La planète se réchauffe et le compte à rebours est lancé. La tarification sur le carbone imposée par Ottawa est-elle une réponse appropriée à l’urgence climatique?

La question fait assez peu débat parmi les économistes, la communauté scientifique ou les défenseurs de l’environnement. Mettre un prix sur la pollution est considéré par la plupart des experts comme le meilleur moyen de préparer progressivement la société à un épuisement des ressources d’énergies fossiles.

ONU, Banque mondiale, Fonds monétaire international, Agence internationale de l’énergie, Organisation de coopération et de développement économiques, la liste des organisations internationales soutenant l’idée d’une taxe carbone est impressionnante.

En décembre dernier, la Chambre de commerce du Canada, le plus important groupe d’entreprises au pays, a reconnu à son tour que le prix du carbone est le moyen le plus efficace de réduire les émissions. Elle a été imitée plus récemment par 28 lauréats du prix Nobel d’économie, signataires d’une pétition en faveur d’une taxe à 50$ US la tonne aux États-Unis.

Pour rappel, ce mécanisme fiscal consiste à faire payer les pollueurs proportionnellement au niveau des émissions qu’ils produisent, et s’assurer que le prix des carburants fossiles inclut les coûts environnementaux causés par pollution et le dérèglement climatique.

En augmentant progressivement, de 20$ la tonne en 2019 jusqu’à 50$, en 2022, la taxe carbone fédérale doit inciter les producteurs et les consommateurs à réduire leur consommation et à s’orienter vers des produits plus propres.

L’efficacité de la mesure dépend notamment du niveau de prix, explique Annie Chaloux, professeure à l’Université de Sherbrooke spécialiste des politiques environnementales.

«Il faut que le coût soit suffisant pour inciter au changement, dit-elle. Les études ont montré qu’une taxe sur le carbone peut créer des occasions de développement économique dans le secteur des énergies vertes.»

Octave Keutiben, professeur d’économie à l’Université de Moncton, affirme que la taxe carbone est «la solution la moins coûteuse», et mieux à même d’atteindre sa cible que toute forme de réglementation environnementale.

Il prend en exemple le cas de la Colombie-Britannique, première juridiction d’Amérique du Nord à avoir créé une telle taxe. Entre 2008 et 2012, la consommation d’énergies fossiles a baissé de 17% dans la province de l’Ouest, pendant que le reste du Canada a vu ses émissions grimper de 1%. Durant cette même période, l’économie Colombie-Britannique a connu une croissance de 16% et affiché le taux de chômage le plus bas du pays.

Pourtant, le débat public s’enflamme et les premiers ministres conservateurs de quatre provinces, dont le Nouveau-Brunswick, sont en guerre ouverte contre le plan du gouvernement Trudeau.

«Comme toute nouvelle taxe, la taxe carbone est peu populaire car personne ne veut payer davantage, observe Octave Keutiben. Il faut regarder un peu plus loin et remettre en question notre mode de vie. Il ne faut pas oublier que le but de la taxe c’est que les gens ne la paient pas en abandonnant l’usage de produits émetteurs de carbone.»

Les Néo-Brunswickois sont-ils prêts à changer leurs habitudes?

Taxe carbone ou pas, les tuyaux d’échappement semblent avoir encore de beaux jours devant eux sur les routes provinciales. Difficile de changer du jour au lendemain des habitudes profondément ancrées.

«Il est clair que la taxe ne va pas changer les habitudes des consommateurs à court terme, estime Octave Keutiben. On voit aussi que les pétrolières en profitent, elles ont refilé le montant de la taxe aux automobilistes en augmentant les prix de l’essence. À long terme, il faudra développer des alternatives à la voiture, les conducteurs seront aussi amenés à acheter des véhicules moins polluants, à limiter les trajets inutiles, à faire du covoiturage…»

Actuellement, le Nouveau-Brunswick est la province la plus dépendante de la voiture privée. À peine 2,2% des Néo-Brunswickois utilisent le transport partagé, contre 12,7% des Canadiens. Ils sont aussi beaucoup plus portés à se rendre au travail en voiture (90,4% au N.-B. contre 78,7% au Canada).

D’après les chiffres de ventes des dernières années, l’appétit pour les véhicules moins polluants n’est pas là. Les ventes de voitures électriques restent faméliques tandis que les camions et les VUS occupent une part de plus en plus grande du marché.

