Les anglophones ont leur place dans un débat démocratique sur la révision de la Loi sur les langues officielles, de l’avis même du président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, Alexandre Cédric Doucet. Mais quels anglophones?

M. Doucet a discuté avec des membres du gouvernement pour la création d’un comité spécial à l’Assemblée législative, qui travaillerait publiquement en collaboration avec des députés de tous les partis politiques.

Blaine Higgs n’a toutefois annoncé aucun processus de révision de la Loi sur les langues officielles (LLO) pour l’instant.

«Tous les groupes et résidents du Nouveau-Brunswick auront l’occasion d’exprimer leurs points de vue et de participer au processus d’examen. Le premier ministre croit qu’une grande variété de points de vue, d’expériences et de préoccupations devrait faire partie d’un examen complet», indique seulement par courriel Johanne LeBlanc, porte-parole du ministère des Affaires intergouvernementales.

En attendant, M. Doucet a critiqué Blaine Higgs pour avoir accepté de recevoir des membres de l’Anglophone Rights Association of New-Brunswick.

«On ne peut pas se plaindre du fait que le gouvernement écoute les groupes dans les deux communautés», juge toutefois le sociologue Gilbert McLaughlin, originaire de Tracadie.

«C’est un apport démocratique», ajoute celui qui est chercheur sur les croyances collectives et l’extrémisme à l’Université Ontario Tech.

Alexandre Cédric Doucet accuse pourtant l’Anglophone Rights Association de pratiquer la désinformation.

«Certains de leurs propos sont vrais, mais morcelés, précise M. McLaughlin. Au lieu de regarder l’ensemble des recherches, ils choisissent les faits qui les font bien paraître. Mais c’est rare qu’un groupe de pression dise seulement des choses vraies. C’est un jeu d’influence.»

Le militant acadien, Jean-Marie Nadeau s’interroge plutôt sur le droit à la participation de l’Anglophone Rights Association à la révision de la Loi sur les langues officielles au nom d’une «valeur fondamentale».

«Est-ce qu’ils sont pour l’égalité? C’est ça le problème, pointe-t-il. Ils ne reconnaissent même pas l’existence de deux communautés au Nouveau-Brunswick. Ça les disqualifie d’une certaine façon.»

Gilbert McLaughlin observe en fait que les militants de l’Anglophone Rights Association avancent à chaque fois des variations de trois arguments: ils seraient victimes d’un bilinguisme officiel injuste, ce système serait trop cher économiquement et il serait le résultat d’une élite francophone qui ne représenterait qu’elle-même.

«Il faut toujours respecter les croyants, recommande tout d’abord le chercheur. J’ai été voir des chasseurs de fantômes et des anti-vaccins: leur vie n’a rien de fou, mais ils s’appuient sur des choses pas très scientifiques, pas bien établies.»

En revanche, il est possible de déterminer si un groupe de pression est représentatif des valeurs d’une part conséquente des Néo-Brunswickois anglophones.

Le président de la SANB nie que l’Anglophone Rights Association ait cette légitimité. Il a avancé que le regroupement n’avait pas tenu d’assemblée générale depuis plusieurs années.

L’association anglophone a refusé de répondre à toute question de l’Acadie Nouvelle. Elle ne publie pas non plus de rapport annuel sur son site internet.

Sur Facebook, elle gère une page publique suivie par environ 4000 internautes, mais aussi un groupe privé réunissant moins de 300 adhérents.

À titre de comparaison, la SANB regroupe 20 000 membres, selon son rapport 2018-2019.

Les Canadiens sont quand même 31% à penser que l’anglais devrait être la seule langue officielle de leur pays, selon un sondage Léger réalisé sur internet du 6 au 9 mars 2020 (auprès de 1514 personnes, avec une chance sur 20 que la marge d’erreur soit de plus de 2,5%).

Cette proportion est peut-être même encore plus élevée dans les provinces de l’Atlantique (le groupe interrogé dans cette zone était toutefois composé de 106 personnes seulement).

Cependant, même en faisant l’hypothèse que l’Anglophone Rights Association représente des opinions minoritaires parmi les anglophones du Nouveau-Brunswick, il est peut-être néfaste de l’écarter du débat public, selon M. McLaughlin.

«Plus on va les mettre de côté, plus ils vont se radicaliser, et plus on va les laisser entrer dans le débat public, plus ils vont adoucir leur discours pour améliorer son efficacité, explique-t-il. En revanche, ils vont être plus entendus par des gens qui ne les auraient pas écoutés avant. C’est difficile de trouver un juste milieu.»

Désintérêt anglophone

Quoi qu’il en soit, peu d’associations anglophones ont vocation à débattre du bilinguisme officiel, selon tous les intervenants interrogés.

«C’est rare qu’une majorité ait des groupes de pression pour la représenter, explique M. McLaughlin. C’est démographique: ils ont la majorité des jobs.»

L’organisme Canadian Parents for French possède bien une branche au Nouveau-Brunswick. Il promeut l’apprentissage et l’utilisation du français comme deuxième langue par les jeunes. Il est cependant resté silencieux aux demandes d’entrevue de l’Acadie Nouvelle.

La co-éditrice de NB Media Coop, Tracy Glynn, mentionne néanmoins que son média anglophone militant s’est allié avec la SANB pour la défense du bilinguisme.

Elle remarque d’ailleurs qu’un des textes d’opinion les plus lus de son site internet concerne ce sujet. L’Acadie Nouvelle l’a publié sous le titre: Réformer l’immersion française: qu’on cesse les tergiversations.

«Je crois que les associations anglophones ont besoin d’intensifier la protection du bilinguisme», soutient Mme Glynn.

La professeur de justice sociale à l’Université St. Thomas, à Fredericton, souhaite aussi que la province protège les langues autochtones, en collaboration avec les représentants des Premières nations. n

Une négociation possible

Si la société néo-brunswickoise est polarisée, c’est davantage sur des sujets tels que les vaccins et l’avortement que sur les langues officielles, remarque le chercheur sur les croyances collectives et l’extrémisme de l’Université Ontario Tech, Gilbert McLaughlin.

«Quand on dit qu’une société est polarisée, c’est qu’il y a beaucoup de convaincus et peu de modérés, définit-il. Ce sont les modérés qui maintiennent le lien social et qui négocient.»

En revanche, M. McLaughlin juge qu’il ne faudra qu’un événement pour réveiller l’eau qui dort au sujet du bilinguisme officiel de la province.

«On peut juste essayer de montrer à la majorité anglophone qu’il y a plus d’avantages qu’autre chose au bilinguisme, dit-il. Il est très difficile de changer l’avis de convaincus.»

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