Jean Johnson, président de la Fédération des communautés francophones et acadienne. - Archives
Faut-il donner du plus de mordant à la Loi canadienne sur les langues officielles?
Le moment est-il venu de donner du plus de mordant à la Loi canadienne sur les langues officielles? Plusieurs experts pensent que oui et proposent la création d’un tribunal administratif pour y arriver.
Le bilan que fait Jean Johnson de la Loi fédérale sur les langues officielles n’est pas réjouissant.
«L’histoire de la loi, c’est l’histoire d’un demi-siècle d’infractions et de mise en œuvre incomplète», racontait ce printemps le président de la Fédération canadienne des communautés francophones et acadienne (FCFA) aux membres du comité du Sénat canadien sur les langues officielles.
Le comité dont font partie trois sénateurs du Nouveau-Brunswick s’est donné pour mandat l’an dernier de consulter les Canadiens en prévision de la modernisation de Loi sur les langues officielles promise par les libéraux du premier ministre Justin Trudeau.
Création d’un tribunal des langues officielles
Les sénateurs sont encore loin d’avoir terminé leur travail, mais un consensus émerge déjà parmi les parties prenantes et les experts qui participent aux consultations: la loi a besoin de véritable mordant.
Pour ce faire, plusieurs d’entre eux proposent la création d’un tribunal administratif des langues officielles.
«Les raisons sont assez simples. Un tribunal serait plus facile d’accès aux Canadiens et aux Canadiennes que la Cour fédérale. Il y aurait plus de sanctions pour manquements directs à la loi», avançait la politologue Stéphanie Chouinard du Collège militaire royal du Canada lors de son passage devant le comité en avril.
«Une telle modification donnerait, à mon avis, un sens renouvelé à la Loi sur les langues officielles, tant pour les Canadiens et les Canadiennes que pour les institutions politiques qui doivent la respecter. Les uns pourraient enfin obtenir des ordonnances pour les manquements à la loi, et les autres auraient un incitatif tangible à s’engager à l’égard du respect des langues officielles, incitatif qui semble, de toute évidence, manquer dans le système actuel qui privilégie la carotte au bâton», disait-elle.
La FCFA recommandait déjà la création d’un tribunal administratif lors de la précédente révision de la loi, en 1988, et l’idée tient toujours, selon Jean Johnson.
«Nous demandons que la loi prévoie un cadre de surveillance de sa mise en œuvre bien plus robuste et efficace que celui qui existe.»
«Le Parlement n’aurait pas à réinventer la roue», note la Fédération dans son mémoire présenté au comité, puisque la Commission des droits de la personne possède déjà un tribunal administratif du même genre.
Une Division des langues officielles pourrait même être créée au sein du tribunal administratif des droits de la personne, propose-t-on.
«Les droits linguistiques sont, après tout, des droits de la personne.»
Une participation plus systématique
Si Ottawa décidait d’aller de l’avant avec la création d’un tribunal administratif, le mandat du commissaire aux langues officielles devrait aussi être modifié.
Le rôle principal du commissaire est d’enquêter sur les possibles infractions des institutions fédérales à la loi sur les langues officielles. Le commissaire n’a pas le pouvoir d’imposer des sanctions aux institutions fautives, mais il peut toutefois essayer de convaincre la Cour fédérale de sévir.
Au lieu de laisser à la discrétion du commissaire la possibilité de participer aux causes linguistiques devant les tribunaux, il est proposé que sa participation se fasse de manière plus systématique.
«Une refonte de la Loi sur les langues officielles pourrait ainsi donner un nouveau souffle au rôle du commissariat en tant qu’enquêteur et lui imposer une présence devant les tribunaux pour veiller à ce que les preuves et les connaissances diverses qu’il détient en matière de langues officielles, et notamment en ce qui a trait aux plaintes récurrentes et aux problèmes systémiques, soient utiles à ce tribunal (administratif)», estime Stéphanie Chouinard.
«De la musique à ses oreilles»
Le directeur du Bureau des affaires francophones et francophiles de l’Université Simon Fraser, l’Acadien Gino LeBlanc, s’est également exprimé pour la création d’un tribunal administratif lors de son témoignage devant le comité, tout comme Eva Ludvig du Quebec Community Groups Network, l’équivalent anglo-québécois de la FCFA.
Le comité du Sénat sur les langues officielles n’a pas encore présenté son rapport sur ces consultations. Au moins un membre du comité, l’Acadien Paul McIntyre, semble toutefois assez enthousiaste à l’idée du tribunal administratif. Lors que la présentation de la FCFA, le sénateur conservateur a confié que cette proposition était «de la musique à (ses) oreilles».
«Lors des réunions de nos comités, j’ai soulevé à quelques reprises toute la question du mécanisme manquant pour assurer que la Loi sur les langues officielles est pleinement appliquée. Aujourd’hui, j’ai l’impression que mes propos ont été entendus. À l’heure actuelle, faute de modèle punitif, le système ne fonctionne tout simplement pas», a déclaré M. McIntyre.