs.

«Non, pour nous autres ce n’est pas difficile à vivre. On s’y est fait. C’est peut-être difficile à comprendre pour d’autres, qui disent “mon Dieu, qu’est-ce qui se passe? Vous êtes entouré d’anglais, vous parlez français, vous êtes Acadiens, vous êtes Canadiens, vous êtes séparatistes en plus. Qu’est-ce qui se passe?”»

Les Îles ont en effet un passé séparatiste. Le Parti libéral et le Parti québécois s’échangent le pouvoir depuis les années 1960 dans la circonscription des Îles-de-la-Madeleine. En 1995, une majorité de Madelinots ont voté «oui» lors du référendum sur la souveraineté du Québec.

«On est un peu et même très indépendantistes. Et la quête d’indépendance, à mon avis, c’est l’un des traits fondamentaux du caractère acadien. Si on remonte à l’histoire des Acadiens au tout début, s’ils ont eu des problèmes, c’est parce qu’ils étaient indépendants, dans le fonds. En tout cas, ils aimaient être indépendants», dit Georges Langford.

Selon lui, la fibre acadienne des Îles est là pour rester, sans pour autant trahir sa spécificité.

«Les Madelinots ne peuvent pas être acadiens comme un Acadien de Moncton ou un Acadien de Caraquet ou de Shippagan. Il faut être Acadien comme on est. Et il y a de la place pour ça, je pense. Il y a de la place pour la sorte d’Acadiens qu’on est. On n’a pas besoin de devenir comme les autres, pareils comme les autres n’ont pas besoin de devenir comme nous autres.»

Au final, l’Acadie est un concept malléable, rappelle Georges Langford. C’est bien connu, les gens ne voient pas nécessairement l’Acadie de la même manière au Nouveau-Brunswick, à l’Île-du-Prince-Édouard, en Louisiane et au Québec.

«Je pense que l’Acadie, c’est justement ça. C’est très virtuel l’Acadie. Et c’est peut-être sa chance actuellement. Y a-t-il quelque chose aujourd’hui de plus actuel que du virtuel?»

L’Acadie, un thème intergénérationnel

De nombreux jeunes artistes jouent eux aussi le rôle de gardiens de la culture acadienne aux Îles. C’est le cas du conteur Michel Boudreau et du chanteur Serge Bourgeois.

Michel Boudreau est un trentenaire originaire de Havre-aux-Maisons aujourd’hui établi à Cap-aux-Meules. Au lieu de manier la guitare et le violon, comme tant d’autres, il joue avec les mots pour raconter des histoires.

«L’Acadie, c’est la base de la vie ici, je pense. Je ne sais pas le pourcentage ici, mais ça paraît, c’est des gens très fort. C’est des gens qui, malgré toutes les embûches qui se présentent, se tiennent debout.»

Cette Acadie reste parfois floue, difficile à définir. C’est entre autres ce qui fait son attrait, explique-t-il.

«Mais juste le fait que ce soit si vague comme territoire et qu’on en parle encore aujourd’hui, qu’on s’associe comme Acadiens, il y a  quelque chose de fort, qui pogne notre coeur et qui le fait battre.»

L’un de ses contes parle justement de déracinement, de culture acadienne. C’est un thème important pour Michel Boudreau. Il raconte que c’est sa mère qui lui a donné le goût de connaître ses origines à grands coups d’histoires racontées à l’heure du coucher.

«Ça m’a façonné. J’ai longtemps été curieux, à aller voir dans les livres à regarder ce qui se passe, c’est quoi l’Acadie. À l’aube de la trentaine, je me suis dit ‘j’écoute des histoires, j’ai lu beaucoup de choses je pense que c’est le temps aussi que je participe et qu’à mon tour, je transmette ça.»

Aujourd’hui, c’est à son tour de passer le flambeau à la prochaine génération, de parler de ses racines acadiennes.

«Ça a commencé par la scène. Là, j’ai une petite fille à la maison. C’est sur que je vais l’endormir avec des histoires dans les livres aussi, mais des histoires que ma mère me racontait quand j’étais enfant.»

L’Acadie vit aussi dans l’oeuvre du chanteur country Serge Bourgeois. «L’Acadie prend beaucoup de place. C’est une influence. Je m’inspire beaucoup des histoires des Îles, qui ressemblent beaucoup à ce qu’il y a au Nouveau-Brunswick. Le tourisme, la pêche. J’aime aussi raconter des histoires vécues», explique-t-il.

La fibre acadienne pourrait difficilement ne pas se trouver dans les chansons de cet artiste trentenaire, puisqu’il demeure sur l’île de Havre-Aubert. Dès qu’on arrive dans le coin, on voit des drapeaux acadiens installés sur les poteaux situés sur le bord du chemin. C’est aussi là qu’a lieu le Festival acadien des Îles.

«Ici, on est Madelinots, Acadiens, Québécois. Il y en a beaucoup (d’Acadiens). C’est sûr que le Festival acadien ici, pour moi, c’est le plus gros festival. Quand ça commence ici, tu vois les drapeaux un peu partout. Les gens mettent des drapeaux, ils sont fiers d’être Acadiens.»

