Finissant de l’École de science infirmière, Nicko Lepage prédit une baisse des inscriptions en septembre. - Gracieuseté
Assurance-emploi: «Mon rêve vient d’être chamboulé»
La fin abrupte du programme Connexion NB-AE, qui permettait aux étudiants à plein temps de recevoir des prestations d’assurance-emploi tout en poursuivant leurs études, sème le désarroi. Nombre d’étudiants se demandent comment joindre les deux bouts à la rentrée de septembre. Certains envisagent même de renoncer à leur projet de carrière.
Nicko Lepage, président du conseil étudiant de l’École de science infirmière de l’Université de Moncton, craint que plusieurs de ses camarades ne puissent poursuivre leurs études, faute de moyens financiers.
Avant que le gouvernement provincial ne décide la suppression du programme Connexion NB-AE, beaucoup comptaient sur ce dernier pour recevoir des prestations d’assurance-emploi à partir de la rentrée.
«Ce programme m’a permis d’obtenir un diplôme en science infirmière. On manque de monde partout en santé, c’est certain que sans assurance-emploi, beaucoup d’étudiants ne pourront pas se payer une éducation. Il faut faire quelque chose!»
Le jeune homme rappelle que choisir la profession implique déjà des sacrifices financiers importants. Finissant du programme, il croule sous une dette étudiante de 65 000 $.
«Pendant que les autres étudiants terminent leur année en avril, nous (les étudiants en science infirmière) commençons en mai un stage de deux mois. Ça ne nous laisse que quelques semaines pour travailler», souligne-t-il.
Ces stages ne sont pas rémunérés. Au cours des derniers mois, les étudiants de son programme ont tenté – sans succès – d’obtenir un accès gratuit au stationnement lors des journées passées à l’hôpital.
«En plus des frais de scolarité, on doit payer des frais de stage, c’est un autre 500 $, et s’acheter des livres. Pendant nos stages, il faut payer les repas, le stationnement pour huit dollars par jour, le déplacement, alors qu’on doit s’occuper de trois ou quatre patients», proteste Nicko Lepage.
«On fait des journées de stage de douze heures et une fois arrivé à la maison, il faut travailler encore près de quatre heures pour faire des recherches et préparer la journée suivante. Avoir un emploi à côté, ça ne fonctionne pas!»
Mark Nowlan, infirmier ayant terminé ses études à l’Université de Moncton il y a deux ans, affirme qu’il a passé ses étés à travailler à temps plein, mais que la période de l’été réservée aux stages laisse peu de place à autre chose.
«En sciences infirmières, on a des stages deux à quatre fois par semaine, alors même un emploi à temps partiel est plutôt difficile à jongler dans l’horaire.»
Un stress financier
Jasmine Larocque, une autre étudiante en science infirmière, angoisse depuis qu’elle a appris la nouvelle. Elle n’aura d’autre choix que de s’endetter davantage.
«Mon rêve de jeunesse d’être infirmière vient d’être chamboulé à cause de cette décision. Il faut que quelque chose soit fait car je crains que le nombre d’inscriptions diminue ou que le nombre de retraits pour la prochaine session soit énorme», lance-t-elle.
«Je crains réellement de ne pas pouvoir réussir financièrement sans cette aide avec toute les dépenses que je dois faire en plus de payer ma scolarisation. J’ai déjà essayé de travailler durant mes études, les soirs ou les fins de semaine, mais mes résultats scolaires ont pris un coup malheureusement.»
Hannah, qui a préféré taire son nom de famille puisqu’elle est employée du gouvernement provincial, a épargné pendant des années afin d’entamer ses études pour devenir infirmière praticienne. En raison de la pandémie, des hausses de loyer et du coût de la vie, elle a dû puiser dans ses économies, malgré son emploi à temps plein.
Estomaquée par la nouvelle, elle explique qu’elle n’est maintenant plus certaine qu’elle pourra se permettre de réaliser son rêve. Elle affirme qu’il lui faut obtenir d’excellentes notes pour être admissible à l’examen d’entrée à la profession.
«Il me sera impossible de travailler et d’étudier en même temps. Je suis certaine que plusieurs personnes sont dans la même situation. Je vais continuer d’essayer jusqu’à la dernière minute, mais il se peut qu’après tout ce temps-là, je devrai aller voir ailleurs», déplore-t-elle.
Hannah croit que le gouvernement fait fausse route, et que la fin du programme Connexion NB-AE pourrait décourager bien des gens d’aller aux études dans des secteurs clés pour remédier à la pénurie de main-d’œuvre dans le système de santé.
