Le vocabulaire militaire sert depuis longtemps à décrire l’expérience de vivre en français, un combat au Québec autant qu’en milieu minoritaire. Un autre discours veut que l’anglais soit une maladie qui s’attrape, affaiblissant la santé identitaire. Anémie, ankylose, asphyxie. Ainsi le constate Mathieu Wade: «La francophonie se définit d’abord comme une pathologie».

Le doctorant en sociologie de l’Université de Moncton a partagé cette prise de conscience lors d’un colloque en mai à Montréal portant sur «la question du pouvoir dans la francophonie canadienne». Ses propos s’inscrivent dans une vague acadienne qui remet en question les valeurs du milieu associatif, comme l’a fait Céleste Godin, de Halifax.

«Notre francophonie est pleine d’illusions et de tromperies. Nous sommes pris quelque part entre le message officiel – que nos communautés sont vibrantes et que nous vivons en français – et nos réalités pleines de culpabilité, de honte et de comportements contre-intuitifs.»

«Quand elle s’analyse elle-même, explique Mathieu Wade, l’Acadie utilise un langage pathologique plutôt que politique. Elle cherche à régler un problème de vitalité en reprenant une métaphore biologique. On va parler de sécurité linguistique et de construction identitaire comme si notre identité n’était pas construite ou assez forte.»

Chez l’élite canadienne-française, poursuit-il, la problématique s’accentue en réaction à l’identification bilingue des jeunes. «Pour nous, c’est tout à fait normal alors que pour certains milieux, c’est pensé comme un problème ou une contamination.

«Ça m’a beaucoup étonné comment c’est flagrant en Acadie: partout, même dans les municipalités, on a des comités de construction identitaire. Ça suppose qu’on souffre d’un manque d’adhésion à la langue et qu’il faudrait y adhérer de nouveau. Mais cette identité n’est jamais construite politiquement.»

Mathieu Wade déplore que la démarche tourne autour d’investissements dans la langue et non dans l’identité, comme si le fait de parler français était l’unique finalité. Il rappelle qu’il y a quelques années, un chantier a réuni le milieu associatif du Nouveau-Brunswick pour contrer l’érosion de la langue à l’école.

«Mais quelle identité devrait-on se donner, quel rapport à l’histoire veut-on enseigner? On ne rattache pas la langue à une culture ou à une littérature, estime le doctorant, on n’a pas une réflexion sur notre passé ou sur notre avenir. Ce qu’on propose, c’est une adhésion à la langue, peu importe ce qu’elle véhicule.»

«Arrêtons de mesurer l’engagement des jeunes à la défense de la langue. Ils se mobilisent pour d’autres enjeux, écologiques, sociaux ou sexuels, mais ça n’exclut pas la francophonie. La langue est secondaire à d’autres préoccupations.»

«Il y a plein d’organismes bilingues sur ces questions, souligne le doctorant, mais ils ne font pas partie de la francophonie. Il y a de quoi rebuter les jeunes. Il faudrait s’ouvrir à des forums hybrides de participation.» Il rejoint ainsi les propos de Daniel Boutin, de Dartmouth, étudiant en science politique à Ottawa.

«Dans l’ère post-associative et post-revendicatrice que nous vivons, on cherche à penser la francophonie de manière différente, moins comme un combat et davantage comme une manière de vivre. Ce qui gagne du succès chez les jeunes n’est pas la promotion d’un militantisme, mais plutôt des points de repère évoquant leurs expériences quotidiennes.»

«On est dans une ère post-associative, assure Mathieu Wade. Les associations sont devenues une forme corporative qui défend des intérêts, mais qui ont coupé pour l’essentiel les liens avec la population. Les gens qui se présentent aux assemblées des organismes porte-parole sont une infime minorité. Les enjeux de gouvernance n’intéressent pas.

«Il faut repenser le milieu associatif, conclut-il. Il faudrait avoir des organismes concurrents dans chaque province. On politiserait les enjeux et on forcerait les organismes à légitimer leur rôle. Le changement passe nécessairement par des jeunes.»
1 Godin, Céleste, «Illusions, tromperies et recensement», #ONFR, 22 mai 2016 (www5.tfo.org/onfr/illusions-tromperies-et-recensement-2) 2 Boutin, Daniel, «Désengagement jeunesse, médias francophones et pensées sur l’assimilation», revue Astheure.com, 12 février 2016.

logo-an

private

Vous utilisez un navigateur configuré en mode privé ou en mode incognito.

Pour continuer à lire des articles dans ce mode, connectez-vous à votre compte Acadie Nouvelle.

Vous n’êtes pas membre de l’Acadie Nouvelle?
Devenez membre maintenant

Retour à la page d’accueil de l’Acadie Nouvelle