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Il y a 10 ans, la ville de Bathurst s’est arrêtée
NDLR: L’Acadie Nouvelle vous présente aujourd’hui la suite de sa série de texte marquant le 10e anniversaire de la tragédie des Boys in Red, lancée dans notre édition de jeudi avec un regard sur les conséquences majeures de l’accident sur le transport des équipes interscolaires.
Ils s’appelaient Javier Acevedo, Codey Branch, Nathan Cleland, Justin Cormier, Daniel Hains, Nicholas Kelly et Nickolas Quinn. Ils ont été fauchés en pleine jeunesse lors d’un tragique accident routier, près de Bathurst, qui a aussi coûté la vie à une enseignante, Elizabeth Lord, peu après minuit, le 12 janvier 2008. Cette tragédie a marqué la région Chaleur au fer rouge.
Ils étaient âgés de 15 à 17 ans. Ils étaient membres de l’équipe de basketball de l’école Bathurst High (BHS) et revenaient dans la région après avoir disputé une partie à Moncton. On les surnommait les Boys in Red, la couleur emblématique de leur établissement et de leurs uniformes sportifs.
C’est à minuit huit que le véhicule a frappé l’accotement sur la route 8, alors enneigée, à environ cinq minutes de leur destination, où les parents attendaient pour ramasser leurs enfants. La fourgonnette a dérapé et a été éventrée par un camion qui arrivait en sens inverse, semant la mort.
Le conducteur, Wayne Lord, et trois passagers – sa fille et deux joueurs – ont survécu.
Jocelyn «Josh» Ouellette, agent de liaison communautaire au sein de la force policière de Bathurst, se souvient de cette nuit d’horreur comme si c’était hier.
Même si la collision est survenue sur le territoire de la GRC, les membres du corps policier municipal ont été appelés en renfort.
«J’étais en congé cette soirée-là. J’ai reçu un coup de téléphone du sergent me demandant pour de l’assistance avec les blessés et la circulation. Je suis ensuite allé à l’hôpital rencontrer les parents. Je connaissais tout le monde comme j’avais un bureau à BHS en tant qu’agent de liaison. Nous avons passé la soirée à essayer de calmer les parents qui étaient évidemment sous le choc», raconte le policier à la retraite, qui verse des larmes en repensant à ce jour.
Le maire de Bathurst de l’époque, Stephen Brunet, a été prévenu par son adjoint dans la nuit. Ils se sont rendus à BHS, un environnement que M. Brunet connaît bien puisqu’il y a enseigné. Les portes avaient été ouvertes pour accueillir les élèves qui ont, dans un premier temps accouru à l’hôpital. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre.
«C’était une scène très sombre. Il y avait beaucoup de pleurs. Nous avons eu plus de détails sur ce qui s’était passé. Nous sommes donc allés à l’hôpital pour parler aux parents et leur offrir notre soutien», se remémore l’ancien maire.
Quatre jours plus tard, plus de 6000 personnes ont assisté aux obsèques des sept joueurs décédés au Centre régional K.C. Irving, dont le premier ministre Shawn Graham. La veille, les victimes étaient exposées en chapelle ardente, au même endroit.
«Des policiers de Saint-Jean sont venus – d’eux-mêmes – patrouiller la ville de Bathurst durant les funérailles pour que nous puissions y assister. C’était un beau soutien», se rappelle Josh Ouellette.
Pendant plusieurs semaines, la communauté a porté le deuil avec les parents des victimes.
«C’était dramatique, non seulement pour les familles, mais aussi pour toute la communauté. Elle s’est regroupée autour des parents. Ce fut un temps difficile, mais nous sommes passés au travers, même si nous n’oublierons jamais», affirme Stephen Brunet, qui se rend chaque 12 janvier au cimetière où sont enterrés côte à côte les sept jeunes sportifs, pour déposer des fleurs sur leurs tombes et prononcer silencieusement une prière.
«Et ce n’est pas seulement la région qui a été affectée. Nous avons reçu tellement de courriels de partout au Canada et dans le monde. Tant de personnes pouvaient s’apparenter à la tragédie parce qu’ils ont des enfants dans des activités sportives. Leurs cœurs étaient avec nous», ajoute-t-il.