Un sondage effectué l’an dernier par la firme Ipsos révélait d’ailleurs que les citoyens des provinces de l’Atlantique sont moins intéressés par les automobiles écoénergétiques que les autres Canadiens. Ils sont 25% à considérer échanger leur véhicule pour un moins énergivore contre 43% dans le reste du pays, et deux citoyens de l’Atlantique sur cinq ne considèrent aucunement la dépense en essence comme un facteur d’achat.

Il est aussi vrai que les citoyens ont peu d’alternatives à leur disposition. Un argument martelé depuis plusieurs semaines par le premier ministre Higgs et son équipe.

«Très peu de solutions de rechange raisonnables et abordables s’offrent à la population pour l’encourager à modifier ses habitudes, ce qui remet en question l’efficacité d’une taxe sur le carbone dans une province rurale comme le Nouveau-Brunswick», soulignent les communiqués du gouvernement s’attaquant à la mesure fédérale.

Un soutien provincial insuffisant

Entre une population dispersée, de faibles investissements publics et une profonde culture de la voiture… les obstacles sont nombreux à l’avènement d’un système de transport en commun viable, efficace et bien développé dans l’ensemble de la province.

Si Moncton, Fredericton et Saint-Jean bénéficient d’un système de transport en commun bien établi, la faible densité de la population et les longues distances rendent difficile l’exploitation d’un système de transport collectif viable dans les collectivités rurales.

La faute en partie au gouvernement du Nouveau-Brunswick qui mise très peu sur le développement du transport en commun en dehors des trois grands centres. Moins de 600 000$ sont consacrés chaque année au développement des initiatives de transport communautaire en milieu rural.

La province n’offre pas non plus de rabais à l’achat de véhicules électriques, comme le fait le Québec qui propose un coup de pouce financier allant jusqu’à 8000$.

Malgré tout, Énergie NB développe depuis deux ans son réseau public de bornes de recharges. On en compte 67 à travers la province, auxquelles s’ajoutent une vingtaine de bornes détenues par le réseau privé Flo.

Selon Annie Chaloux, la capacité du Nouveau-Brunswick de s’adapter à cette nouvelle donne dépendra beaucoup de l’engagement du gouvernement provincial faveur de la transition énergétique.

«Les gens se retrouvent pris lorsque les alternatives sont limitées, la province doit faire plus pour proposer des incitatifs à l’achat de véhicules électriques ou soutenir le transport collectif. C’est certain que ça prend une volonté politique pour le faire», conclut-elle.

La Suède, championne de la taxe carbone

Jetons maintenant un coup d’oeil à l’expérience de la Suède, l’un des premiers pays à avoir instauré une taxe carbone…en 1991!

S’appliquant aux particuliers comme aux entreprises, la taxe suédoise est passée à 24 euros par tonne de CO2 émise lors de son introduction à 120 euros aujourd’hui, soit près de 180 dollars canadiens. Pour rappel, le prix de la taxe carbone canadienne a été fixé à 20 dollars par tonne de CO2 pour 2019.

Malgré un niveau record, ce prélèvement n’a pas provoqué de contestation majeure au sein du royaume scandinave. La pilule a été d’autant plus facile à avaler pour le contribuable que l’impôt sur les émissions a été accompagné d’une vaste réforme fiscale qui a notamment permis une baisse de l’impôt sur le revenu et sur le capital.

L’imposition de la taxe a surtout forcé les entreprises et les citoyens à tourner le dos aux énergies fossiles et a permis l’émergence de la filière des bioénergies, aidée par des investissements publics importants.

En quelques années, le chauffage au mazout, au propane et au gaz naturel a disparu au profit du développement des réseaux de chaleur et de l’exploitation de la biomasse. À Stockholm, le transport urbain se passe de diesel. Les bus roulent au biocarburant depuis des années et plus personne ne s’en étonne.

Résultat, la Suède, malgré son climat rude, n’a émis en 2014 que 4,48 tonnes d’équivalents CO2 par habitant. À titre de comparaison, les émissions par habitant s’élèvent à 22 tonnes au Canada.

Mieux, cette transition énergétique s’est faite sans pénaliser la croissance et l’emploi. En 25 ans, la richesse nationale a augmenté de 75% tandis que ses émissions de gaz à effet de serre diminuaient de 25%. La Suède n’entend pas s’arrêter là, le pays s’est même engagé à atteindre le zéro carbone d’ici 2045.

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