Les agents du ministère des Ressources naturelles du N.-B. se sont rendus à Saint-Quentin pour retirer les colliers émetteurs des chevreuils. - Gracieuseté
Colliers émetteurs: de précieux outils pour la communauté scientifique
Près d’une cinquantaine de professionnels issus de différents milieux en gestion de la faune et en biologie ont cosigné une lettre dans laquelle ils se font rassurant quant aux colliers émetteurs GPS utilisés pour suivre certains mammifères.
Les photos prises récemment à Saint-Quentin d’un cerf de Virginie avec le cou dénudé et ce qui semble être des plaies au dos – résultat d’un frottement répété dû au port d’un collier émetteur – ont fait énormément jaser au sein de la population en général, mais également dans la communauté scientifique. Car s’ils sont depuis décriés par de nombreux citoyens, ces appareils et leurs données sont jugés capitaux par les scientifiques.
À cet effet, un groupe composé de biologistes, de chercheurs, de techniciens de la faune, de professeurs et de nombreux étudiants universitaires ont produit un document destiné à rassurer la population. Parmi le signataire, Florent Déry, biologiste, technicien de la faune et étudiant à la maîtrise à l’Université Laval, à Québec.
Celui-ci explique qu’après la parution des reportages sur les chevreuils de Saint-Quentin blessés par ce type de collier, la communauté scientifique et universitaire a tenu à prendre un instant pour informer les citoyens.
«On a vu de nombreux commentaires sur les médias sociaux au sujet des colliers. Plusieurs personnes posaient des questions, remettaient leur utilité en cause et ne voyaient pas l’intérêt d’avoir recours à cette technologie de nos jours. On avait donc le devoir de répondre à ces questions, car ces données sont extrêmement précieuses, alors que les cas rapportés à Saint-Quentin, eux, sont très rares», explique-t-il, précisant qu’il ne veut en rien minimiser le cas des cerfs de Virginie blessés en raison des colliers.
«Comme tout le monde, les images nous ont choqués», souligne-t-il.
À la suite de la publication des photos, celui-ci a contacté d’autres collègues qui utilisent cette technologie. Car outre le cerf de Virginie ou l’orignal, on l’utilise tout aussi bien sur les caribous, les ours, les coyotes et les moufettes… que sur des lions et les éléphants. Résultat: sur les centaines d’espèces de mammifères marqués, ce genre de blessures n’est que très rarement répertorié.
«On est tous motivés dans notre travail par l’amour de la nature et des animaux. C’est ce qui nous a poussés à étudier dans nos domaines respectifs. La dernière chose que l’on veut, c’est de voir souffrir un animal. On ne veut pas non plus que le comportement de l’animal soit altéré, sinon les données sont biaisées», indique M. Déry, notant que lui et ses confrères ne cautionneraient pas cette méthode si elle nuisait à l’animal.
Une nécessité
La pose de colliers émetteurs est assujettie à une réglementation très stricte. Une fois en place, ceux-ci permettent de suivre avec précision les déplacements des animaux.
«Ce sont des données vraiment riches qui nous donnent l’occasion de suivre la démographie des populations, d’étudier le risque de transmissions de maladies, de déterminer quels sont les habitats préférés et qui devraient être protégées. Ça peut aussi aider à la confection de projets routiers, à récolter des informations pertinentes pour des travaux forestiers ou encore à vérifier l’impact de la perturbation humaine. Bref, ça enrichit grandement les banques de données en y comblant plusieurs trous», soutient M. Déry.
La meilleure méthode
L’un des commentaires des internautes qui revenaient régulièrement à la suite de la publication des reportages sur les cerfs de Virginie de Saint-Quentin était qu’il devait exister des instruments de mesure plus petits et moins encombrants que les colliers actuels.
Selon M. Déry, les dispositifs plus petits – telles des micropuces placées sous la peau des individus (comme pour les poissons) – seraient moins performants et moins précis.
«Les colliers ont beaucoup évolué depuis les années 1990 et je suis certain qu’ils vont continuer de diminuer en poids et en taille», dit-il.
Les chevreuils n’étaient pas blessés
Comme promis, quelques jours après la parution des reportages sur les colliers émetteurs, les agents du ministère des Ressources naturelles du Nouveau-Brunswick se sont rendus à Saint-Quentin afin de les retirer aux individus concernés.
En tout, cinq colliers ont été ainsi enlevés, dont celui du cerf qui a fait les manchettes (photo).
Selon Luc Gagnon, biologiste au sein du ministère, aucun de ces chevreuils n’était en réalité blessé.
«Même celui que nous avons vu abondamment dans les médias», précise-t-il. La plaque sur le dos de l’animal ne serait pas due à de l’irritation. Il s’agirait plutôt d’une tache de naissance, une zone où la peau est plus foncée, qui fut dévoilée à la suite de la perte des poils de l’animal (en raison des frottements du collier).
«Ce n’était pas une plaque de sang ou de l’irritation. Si on l’avait simplement rasé à cet endroit, on aurait vu la plaque dans son cou. C’est une bonne nouvelle en soi, car on ne souhaite pas que les chevreuils souffrent et on voit ici que ce n’était finalement pas le cas», indique M. Gagnon.
