Trou de cul, imbécile, french fuck, pomme pourrie et idiot, sont quelques exemples d’insultes reçues par les politiciens sur les réseaux sociaux. Si leurs décisions ne font pas toujours l’unanimité, nos élus méritent-ils une telle pluie d’injures? Certains croient que c’est le prix à payer. D’autres diront plutôt qu’il faut éviter de banaliser le phénomène des trolls.

Les médias sociaux ont changé la relation entre les électeurs et les élus. Facebook et Twitter permettent aux politiciens de tâter le pouls des citoyens. Des outils incontournables afin de pouvoir prendre des décisions éclairées.

Seul hic: les dérapages d’internautes s’invitent dans le quotidien des politiciens.

«On se fait ramasser pas à peu près. On n’est pas épargné», souligne Isabelle Thériault, députée libérale provinciale de Caraquet.

Mme Thériault avoue qu’elle doit parfois supprimer des messages haineux sur ses réseaux sociaux. La gestion de ceux-ci n’est pas de tout repos.

«Ça prend énormément de temps à gérer. Je ne vais pas passer des heures là-dessus.»

Même coup de sonde pour Megan Mitton, députée provinciale de la circonscription de Memramcook-Tantramar pour le Parti vert.

«C’est important de surveiller ce qui se passe parce qu’il peut y avoir des trolls. Ma plus grosse préoccupation est que les fausses informations ne se propagent pas.»

La députée Megan Mitton du Parti vert. Photo: Mathieu Roy-Comeau.

Les trolls sont des personnes qui publient des messages tendancieux sur les plateformes web dans le but de créer des polémiques.

Il faut garder un œil sur ses pages, font remarquer les députés. Néanmoins, Mme Mitton évite de lire les commentaires haineux à son égard pour son bien-être. Elle a d’ailleurs dû embaucher un gestionnaire des réseaux sociaux.

Les insultes, de la politique provinciale à la politique municipale

Denis Losier, maire de Tracadie, a dû couper court avec les réseaux sociaux pendant un mois pour recharger ses batteries.

«C’est comme si parce que t’es politicien, on peut se permettre de dire n’importe quoi. Par exemple, t’es un trou de cul, t’es un innocent, t’es fou», souligne-t-il.

Le maire de Tracadie, Denis Losier. – Archives

Il confie en entrevue que cette pause était plus que nécessaire

«C’est certain que d’en accumuler tous les jours pendant des semaines, des mois consécutifs, à un moment donné, ça devient épuisant.»

Son homologue à la Ville de Bathurst, Paolo Fongemie, a aussi été confronté à l’aspect négatif des réseaux sociaux en politique.

Il est souvent attaqué dans les groupes tels Bathurst Newschaser et dans les commentaires des publications de l’Acadie Nouvelle et de Radio-Canada.

Le maire de Bathurst, Paolo Fongémie. – Acadie Nouvelle: Allison Roy

«Ils pensent que personne ne va les lire. Ils ne pensent pas qu’ils parlent à moi, mais c’est sûr que je vais me renseigner.»

M. Fongémie a piloté plusieurs dossiers chauds pendant son mandat, dont le lock-out des employés administratifs à la Ville de Bathurst et le projet éolien Chaleur Ventus. Les insultes ont coulé à flots.

«J’ai jamais perdu de sommeil sur ça. Je m’en fiche. C’est le mal nécessaire pour communiquer avec les citoyens. Moi, j’ai une carapace.»

Si les politiciens disent s’être bâti une armure contre les trolls, leur entourage immédiat est loin d’être protégé.

«Mon épouse, mes enfants ou mes parents, ça leur fait de la peine quand ils lisent ça. Je leur ai même dit de ne jamais répondre à ces commentaires-là», indique M. Fongémie.

Les deux filles de Denis Losier, blessées de lire constamment des commentaires crus envers leur père, ont pris des mesures drastiques.

«Elles ont débranché Facebook pour ne plus avoir accès à cette information-là le temps que je suis en politique municipale», déplore M. Losier.

Lorsque Paolo Fongemie a annoncé à son épouse son intention de se représenter aux prochaines élections, elle lui a demandé s’il n’était pas tanné de recevoir des messages haineux.

«C’est le prix à payer», a-t-il répondu.

Un mal nécessaire pour les politiciens?

Si un politicien du Nouveau-Brunswick connaît bien le phénomène des trolls, c’est Kevin Arseneau, député de Kent-Nord sous la bannière du Parti vert.

Le député vert Kevin Arseneau. – Acadie Nouvelle: Mathieu Roy-Comeau

Il reçoit des messages haineux chaque semaine. Il a même créé un document qui répertorie les persécuteurs et leurs insultes. En voici quelques-unes :

–«Move back to Quebec» – Retourne au Québec

— «I heard you have sex with your sheep» — J’ai entendu dire que tu avais des relations sexuelles avec ton mouton

— «You french fuck» — Cr*** de francophone

— «Brûle en enfer mon malade»

«C’est peut-être le prix à payer actuellement, mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas le dénoncer, ça ne veut pas dire que ça ne peut pas changer.»

L’automne dernier, des députées québécoises avaient dénoncé à l’Assemblée nationale les insultes misogynes et à caractère sexuel qu’elles recevaient sur les réseaux sociaux.

Inspiré par ces députés, M. Arseneau a pensé réciter les insultes à son égard au sein de l’Assemblée législative, mais s’est résigné à prononcer ces mots crus dans l’institution.

La limite entre insultes et menaces a été franchie par certains persécuteurs de M. Arseneau. Il a reçu des messages du type «You need a punch in the throat you worthless scum bag» (Tu as besoin de te faire te frapper dans la gorge, espèce de bon à rien).