«Nous savons que des infirmières vont prendre leur retraite et qu’il y aura des postes vacants. Nous savons que des salles d’urgence ont dû fermer temporairement, et plusieurs fermetures temporaires n’ont pas regagné leur horaire normal. Les choses sont déjà graves.»
14 000 signatures
Dès qu’elle a appris la suppression du programme Connexion NB-AE, Eve Chamberlain a lancé une pétition en ligne pour faire entendre son mécontentement. Douze heures plus tard, près de 14 000 personnes y ont apposé leur signature.
«Plusieurs étudiants m’ont contacté pour me dire qu’ils pensaient lâcher l’université parce qu’ils n’auraient pas d’argent pour survivre», rapporte l’étudiante en ingénierie mécanique.
Après avoir jonglé entre les études et un emploi à temps partiel lors de ses trois premières années à l’Université de Moncton, Eve Chamberlain a pu profiter du programme au cours de sa quatrième année pour se consacrer pleinement à sa formation.
«Ça prenait trop de mon temps d’étude, c’est lorsque je travaillais que j’ai failli le plus de cours et que j’ai eu les pires notes», explique-t-elle. Pas question pour elle de reprendre ce rythme infernal à la rentrée: elle devra s’endetter davantage pour compenser la perte des prestations d’assurance-chômage.
Gabrielle Breau, de Néguac, avait prévu de reprendre ses études en techniques policières au CCNB de Dieppe. Payée au salaire minimum, elle ignore désormais si elle pourra se le permettre.
«Est-ce que ça vaut la peine de m’endetter autant? Je me questionne, je me demande si je devrais prendre une année de plus pour économiser», confie-t-elle. «Ça crée beaucoup de stress. Les études coûtent les yeux de la tête et on se sent tellement impuissant, notre voix ne se fait pas entendre.»
Un bras-de-fer fédéral-provincial de longue date
Le gouvernement provincial a mis fin au programme Connexion NB-AE en partie à cause du fait qu’il ne respecte pas les critères d’admissibilité du programme d’assurance-emploi.
«L’assurance-emploi (AE) n’a jamais été destinée à financer l’éducation postsecondaire ou à servir de forme d’aide aux étudiants», indique Geneviève Mallet-Chiasson, porte-parole du ministère de l’Éducation postsecondaire, de la Formation et du Travail.
Mais le gouvernement provincial a tout de même trouvé le moyen de le faire fonctionner ainsi pendant une décennie.
«Le gouvernement fédéral a conseillé à la province de se conformer au programme fédéral», peut-on lire dans la note de service du gouvernement provincial envoyée aux associations étudiantes jeudi.
Cette demande de la part d’Ottawa n’a toutefois rien de nouveau, puisque le programme Connexion NB-AE fait l’objet d’un désaccord entre la province et Ottawa depuis des années.
Une première version du programme était d’abord réservée aux étudiants des collèges communautaires. Le gouvernement de Shawn Graham l’a ensuite élargi à certains domaines d’études clés dans les universités en 2008, puis le gouvernement de Brian Gallant l’a étendu à tous les domaines d’étude à l’université en 2016.
«Ça fait longtemps que le gouvernement fédéral nous demande cela. J’étais là à deux reprises comme ministre de l’Éducation postsecondaire, et on se l’est fait demander les deux fois, de 2008-2010 et encore en 2016-2017. C’est la province qui a défendu cette initiative-là auprès du gouvernement fédéral parce que ça avait un impact positif», dit Donald Arseneault, qui était alors ministre de l’Éducation postsecondaire, de la Formation et du Travail.
«À la fin de la journée, ces étudiants travaillent, ils accumulent leurs heures et ensuite ils vont aux études. Là, on veut qu’ils travaillent la fin de semaine pendant qu’ils sont aux études. C’est un peu un manque d’empathie.»
La porte-parole du ministère, Geneviève Mallet-Chiasson, affirme que le programme a été «un sujet de discussion» avec Ottawa depuis 2016. Elle rappelle aussi que d’autres programmes sont en place pour aider les étudiants à l’adresse aideauxetudiants.gnb.ca.
Elle affirme aussi que les personnes «sans emploi ou sous-employées» et qui ont eu un engagement avec le marché du travail peuvent quand même recevoir de l’assurance-emploi pendant leur formation, moyennant un plan d’action pour l’emploi élaboré avec un conseiller de Travail NB.
Emploi et Développement social Canada n’a pas répondu à nos questions vendredi.