Les Acadiens, minorité sans gouvernement ni territoire propre, n’ont jamais su s’emparer du pouvoir politique pour réaliser leur projet collectif. Malgré tout, un groupe tente aujourd’hui de raviver les espoirs d’une plus grande autonomie.

Près de 90 personnes ont participé à une journée de réflexion, vendredi matin, à Cocagne, à l’initiative du groupe Assemblée nationale de l’Acadie né il y a quelque mois.

Bernard Richard copréside avec le constitutionnaliste Pierre Foucher l’une des commissions de cet organisme, qui s’est chargé de définir un modèle d’autonomie gouvernementale pour l’Acadie des quatre provinces de l’Atlantique.

Pour l’ancien ombudsman du Nouveau-Brunswick, il est temps que l’Acadie cesse de jouer défensivement.

«Ça fait cinquante ans qu’on milite pour nos droits et qu’on veille sur nos acquis… Moi je crois qu’il faut maintenant se donner les outils pour s’assurer que les décisions qui affectent le peuple acadien soient prises par nous et pas par d’autres, à Fredericton ou à Ottawa. On n’est jamais mieux servi que par soi-même», lance M. Richard.

Les membres de la commission se sont donné pour mission de préciser les contours d’un modèle de gouvernance régional d’ici l’automne 2020, ce qui suppose la rédaction de projets de loi ou d’amendements constitutionnels.

L’idée serait de créer une assemblée communautaire qui donnerait aux Acadiens la responsabilité de gérer directement des sphères de compétence bien identifiées. Éducation, santé, culture, immigration, développement économique régional et aménagement du territoire sont dans leur ligne de mire.

D’entrée de jeu, les instigateurs du projet se distancient de l’idée d’une province acadienne, lancée en 1979 et enterrée après la disparition du Parti acadien. Il est tout de même question de délimiter un territoire à l’intérieur duquel la communauté acadienne pourrait décider elle-même de son avenir, via des élus dotés d’un vrai pouvoir de décision.

Outre les deux membres du bureau de direction de l’organisme, l’avocat Michel Cyr et l’ancien sous-ministre Roger Doucet, les sociologues Michelle Landry et Mathieu Wade, le politologue Christophe Traisnel, l’historien Léon Thériault, l’avocat Réjean Aucoin et la chroniqueuse Rosella Melanson ont participé aux premiers travaux de réflexion.

Le sociologue Mathieu Wade rappelle qu’historiquement, l’Acadie a longtemps aspiré à la reconquête d’un certain contrôle de sa destinée. Si elle a réussi à nationaliser certaines sphères de vie, elle n’a pas réussi à nationaliser la politique.

«Aucun État ne permet à l’Acadie d’avoir un médiation politique, nous n’avons pas d’élus qui parlent en notre nom», constate-t-il.

«L’idée d’une indépendance c’est l’oxygène dont a besoin un peuple. Sans entretenir cette idée-là, il y a quelque chose qui s’éteint. Si l’Acadie cessait d’aspirer à l’autonomie, elle arrêterait de reconnaître sa spécificité, elle arrêterait de reconnaître le travail des générations avant elle et n’arriverait plus à façonner son avenir.»

La professeur de sociologue Michelle Landry ajoute que la communauté francophone s’appuie principalement sur un réseau d’organismes et d’associations pour exercer une influence et se prendre en main, mais évoque une gouvernance acadienne «faible et diffuse».

Les conseils scolaires, par exemple, disposent actuellement d’une faible marge de manoeuvre et n’ont pas la maîtrise des budgets. Quant aux organismes acadiens tels que la SNA ou la SANB, ils dépendant du financement fédéral et leur pouvoir décisionnel est minime.

Des sources d’inspiration

L’autonomie correspond à la capacité pour une communauté de décider de son devenir dans le plus de domaines possible, ce qui implique une certaine délégation de pouvoirs. Plusieurs exemples ont été présentés lors de l’atelier.

C’est le cas au Labrador avec l’Assemblée du Nunatsiavut, le parlement de la première région inuit du Canada à avoir atteint l’autonomie gouvernementale. Bien que le Nunatsiavut fasse toujours partie de Terre-Neuve-et-Labrador, ce gouvernement autochtone a autorité sur de nombreux domaines de compétences, notamment la santé, l’éducation, la culture et la langue, la justice ainsi que les questions relatives aux communautés.

Le politologue Christophe Traisnel s’est intéressé à d’autres cas, notamment celui de la communauté germanophone de Belgique, qui gouverne une population de seulement 77 000 habitants répartie sur un petit territoire morcelé à l’est du pays.

Il s’agit d’État fédéré, qui dispose de compétences au niveau fiscal, mais aussi dans le domaine de la culture et de l’enseignement, l’emploi des langues, mais aussi les soins de santé, l’aide à la jeunesse, l’emploi et le secteur social.

«Ils disposent d’un gouvernement, d’une assemblée législative et sont capables de négocier des traités internationaux. Vous voyez ce qu’on peut faire avec une certaine volonté politique», souligne M. Traisnel.

«Les élus de ces communautés disposent d’une légitimité politique qu’on ne retrouve pas au sein des organismes acadiens. Ce qui manque à l’Acadie, c’est cette capacité à définir collectivement une volonté générale, par la représentation politique».

L’autonomie comme projet de société?

Bernard Richard reconnaît qu’un tel projet s’annonce être un travail de longue haleine. Toute forme d’autonomie devra être négociée en profondeur.

«On a identifié certains modèles intéressants maintenant il faut développer, à partir du cadre constitutionnel propre au Canada, un modèle réalisable et qu’on pourrait proposer à la population acadienne. Il va falloir des consultations plus poussées et des réunions plus nombreuses, il faudra aller voir les associations, les élus pour les convaincre que c’est la prochaine étape pour l’Acadie», détaille-t-il.

Une chose est certaine, de nombreux doutes restent à dissiper.

«Est-ce qu’on a les ressources et les énergies pour ça? Est-ce qu’on a les moyens de nos ambitions?», se questionne Frédéric Dion.

De son côté, Christophe Traisnel se demande si ces aspirations nationalistes sont même partagées par une bonne partie de la population francophone.

«Certains militants acadiens veulent un espace politique commun, où faire exister la nation et permettre une délibération. Est-ce le cas au sein de nos communautés acadiennes? Est-ce que les gens s’intéressent à ça?»

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