Peu après le drame, un hommage avec un panier de basket-ball a été improvisé en bordure de la route 8, à l’endroit où l’accident s’est produit. Il s’y trouve encore et des proches des victimes viennent y pleurer chaque 12 janvier. Un parc a été conçu en mémoire des Boys in Red dans le centre-ville de Bathurst. Une journée officielle de deuil municipale leur est maintenant consacrée.
Un deuil profond pour les proches des victimes
Les proches des victimes ont évacué leur douleur différemment. Certains se sont jetés à corps perdu dans un combat pour améliorer la sécurité des élèves lors des déplacements parascolaires. Toutefois, la plupart des familles sont restées dans l’ombre.
Isabelle Hains, la mère de Daniel Hains, est en colère depuis dix ans. Elle a fait plusieurs fois les manchettes dans les années qui ont suivi l’accident, essayant de comprendre pourquoi celui-ci était survenu et qu’est-ce qui aurait pu être fait différemment pour l’éviter.
Elle a remporté des victoires, dont le bannissement des fourgonnettes de 15 passagers, comme celle impliquée dans la collision, et pas seulement au Nouveau-Brunswick.
Mme Hains a également fait pression pour une enquête du coroner sur les circonstances du drame. Vingt-quatre recommandations ont découlé de cet examen.
«Je suis fâchée que mon fils ne soit plus là. Personne n’a suivi les directives déjà en place pour le transport des élèves en cas de mauvais temps. Si elles avaient été suivies, il serait toujours vivant. Cet accident aurait pu être empêché. Cette nuit-là, c’est comme si c’était légal de tuer mon fils en le mettant dans une situation dangereuse. La fourgonnette était en très mauvais état. Tout le système a failli pour protéger nos enfants», déplore Isabelle Hains.
Daniel allait avoir 18 ans le 15 janvier et il prévoyait fêter son anniversaire le jour de sa mort. Sa mère se remet encore très difficilement de sa mort. La fin de semaine de l’accident, il avait été demandé aux citoyens de la région Chaleur d’éclairer leur porche, en signe de solidarité aux familles endeuillées. Mme Hains a elle-même suivi cette consigne et n’a jamais éteint sa lumière ni la chandelle électrique qui illumine la fenêtre de son entrée depuis dix ans.
«La vie n’est plus pareille pour moi. C’est comme si c’était arrivé hier et c’est encore très douloureux. Je manque tout de lui. Sa présence. Ses câlins. Quand je vois un jeune homme qui joue de la guitare, il me rappelle mon fils. Il aimait la musique. Je me demande ce qu’il ferait aujourd’hui», soupire Mme Hains, en larmes.
«C’était un bon garçon. La semaine précédent l’accident, ils sont allés jouer à Miramichi. Codey (Branch) avait oublié ses baskets. Daniel lui a prêté les siens en lui disant qu’il était un meilleur joueur que lui. Codey a joué et Daniel a regardé le match assis», raconte-t-elle.
Ironie du sort, Codey Branch a intégré l’école Bathurst High en septembre 2007, après avoir suivi toute sa scolarité dans les écoles francophones, pour justement faire partie de l’équipe de basketball de cet établissement. Son rêve n’aura duré que quelques mois.
Sa mère, Ginette Emond est, elle aussi, passée par toutes les gammes d’émotions lors du décès de son aîné, mais elle a voulu se ressaisir rapidement.
«Après la mort de Codey, j’ai vite décidé que mes enfants (les deux autres) avaient besoin d’une mère en santé physiquement et émotionnellement. Ils avaient droit à une enfance la plus normale possible. Cette manière de pensée a beaucoup aidé, mais même après 10 ans, je pense continuellement à Codey. Je parle de lui tout le temps.»
Elle n’a pas de rancune, estimant que la tragédie était fortuite. Mme Emond a plutôt une pensée pour les premiers répondants qui sont intervenus sur cette scène funeste et à l’égard du personnel de l’hôpital.
Comme chaque année, Isabelle Hains se rendra sur les lieux de l’accident dans la nuit du 11 au 12 janvier pour allumer plusieurs dizaines de bougies en mémoire de son garçon et de ses coéquipiers.
Alors que Mme Emond prenait, dans les premiers temps, congé au travail cette date-là pour se remémorer, elle a changé cette habitude.
«J’ai arrêté cela au bout de quelque temps. Je célèbre maintenant les années que j’ai eues avec Codey au lieu de mettre mon attention sur la journée de son décès», dit-elle.
