La lettre de Mathilde, vestige du Titanic ou contrefaçon?

Une lettre attribuée à une jeune passagère du Titanic et retrouvée dans la baie de Fundy serait un faux, avance une spécialiste de l’analyse du langage. D’autres analyses devront être menées pour faire toute la lumière sur cette intrigante découverte.

En 2017, l’Acadie Nouvelle rapportait l’histoire d’une famille de Dieppe convaincue d’avoir mis la main sur un trésor en provenance du plus célèbre des paquebots. Au bord de l’eau se trouvait une petite bouteille de verre scellée à la cire, cachée en partie par le sable et les algues. À l’intérieur, une lettre signée par Mathilde Lefebvre, une Française qui figure parmi les quelque 1500 disparus du Titanic.

Le document est daté du 13 avril 1912, soit la veille de la catastrophe. Le lendemain, le terrible naufrage emportera Mathilde, alors âgée de 13 ans, sa maman, et trois de ses frères et sœurs embarqués en troisième classe.

«Je jette cette bouteille à la mer au milieu de l’Atlantique. Nous devons arriver à New York dans quelques jours. Si quelqu’un la trouve, prévenez la famille Lefebvre à Liévin», peut-on lire sur un papier parfaitement conservé.

Cette trouvaille a longtemps fasciné des deux côtés de l’océan, attirant l’attention de nombreux médias. Des experts, des passionnés d’histoire et des descendants de Mathilde ont mené l’enquête pour tenter d’identifier la lettre.

Coraline Hausenblas, une psychomotricienne basée en France, a étudié le document pendant près de 140 heures, lettre par lettre, ligne par ligne. L’experte de l’écriture est désormais convaincue qu’il s’agit d’un canular.

Elle rappelle qu’au début du XXème siècle, seule l’écriture cursive attachée est acceptée en milieu scolaire et les lettres sont liées entre elles au sein d’un même mot. Ce n’est qu’à l’âge adulte, selon les habitudes personnelles d’écriture, que celle-ci se personnalise. Or, la lettre s’écarte assez fortement des normes scolaires et sociales de l’époque et de l’écriture attendue d’une jeune fille âgée de 12 ans, 11 mois et 9 jours le 13 avril 1912.

«L’auteur de la lettre tente de maintenir une écriture en cursive et de faire des liaisons entre les lettres d’un mot mais il ne parvient à écrire que deux mots sur trente-et-un en lettres cursives attachées. Ce manque de stabilité prouve que l’écriture naturelle de l’auteur ne se fait plus en cursive attachée depuis longtemps et met en avant la tendance naturelle d’une écriture hautement personnalisée d’un adulte vivant au XXIème siècle», observe Coraline Hausenblas.

«Très rapidement, l’auteur relâche ce contrôle pour reprendre sa tendance naturelle d’écriture, faite d’un mélange de graphies cursives, scriptes et personnelles. Après analyse du document, nous pouvons poser l’hypothèse d’une volonté de l’auteur de dissimuler son geste graphique naturel pour le rendre plus conforme à l’idée qu’il se fait d’une écriture typique de 1912.»

De nombreux autres éléments, comme la présence de mots flous, le passage du «je» au «nous», l’augmentation de la taille et de l’amplitude des lettres au fur et à mesure du texte, l’absence d’informations personnelles liées à Mathilde Lefebvre ou la spatialisation du texte sur le papier font dire à l’experte que le document relève d’un vol d’identité.

La fin d’un mystère?

L’histoire ne se termine peut-être pas ainsi car une équipe multidisciplinaire du Laboratoire d’archéologie et de patrimoine de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) continue encore ses recherches. L’historien Maxime Gohier, qui coordonne ces travaux, juge l’analyse de Mme Hausenblas convaincante mais estime qu’elle conclut trop rapidement qu’il s’agit d’une imposture.

«Ça ressemble plus à une écriture adulte en effet, mais rien n’empêche qu’un adulte ait écrit, sur le bateau, pour le compte de Mathilde. C’est une hypothèse à ne pas écarter», dit-il.

L’universitaire espère pouvoir réaliser dans les prochaines années de nouvelles analyses au Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale de la Sûreté du Québec, à Montréal.

«On veut vérifier la façon dont le papier a été plié, la façon dont l’encre a coulé sur le papier, si la plume a déchiré la fibre du papier, ce qui pourrait nous aider à déterminer le type de plume utilisé et la date probable de production», détaille-t-il.

La semaine dernière, le géographe Guillaume Marie et ses étudiants se sont rendus dans la baie de Fundy pour se pencher sur les processus de sédimentation et d’érosion.

«Il s’agira de mieux comprendre si la bouteille a pu s’échouer et être ensevelie par la vase et combien de temps l’objet a pu être préservé», indique Maxime Gohier.

Des datations par radiocarbone du bouchon de papier et de liège ont déjà permis de confirmer que la bouteille et son contenu ne sont pas incompatibles avec la date inscrite sur la lettre. Cela ne suffit pas puisqu’il est assez facile de se procurer du papier antérieur à 1912 en achetant un livre ancien dont on déchire une page vierge.

L’océanographe Daniel Bourgault et ses collègues de l’Institut météorologique norvégien ont également réalisé des simulations des courants marins pour vérifier si une bouteille tombée du Titanic aurait pu dériver vers la baie de Fundy. Résultat: les probabilités ne sont pas nulles mais très minces, car les courants dominants du nord de l’Atlantique nord sont principalement orientés vers l’Europe.

L’objet n’a pas encore révélé tous ces secrets croit donc l’historien Maxime Gohier.

«Même si c’est un canular, il peut dater de n’importe quand entre 1912 et 2016», souligne-t-il.

«Il nous reste à comparer cette bouteille à la mer et le message qu’elle contenait avec d’autres exemples, dont les autres canulars du Titanic que nous avons repéré dans les journaux d’époque et d’autres exemples connus et mieux documentés.»

Chose certaine, les descendants de Mathilde Lefebvre attendent leurs conclusions avec beaucoup d’impatience.