Le Nouveau-Brunswick devient la première province canadienne à organiser l’utilisation d’hydroxychloroquine pour traiter les patients atteints de la COVID-19. Promu par certains scientifiques comme un remède possible contre le virus, ce médicament continue de diviser les experts.

L’Acadie Nouvelle a appris que les médecins des deux réseaux de santé de la province s’apprêtent à prescrire l’hydroxychloroquine aux patients testés positivement au nouveau coronavirus, sur une base volontaire.

Selon le Dr Gabriel Girouard, microbiologiste-infectiologue au CHU Dr-Georges-L.-Dumont, le médicament pourrait être administré d’ici les prochains jours, voire les prochaines heures.

Le Réseau de santé Vitalité et le Réseau de santé Horizon développent un registre d’étude clinique pour évaluer les effets du traitement. Les données cliniques collectées auprès des patients néo-brunswickois seront partagées avec des registres d’envergure nationale et internationale afin de faire avancer rapidement la recherche.

Connue sous l’appellation commerciale Plaquenil, l’hydroxychloroquine est prescrite depuis plusieurs décennies contre le paludisme mais aussi utilisée contre le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde.

Des publications chinoises et françaises font part de résultats positifs en termes de prévention de la progression vers des formes graves après que des essais cliniques aient été menés sur des patients atteints de la COVID-19. Toutefois, ces études non randomisées n’ont pas entièrement convaincu la communauté scientifique, notamment parce qu’elles portent sur trop peu de patients et qu’elles n’ont pas été menées selon les protocoles scientifiques standards.

Le Plaquenil est approuvé par Santé Canada mais son usage n’est pas homologué pour le traitement du nouveau coronavirus. Les données préliminaires ont en tout cas suffi à convaincre un groupe d’experts néo-brunswickois.

«Le risque est nettement inférieur aux bénéfices possibles», estime Dr Gabriel Girouard.

Le microbiologiste-infectiologue évoque «des résultats très convaincants et qui pointent dans la même direction» mais reconnaît qu’il n’y a »pas de preuve formelle et scientifique de son efficacité».

Une réponse rapide et centralisée

La nécessité de limiter le nombre de victimes de la pandémie a poussé les professionnels de la santé à privilégier d’urgence un traitement qui n’a pas encore fait ses preuves.

«Ç’a été un travail titanesque mené en très peu de temps par le bureau d’appui à la recherche du réseau de santé et le comité d’éthique, explique Dr Girouard. Nous réalisons le sérieux de l’urgence sanitaire, les systèmes de santé n’ont jamais été autant fragilisés, des hôpitaux s’écroulent. Nous avons été très avant-gardistes, nous avons pris la balle au bond.»

Les médecins de Vitalité et Horizon contacteront les patients atteints actuellement confinés chez eux avant de leur fournir une prescription de Plaquenil. Le médicament sera ensuite livré à leur domicile.

Tous les patients qui le souhaitent seront traités, pas question d’établir un groupe contrôle qui impliquerait d’administrer un placebo à une partie de la cohorte. Seuls ceux qui auront donné leur consentement pourront recevoir la médication.

Un protocole de suivi centralisé a également été mis en place. Les patients seront suivis tout au long de leur maladie et après leur rétablissement, et ce pour une période de 12 mois.

Un remède controversé

Par rapport à d’autres molécules, la chloroquine et l’hydroxychloroquine ont l’avantage d’être déjà disponibles, bon marché et bien connues, d’où l’intérêt particulier qu’elles suscitent.

Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) a donné lundi son feu vert pour soigner les malades avec la chloroquine et l’hydroxychloroquine, mais uniquement dans les hôpitaux.

En revanche, l’administratrice en chef de la santé publique du Canada, la docteure Theresa Tam a adressé une mise en garde contre l’usage prématuré de la chloroquine, soulignant qu’elle n’est que l’un des nombreux médicaments existants qui sont actuellement testés.

Au Québec, l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux du Québec (INESS) juge que l’incertitude entourant l’efficacité et l’innocuité de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine n’en permet pas un usage généralisé, peu importe le stade de la maladie. L’organisation recommande de limiter l’usage de ce médicament au cas par cas, à des patients dont la situation clinique est sévère.

«Selon nous, à ce stade il est trop tard pour profiter des bénéfices du traitement, rétorque Dr Girouard. Nous souhaitons traiter les patients de façon précoce plutôt que tardivement ou pour les cas les plus critiques qui requièrent une hospitalisation. En traitant tôt, on espère éviter des complications redoutables.»

Le spécialiste s’attend à ce que l’initiative néo-brunswickoise s’attire certaines critiques.

«Deux points de vue opposés se confrontent, celui du scientifique qui veut des données recueillies selon un certain protocole, celui du médecin qui traite un patient et base ses décisions selon son jugement», résume-t-il.

«Dans ma pratique d’infectiologue, je suis amené à utiliser des médicaments non homologués parce que les cas sont complexes et ne cadrent pas toujours avec les critères des grandes études.»

La semaine dernière, le Collège des pharmaciens de la Colombie-Britannique et le Collège des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique ont publié une déclaration conjointe mettant en garde contre l’utilisation de traitements non éprouvés, dont l’hydroxychloroquine.

Dr Girouard qualifie de «zèle excessif» l’approche prudente privilégiée par plusieurs instances de régulation médicale.

«Cela place les médecins dans une position très inconfortable», souligne-t-il.

Limiter le risque de pénurie

Les autorités sanitaires mettent en garde contre l’automédication à ce médicament, qui peut s’avérer toxique à haute dose. Plusieurs cas d’empoisonnement ont été recensés aux États-Unis, quelques jours après que le président américain Donald Trump ait vanté le potentiel de la chloroquine, allant jusqu’à la qualifier de remède «miracle».

L’INESS s’inquiète aussi du risque de rupture d’approvisionnement d’hydroxychloroquine et de chloroquine alors que la demande mondiale explose.

Les stocks disponibles dans les pharmacies québécoises sont donc temporairement réservés aux patients atteints de certaines maladies chroniques et ne seront pas destinés aux citoyens touchés par la COVID-19.

De son côté, le corps médical néo-brunswickois veut éviter toute dérive.

«Nous sommes opposés à des prescriptions inadéquates, non justifiées, par anticipation ou pour accumuler du Plaquenil. Cela pourrait mettre en péril la réserve provinciale, cela doit être dénoncé», insiste Dr Girouard.

«La création de ce registre nous semble être le meilleur moyen pour s’assurer de contrôler et protéger les stocks tout en s’assurant que les patients aient accès au médicament.»

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