Reconnaissante pour la journée de deuil que la Ville de Bathurst a décrétée, elle aurait cependant aimé qu’elle englobe tous les jeunes de la région qui sont partis trop tôt et non seulement les Boys in Red.
«Nous faisons tout pour garder son souvenir vivant»
Nicholas Kelly, surnommé Nikki, est le plus jeune Boys in Red à avoir perdu la vie, il y a dix ans. Il n’avait que 15 ans. Son souvenir brille aussi loin que sur le continent africain, où de nombreux jeunes orphelins et en particulier un, profitent des actions posées par ses parents, dans le silence.
Marcella Kelly et Bruno Blanchard, de North Tetagouche, près de Bathurst, n’ont pas voulu que Nikki, le cadet de leurs trois garçons, soit mort en vain.
Ils se sont souvenus de la petite histoire qu’il avait écrite sur ce qu’il ferait s’il gagnait une grosse somme d’argent.
Il avait noté qu’il gâterait ses parents, qu’il donnerait de l’argent à la Fondation Rêves d’enfant et aiderait les plus démunis à participer à des activités sportives.
Après sa perte, ses parents faisaient des dons à des organismes de charité et des organisations œuvrant pour la jeunesse à sa date anniversaire de naissance et à Noël.
M. Blanchard travaillait à l’époque sur un site minier en Tanzanie, en Afrique. Malgré leurs ressources limitées, les employés qu’il supervisait, des natifs du pays, se sont cotisés à la suite du drame. Ils ont amassé 175$ US, ce qui représente une coquette somme pour eux.
Le père de Nikki a bien tenté de refuser, mais ils considéraient presque comme une offense que celui-ci n’accepte pas leur offre.
Bruno Blanchard a alors décidé d’équiper une école, qui regroupe beaucoup d’orphelins dans la ville minière, d’un panier de basketball et de ballons.
La direction minière a embarqué dans l’élan de solidarité en acceptant de financer la construction du terrain de basketball sur une propriété de trois hectares à côté de l’établissement, une gracieuseté du gouvernement tanzanien. Le rêve, qui a pris de l’ampleur, s’est concrétisé en 2010.
Une photo de Nikki figure sur le panier, avec également les numéros de chandails de ses coéquipiers qui ont perdu la vie dans l’accident routier.
«Ces enfants n’avaient jamais joué au basketball. Nous avons également bâti un terrain de soccer parce que mon fils était aussi un grand joueur de soccer, explique Marcella Kelly. Nous n’avons plus Nikki à nos côtés, mais nous faisons tout pour garder son souvenir vivant.»
«Nous avons choisi de faire du bien autour de nous. Nous ne voulions pas que notre fils soit mort pour rien, alors nous posons des gestes pour honorer sa mémoire. Il avait un grand cœur et aidait les gens quand il pouvait. Nous voulons continuer son héritage», assure sa mère.
Les Kelly-Blanchard ont pris sur leurs ailes, Dav, un orphelin qui prêtait main-forte pendant la construction.
«C’est un bon garçon qui tentait de s’éduquer. Avec mon mari, nous avons décidé qu’à la place de faire des donations à des organismes, que nous allions aider Dav à finir sa scolarité. Nous l’avons transféré à une école privée dans une plus grande ville à proximité. Nous avons payé pour son éducation et il vient de recevoir un diplôme universitaire en gestion des ressources humaines (en novembre dernier)», se félicite Mme Kelly.
Ils ont gagné un fils en la personne de Dav, qui les appelle d’ailleurs maman et papa. Celui-ci parle souvent de Nikki, son frère.
«Il connaît notre histoire et sait pourquoi nous faisons tout ceci pour lui. Il nous rappelle notre fils parce que c’est un bon garçon, comme lui. Nous avons pu l’aider en mémoire de notre enfant et espérons, avoir changé sa vie. Il ne remplacera jamais Nikki, mais il fait partie de notre famille», dit fièrement Mme Kelly.
C’est sous le panier de basket-ball, en Afrique, que le couple s’est marié en septembre 2016, après 26 ans de vie commune.
L’esprit de Nikki Kelly se fait sentir de bien d’autres façons. Dans le jardin familial que ses parents ont créé l’été de son décès. À l’International Children’s Memorial Place, à l’Île-du-Prince-Édouard, où une plante fleurit en son honneur. Son père a même inséré un message pour lui dans le Wall of Love, en Corée du Sud. Sa chambre est demeurée intacte et c’est souvent là que ses parents vont y puiser du réconfort.