«I know where you live and anything can look like an accident» (Je sais où tu vis et n’importe quoi peut ressembler à un accident).

Cette fois-là, il avait rapporté ces menaces à la GRC et souligné l’identité des auteurs au sergent d’armes de l’Assemblée législative.

Le maire de Tracadie s’était d’ailleurs informé sur les recours légaux contre les persécuteurs 2.0. Il y a peu à faire, au grand dam du politicien.

«Il y a assez de gens qui se permettent des commentaires. Vas-tu poursuivre une cinquantaine de personnes? Je pense que c’est une réalité qu’on vit», avait-il conclu.

De plus, les plaintes peuvent traîner un bon moment au sein du système judiciaire.

Peu nombreux, mais ô combien dévastateurs

Les trolls ne représentent pas la majorité des utilisateurs des médias sociaux. Les commentaires désobligeants ne représentent que 5% des messages totaux reçus par Kevin Arseneau, qui est l’une de leurs cibles favorites.

Lorsque la critique est exprimée de façon respectueuse, ce n’est pas une mauvaise chose, selon Cyrille Simard, maire d’Edmundston.

Le maire d’Edmundston, Cyrille Simard.

«C’est tout à fait correct et légitime.»

Un plus grand nombre de citoyens ont l’occasion de participer au débat public en donnant leur opinion sur les décisions d’un conseil municipal, par exemple.

M. Simard considère que la plupart des citoyens s’expriment avec courtoisie. Les trolls, quoique minoritaires, il les connait bien.

«Les gens qui font de la politique municipale pendant un certain temps vont découvrir que ce sont souvent les mêmes.»

Destitués de toute inhibition, ces personnages sont «très courageux derrière leur écran», analyse Denis Losier.

«Souvent, il y en a un qui se permet toujours des commentaires. Je l’ai en tête. Je le rencontre sur la place publique et il n’ose même pas me regarder.»

Les trolls seraient similaires à l’intimidateur d’une cour d’école au primaire. Ils souhaitent humilier et détruire une personne aux yeux de tous, selon le maire de Tracadie. Les intimidateurs 2.0 seraient prompts à commenter des publications plutôt qu’à envoyer des messages privés.

«La plupart des gens qui veulent attaquer et s’acharner sur la personne, c’est public. Ils veulent que les autres le voient. Ils veulent que les autres embarquent et critiquent aussi.»

Le phénomène des trolls a inspiré la création du segment «Celebrities Read Mean Tweets» de l’émission américaine Jimmy Kimmel Live!. Les célébrités y lisent les messages haineux qu’ils ont reçus sur Twitter.

À Moncton, l’évènement The Mayors Read Mean Tweets! 2020, est de retour pour une deuxième édition samedi prochain à 15h30 à l’Hôtel Wingate Dieppe. Les maires de Moncton (Dawn Arnold), Dieppe (Yvon Lapierre) et Riverview (Ann Seamans), liront leurs «méchants tweets».

M. Lapierre et son équipe aux communications de la Ville de Dieppe ont eu beaucoup de difficulté à trouver des commentaires qui feraient compétition à ceux de ses homologues féminines.

«Ce que j’ai rapidement constaté, c’est que malheureusement, il y a des gens qui sont très arrogants avec mes deux collègues mairesses.»

Le niveau d’agressivité et de négativité serait plus élevé dans les messages envoyés aux femmes élues.

Les attaques des trolls ne devraient pas faire partie du mandat, réitère Kevin Arseneau.

«On veut que plus de gens se présentent en politique. On veut plus de femmes en politique, plus de jeunes en politique et plus de minorités visibles en politique. Après on se retourne de bord et on leur dit “c’est ça le prix à payer par exemple”.»

L’exemple de Rogersville

Dans le but de limiter la portée des trolls, le Village de Rogersville a implanté une politique pour encadrer l’usage des réseaux sociaux au conseil municipal.

«Il n’y a aucun membre du conseil et du personnel qui répond à quelqu’un sur les médias sociaux au nom de la municipalité», souligne Pierrette Robichaud, mairesse de Rogersville et instigatrice de cette politique.

Pierrette Robichaud, mairesse de Rogersville et membre du comité du regroupement, estime qu’il fallait s’attendre au résultat. – Acadie Nouvelle: Alexandre Boudreau

Elle est consciente qu’elle ne peut pas censurer les conseillers sur les réseaux sociaux, mais espère sincèrement que cette politique est respectée.

«On n’a pas l’autorité de les empêcher de faire des commentaires sur leur propre page Facebook, Twitter, mais on leur demande de ne pas le faire.»

La politique a été mise en place lorsqu’un citoyen a contacté chaque membre du conseil sur Facebook pour signaler son mécontentement face aux actions de la municipalité. Mme Robichaud n’a pas voulu embarquer dans ce jeu.

«Là, c’est commencer quelque chose qu’on n’a aucun contrôle dessus. Ce n’est pas en faisant du back and forth sur Faceboook qu’on va régler des problèmes.»

La mairesse a aussi publié un message dans le journal communautaire et sur Facebook. Elle a demandé aux citoyens de ne pas communiquer avec les élus et les membres du personnel sur les réseaux sociaux.

Certaines personnes envoyaient des messages en privé aux employés pour faire des plaintes et réclamaient des réponses.

«L’employé à la maison le soir qui regarde son Facebook n’a pas à répondre à des affaires de même.»

«Les gens peuvent nous contacter s’ils le veulent, mais on ne répondra pas.»

Elle suggère plutôt aux citoyens qui ont envie de porter plainte d’utiliser le processus officiel de plainte de la municipalité.

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