Deux chefs autochtones du Nouveau-Brunswick proposent au gouvernement fédéral de régler un conflit de pêche à la table de médiation plutôt que devant les tribunaux. Ils estiment qu’Ottawa aurait intérêt à saisir cette occasion, vu les tensions vives qui ébranlent le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse depuis quelques semaines.

Les leaders des communautés de Matawaskiye (la Première Nation du Madawaska) et de Neqotkuk (la Première Nation de Tobique) ont entamé des procédures judiciaires en 2019 pour pouvoir pêcher commercialement le crabe des neiges.

Dans l’avis de poursuite déposé en Cour du Banc de la Reine, ils expliquent qu’ils tentent d’obtenir cette permission depuis 1995 et que leurs démarches ont porté leurs fruits à une seule reprise (en 2017).

Cette année là, face à l’augmentation de la biomasse, le fédéral avait augmenté les quotas dans le sud du golfe Saint-Laurent et leur avait donné pour la première fois un accès à la ressource.

Les deux chefs estiment que le gouvernement fédéral bafoue leurs droits issus des traités et demandent non seulement un accès à la ressource, mais aussi une compensation pour les revenus qu’ils n’ont pas pu générer pendant de nombreuses années.

La cause est encore devant la Cour du Banc de la Reine et le procureur général du Canada a déposé un exposé de la défense. L’affaire n’est donc pas sur le point de se régler, du moins pas dans le système judiciaire.

Un appel à la médiation 

Cette semaine, les chefs de Matawaskiye et de Neqotkuk ont proposé à Ottawa de négocier plutôt que de s’affronter devant les tribunaux.

Dans un communiqué de presse, ils disent qu’ils ont été «contraints d’engager une action en justice pour attirer l’attention du ministère canadien des Pêches et des Océans» (alias le MPO), mais qu’ils «sont prêts à discuter si le gouvernement se montre disposé à participer».

Le chef de la communauté de Negotkuk, Ross Perley, affirme que le gouvernement fédéral aurait intérêt à participer à un processus de médiation pour éviter que ce qui se produit dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse en ce moment ne se répète au Nouveau-Brunswick.

«Notre droit autochtone à la pêche n’est pas reconnu, on en voit les conséquences en

Nouvelle-Écosse. La réconciliation doit être immédiate et l’obligation de consultation doit être respectée de manière significative et sur une base annuelle, et elle doit inclure le crabe des neiges», affirme-t-il.

Le 17 septembre, des Mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse ont lancé leur pêche au homard autoréglementée – en vertu des droits issus des traités et confirmés par la Cour suprême du Canada – avant le début de la saison établie par le MPO.

Des pêcheurs non autochtones ont réagi fortement. Ils ont allégué que cette pêche était illégale et ont dit craindre qu’elle ait un impact négatif sur la pérennité des stocks de homard.

Pourtant, des experts indépendants rapportent que l’état des stocks est très bon dans la zone en question et notent que les bateaux autochtones ne représentent qu’une infime partie de la flottille.

Des pêcheurs Mi’kmaq ont été intimidés et agressés sur les quais et en mer. Un bateau, des casiers, des véhicules et une usine liés à la pêche autochtone ont été détruits.

Le gouvernement fédéral a tardé à agir et a essuyé des critiques de toutes parts pour sa gestion de la crise.

Il y a quelques jours, Ottawa a nommé un représentant spécial pour faciliter les discussions entre les pêcheurs autochtones et non autochtones. Il s’agit du recteur de l’Université Sainte-Anne, Allister Surette.

«Le MPO examine la demande de médiation»

L’Acadie Nouvelle a contacté le ministère des Pêches et des Océans pour savoir s’il compte accepter la demande de médiation des communautés de Matawaskiye et de Neqotkuk.

Son porte-parole, Barre Campbell, a esquivé la question. Dans un courriel, il a affirmé que le MPO «est conscient qu’un litige est en cours» et «ne peut donc pas le commenter».

Aucune loi n’empêche un gouvernement, un individu ou une entité de commenter une affaire qui se retrouve devant les tribunaux.

Barre Campbell a ajouté que «le MPO examine la demande de médiation» et qu’il est présentement «engagé dans un processus de négociation avec la nation Wolastoqey au Nouveau-Brunswick».

La nation Wolastoqey (aussi connu sous le nom de nation malécite) au Nouveau-Brunswick est composée de six communautés établies le long du fleuve Saint-Jean. Matawaskiye (la Première Nation du Madawaska) et Neqotkuk (la Première Nation de Tobique) sont du nombre.

«Le MPO ne fait pas son travail», estime Patricia Bernard

La cheffe de la Première Nation de Matawaskiye croit que ce que vit sa communauté dans le dossier de la pêche au crabe et ce qui se passe dans le sud de la Nouvelle-Écosse ont une chose importante en commun; l’inaction du MPO. Entrevue.

Patricia Bernard en a ras-le-bol. Depuis 25 ans, elle et ses prédécesseurs se battent pour que leur communauté obtienne un quota de pêche au crabe des neiges et que ses droits issus des traités soient reconnus.

«Madawaska demande un accès au crabe des neiges depuis 1995, donc avant la décision Marshall. Nous avons continuellement cherché à avoir un accès au crabe des neiges et on nous l’a refusé», explique-t-elle en entrevue avec l’Acadie Nouvelle.

La décision dont elle parle a été rendue en 1999 par la Cour suprême du Canada. Elle a confirmé des droits issus des traités conclus avec la Couronne britannique en 1760 et en 1761, les Autochtones de 34 communautés des Maritimes et de la Gaspésie ont le droit de pêcher pour s’assurer une «subsistance convenable».