Les colliers émetteurs: questions-réponses
Q. Qu’est-ce qu’un collier émetteur?
R. Il s’agit généralement d’une balise GPS intégrée à un collier que l’animal porte autour du cou. Cette balise GPS enregistre la position géographique de l’animal à intervalles réguliers dans le temps. Les localisations GPS ainsi récoltées sont soit enregistrées à même le collier ou transmises à des satellites dans les jours qui suivent. Les colliers ne permettent pas d’obtenir la localisation GPS en temps réel d’un animal, mais servent plutôt à accumuler des données sur les trajets empruntés ou les habitats visités par l’animal. À la fin du suivi ou de l’étude, les colliers peuvent être récupérés en recapturant l’animal, ou plus souvent en utilisant un dispositif de détachement automatique du collier à distance faisant tomber le collier au sol.
Q. À quoi servent les colliers émetteurs?
R. L’utilisation de colliers émetteurs permet, par exemple, d’enregistrer les déplacements des animaux (par exemple les migrations) ou détecter l’évitement ou non de zones modifiées par l’humain. Puisqu’ils nous fournissent des renseignements précis sur l’utilisation du territoire par les animaux, le jour comme la nuit, ces colliers permettent de cibler des mesures de protection et de gestion de la faune et de réduire les conflits entre les humains et la faune. Par exemple, plusieurs projets routiers utilisent les données récoltées via des colliers émetteurs pour construire des passages fauniques et identifier les zones à risque pour les collisions. Ces colliers peuvent également nous fournir des renseignements sur les chances de survie des individus et nous aider à mieux comprendre la croissance ou le déclin de certaines populations animales.
Comme les données fournies par les colliers émetteurs sont hautement précises, plusieurs biologistes du Québec, du Canada et d’ailleurs dans le monde les utilisent pour étudier de nombreuses espèces animales.
Q. L’utilisation de colliers émetteurs sur la faune sauvage est-elle réglementée?
R. Dans les cas où les colliers émetteurs sont utilisés dans le cadre d’un projet de recherche universitaire ou gouvernemental, l’utilisation est réglementée et doit être approuvée par un comité de bons soins aux animaux. Ce comité est indépendant et il inclut au moins un vétérinaire, des chercheurs et des citoyens.
Le comité peut approuver, modifier ou rejeter la demande selon des critères qui se basent sur les principes éthiques du Conseil Canadien de Protection des Animaux (CCPA) ainsi que sur les politiques institutionnelles. La pertinence scientifique de la recherche, la durée du suivi, ainsi que les méthodes de capture des animaux et d’installation des colliers font partie des critères évalués. La pose de colliers est ensuite réalisée par des techniciens de la faune et des biologistes qualifiés.
Q. Est-ce fréquent qu’un animal soit blessé par le port d’un collier émetteur?
R. Il est très rare qu’un animal soit blessé par le port d’un collier émetteur. Néanmoins, le frottement régulier du collier dans le cou de l’animal peut occasionner la perte de poils et, très rarement, mener à une irritation cutanée comme il semble être le cas du cerf de St-Quentin. Les biologistes sont conscients de ce risque de blessure et tentent de le minimiser le plus possible, par exemple, en ajustant correctement le collier lors de l’installation. Il faut aussi noter que très peu d’animaux sont munis de colliers émetteurs par rapport à la taille totale des populations. Généralement, une infime portion d’une population animale est munie de colliers et ceci est suffisant pour fournir les informations d’intérêt aux biologistes.
Q. Pourquoi utiliser des colliers émetteurs plutôt que d’autres technologies?
R. Il existe plusieurs technologies qui permettent d’acquérir des informations sur la faune (par exemple: micropuces électroniques, caméras-espions, etc.). Toutefois, ces technologies ne permettent pas d’acquérir le même type d’information que celles recueillies par les colliers émetteurs. Par exemple, les micropuces électroniques qui sont utilisées chez les animaux domestiques identifient l’animal lorsque la micropuce est lue par un appareil, mais n’enregistrent pas sa localisation. Les colliers émetteurs sont actuellement la seule technologie permettant aux biologistes d’avoir un suivi complet des déplacements des animaux sur de longues périodes et sur de grands territoires souvent inaccessibles. Par souci du bien-être animal, les colliers émetteurs ne cessent d’évoluer. Les avancées technologiques récentes ont d’ailleurs permis de réduire significativement la masse des colliers.
Q. Que faire si j’observe un animal en détresse, qu’il soit muni ou non d’un collier?
R. Si vous observez un animal en détresse (blessé, empêtré, etc.), qu’il soit muni d’un collier émetteur ou non, il faut contacter le Bureau de la Protection de la Faune de votre région administrative dans les plus brefs délais. Les agents de la protection de la faune pourront intervenir s’il y a lieu ou contacter les personnes ressources concernées.
En tant que biologistes et techniciens de la faune, le bien-être animal nous tient à cœur, tout comme pour la majorité des citoyens. Nous sommes conscients que les photographies du cerf de St-Quentin blessé par un collier émetteur ont soulevé plusieurs questions quant à la légitimité de cette méthode pour l’étude de la faune sauvage. Nous espérons que ce texte aura répondu à plusieurs de ces questions. Malgré les risques associés à l’utilisation de cette technologie, ceux-ci restent faibles et nous nous efforçons toujours de les minimiser. Nous sommes convaincus que l’utilisation de colliers émetteurs reste une approche essentielle pour répondre à d’innombrables questions de recherche et de conservation de la faune. Les individus munis de colliers fournissent des informations de grande valeur scientifique qui, en retour, nous permettent de mieux comprendre et de protéger la faune.
- Un document préparé par les chercheurs et universitaires signataires du document