Passeurs de culture acadienne

Steeve Arseneault - Gracieuseté
Steeve Arseneault – Gracieuseté

Les Îles-de-la-Madeleine, ce n’est vraiment pas à la porte, ce qui complique parfois les échanges culturels entre l’archipel et l’Acadie des Maritimes. Des Madelinots passionnés de musique triment dur pour changer la donne.

La nuit est tombée sur Cap-aux-Meules, un jeudi soir de la fin juin. La saison touristique n’est encore commencée et le bar Le Dragueur est plutôt calme.

Derrière le comptoir, un homme est assis sur un banc, une guitare dans les mains. Il chante. Une vingtaine de personnes sont autour de lui et entonnent les airs en coeur. On entend des mélodies acadiennes du Nouveau-Brunswick et des chants madelinots.

Le gars en arrière du bar, c’est Steeve Arseneault. Originaire des Îles et demeurant aujourd’hui à Drummondville, au Québec, il est de retour chez lui pour l’été pour gérer la programmation musicale du Dragueur.

C’est aussi l’animateur de l’émission de radio La TransAcadienne, un projet qu’il a lancé en 2008 afin de promouvoir les artistes acadiens.

Après avoir passé la guitare à quelqu’un d’autre, il vient de l’autre côté du bar pour piquer un brin de jasette.

Il raconte que c’est après le décès de son père en 2004 qu’il a décidé de quitter les Îles afin de tenter sa chance sur le continent.

«Je me suis dit “la vie est courte”. Ça fait que je me suis décidé de faire un premier album. Je suis allé à l’extérieur. Je roulais beaucoup, mais j’ai vu qu’il y avait beaucoup d’artistes du Nouveau-Brunswick ou des Îles qui essayaient de percer (au Québec) et ça ne marchait pas.»

Il a donc eu l’idée de lancer une émission de radio sur le web afin de faire tourner des d’artistes acadiens.

Son idée a fait mouche. L’émission a rapidement été adoptée par plusieurs stations de radio d’ici et d’ailleurs. Aujourd’hui, elle est diffusée par une trentaine de stations d’aussi loin que la France.

«Au début, j’avais peur qu’ils ne comprennent pas mon accent. Mais ils adorent ça, ils adorent la musique acadienne et j’ai de bons commentaires de ce côté-là. J’ai des gens qui m’écrivent.»

Son émission aide les Acadiens dispersés partout au pays de ne pas perdre leur culture de vue, croit-il.

«Vu qu’on a eu une déportation des Acadiens, ça leur permet de se regrouper ensemble avec l’émission. On a des gens, mettons de Fort McMurray, dans l’ouest du Canada, qui vont m’appeler pour faire une demande spéciale pour un gars au Nouveau-Brunswick.»

Cet amour pour la culture acadienne, Steeve Arseneault ne l’a pas toujours eu. «Quand j’étais jeune, je ne savais pas que j’étais Acadien. Je n’avais aucune idée.»

C’est lorsque des artistes néo-brunswickois tels que Paul Dwayne sont venus aux Îles pour se produire en spectacle qu’il a pris connaissance de ses propres racines acadiennes.

«On se reconnaissait dans ce qu’ils chantaient. On est allé les chercher. On a découvert qu’on était Acadiens nous aussi»

Aujourd’hui, Steeve Arseneault a plusieurs cordes à son arc. En plus de mener sa propre carrière de chanteur country, d’animer La TransAcadienne et de gérer la programmation du Dragueur, il organise des tournées pour d’autres artistes.

C’est d’ailleurs ce qu’il est parti faire le lendemain de l’interview; il a pris la route avec le chanteur néo-brunswickois Hert LeBlanc pour une série de spectacles dans l’est du pays.

100 % Madelinot

Stéphane Lapierre, un ami de Steeve Arseneault, est dans le même bateau. Propriétaire d’une entreprise de production de spectacles et de musique, il a récemment lancé Madelinot Radio Web, qui ne fait tourner que de la musique des Îles-de-la-Maleine.

Un soir de semaine, nous le retrouvons dans la régie de la salle spectacles Les pas perdus, où il est l’un des responsables de la programmation. Accompagné de sa collègue Suzie Leblanc, il se prépare à enregistrer une édition de Sur la route des Îles, une émission hebdomadaire.

«Je fais de la production de musique, de CD, de spectacles. J’ai souvent une demande pour faire jouer, pour retrouver des artistes des Îles. Les gens à l’extérieur avaient un peu de misère à retrouver des artistes des Îles. Je me suis dit pourquoi ne pas partir une radio web seulement des chansons des Îles», raconte-t-il.

Et quelle place la musique acadienne occupe-t-elle dans ce projet? Sitôt posée, sitôt regrettée. Franchement, la question est un peu bête.

«Dans le fonds, c’est 100% acadien, parce qu’on ne fait passer que de la musique madelinienne. Et la plupart des artistes madelinots sont des Acadiens», répond Stéphane Lapierre, un sourire à la bouche.

Selon Suzie Leblanc, trop peu de musique locale est diffusée à la radio. Une pénurie qui a tendance à confondre les touristes, qui s’attendent à baigner dans la culture madelinienne.

«Nous, avec la radio web on peut permettre aux touristes qui arrivent de l’extérieur de découvrir la culture madelinienne 100%. En écoutant notre radio, ils vont entendre nos expressions, nos accents et notre musique.»

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