La cheffe Bernard affirme qu’au cours des 25 dernières années, les membres de sa communauté ont tout fait pour tenter de s’entendre avec le ministère des Pêches et des Océans (MPO).

Selon elle, le MPO ne leur a jamais expliqué clairement pourquoi il leur a refusé un quota de crabe des neiges dans le sud du golfe Saint-Laurent depuis 1995 (sauf en 2017 en raison de stocks anormalement élevés).

Si elle et son confrère de Neqotkuk (la Première Nation de Tobique), le chef Ross Perley, se sont tournés vers les tribunaux, ce n’est pas de gaieté de coeur, assure-t-elle.

«Ils (le gouvernement et le MPO) nous ignorent, même après des demandes et des demandes afin d’obtenir une rencontre et après des lettres. Ils nous ignorent et nous n’avons pas le choix d’aller en cour. Nous ne voulons pas aller en cour! Nous voulons passer par un processus de médiation, mais ils ne veulent même pas s’asseoir avec nous pour parler.»

Patricia Bernard tient vraiment à ce que les gens comprennent que ces deux communautés autochtones n’ont pas emprunté la voie judiciaire comme premier recours. Elle estime que leurs droits issus des traités sont bafoués et ils ne se sentent pas écoutés, voilà tout.

«C’est une partie importante de ce dossier. Nous avons essayé de nous asseoir avec eux et de dire: “allons de l’avant, donnez-nous une allocation, négocions sur ceci pour aller de l’avant”. Mais parce qu’ils n’ont pas fait cela, n’avons pas eu le choix (de se tourner vers les tribunaux).»

Lorsqu’on lui demande si elle songe à la possibilité de faire comme les Mi’kmaq qui ont lancé leur propre pêche autoréglementée dans le sud de la Nouvelle-Écosse, elle dit que cette option n’a pas été écartée.

«Je peux vous dire que nous n’avons pas exclu cette option. C’est une possibilité. Nous n’avons pas pris de décision à ce moment, mais c’est une possibilité. Nous avons encore espoir que le gouvernement viendra négocier avec nous. Nous avons encore beaucoup d’espoir.»

Ces deux dossiers ne toutefois évidemment pas identiques. Le conflit en Nouvelle-Écosse est lié à la pêche au homard dans la baie de Fundy. Les Mi’kmaq sont partis en mer pour faire une pêche de subsistance autoréglementée avant le début de la saison établie par le MPO.

De leur côté, les chefs Patricia Bernard et Ross Perley veulent pouvoir pêcher le crabe des neiges dans le golfe du Saint-Laurent. Ils demandent un quota afin de pêcher commercialement et selon les règles établies par le MPO.

Patricia Bernard croit cependant qu’il y a des parallèles à faire. «Le dénominateur commun ici, c’est le MPO et l’inaction du MPO. […] Le MPO a complètement ignoré et continue d’ignorer (les demandes des communautés autochtones) et ne s’assoit pas pour avoir des négociations significatives pour régler ces enjeux.»

Elle fait remarquer que la décision Marshall a été rendue en 1999, il y a déjà 21 ans. C’est une éternité dans le monde de la pêche et de la politique. Selon elle, Ottawa aurait trouvé des solutions si cela avait été l’une de ses priorités.

«On voit que la question de (de la pêche de) subsistance convenable est là depuis plus de 20 ans. Vingt ans! Pourquoi est-ce que personne ne s’assoit à la table pour régler cela? Pourquoi ne parlent-ils pas aux Premières Nations pour dire “ok, comment allons-nous faire ceci, que pouvons-nous faire?”»

La question qui pose le plus de frictions

Selon Patricia Bernard, le gouvernement fédéral a certes mis sur pied divers programmes pour apaiser les Autochtones au cours des année, mais n’a pas réglé la question la plus importante et qui cause le plus de frictions; l’accès à la ressource.

«Ils ignorent la question et ils n’y consacrent pas des ressources ou d’efforts. Et maintenant, la crise éclate et ça ne va pas juste se passer en Nouvelle-Écosse. Ça va probablement se passer partout jusqu’à ce que le MPO décide de prendre ça au sérieux et qu’il négocie de façon significative. Il ne faut pas simplement qu’il dise “voici ce que l’on a décidé.” Il faut que l’on s’assoie et que l’on décide quelque chose ensemble. Et ça ne se passe pas.»

Patricia Bernard sait bien que certaines communautés se sont entendues avec le gouvernement fédéral sans passer par les tribunaux et sans lancer leur propre pêche autoréglementée.

C’est ce qu’ont fait les communautés mi’kmaq néo-brunswickoises d’Elsipogtog et d’Esgenoôpetitj en 2019. Elles ont signé une entente provisoire de dix ans avec Ottawa.

«Si vous essayez de joindre quelqu’un au MPO, ils ne feront probablement pas de commentaire parce que c’est en litige. Mais en gros, ils nous ont dit qu’ils pensaient que l’on devrait régler cela dans le cadre des tables négociations de réconciliation (à l’instar d’Elsipogtog et d’Esgenoôpetitj).»

Mais avant de penser à participer à un tel processus, dit-elle, les torts du passé doivent être réparés et les communautés de Matawaskiye et de Neqotkuk doivent obtenir une compensation pour les revenus perdus parce qu’elles n’ont pas eu accès à la ressource pendant de si nombreuses années.

«Si quelqu’un a fait du tort à quelqu’un d’autre dans le passé, il faut régler cela avant d’aller plus loin. […] En gros, ce qu’on dit (au gouvernement fédéral) c’est que vous devez régler cela avant que l’on s’assoie à la table de négociation sur la réconciliation», affirme la cheffe Patricia Bernard.

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