Par Alban Leduc
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Pénurie de logements étudiants: «Je me prépare à dormir dans ma voiture à la rentrée»
À l’approche de la rentrée universitaire, les recherches de logement s’intensifient dans un contexte tendu, en raison de l’inflation et du retour des cours en présentiel. Étudiants et associations nous racontent cette mission (presque) impossible.
À chaque rentrée, la même galère pour les étudiants. Trouver un logement abordable, salubre et proche du lieu d’étude représente un véritable défi. Mais cette année, avec la reprise post-covid, la hausse des prix des loyers et le retour des cours en présentiel, le défi se transforme en véritable parcours du combattant.
«Les étudiants de deux ou troisième année reviennent comme s’ils venaient d’arriver à l’université, à devoir retrouver un job et un logement alors qu’entre-temps les prix ont fortement augmenté», observe Jael Duarte, Défenseure de locataires, en soulignant la vulnérabilité des étudiants face aux propriétaires.
Le prix des appartements au Nouveau-Brunswick a connu une hausse de 4,9% entre 2020 et 2021, d’après les dernières données de la Société canadienne d’hypothèque (SCHL), alors qu’elle n’atteignait que 3% en moyenne à l’échelle du pays, sur la même période. Depuis, le resserrement des taux d’intérêt a eu pour effet de refroidir le marché immobilier, entraînant une pression à la hausse sur le marché locatif.
«Maintenant les loyers à Moncton ressemblent aux prix des grandes villes comme Halifax et Montréal, c’est inquiétant pour l’activité universitaire», regrette Jean-Sébastien Léger, président de la Fédération étudiante du Campus universitaire de Moncton.
«Si pour les gens d’ici qui ont un véhicule c’est correct, ils peuvent habiter Moncton Nord ou Dieppe, mais pour les étudiants internationaux c’est assez dispendieux.»
Originaire de Saint-Jean, Bailey Owen a le plus grand mal à trouver un logement pour ses études à Moncton.
«J’ai l’impression que les gens ne veulent pas d’un jeune adolescent parce qu’ils pensent que nous sommes moins responsables», explique le jeune homme de 19 ans après plus de 8 mois de recherches infructueuses.
Découragé, il a demandé aux membres de sa famille de partager son annonce sur les médias sociaux, comme dernier espoir de trouver une solution.
«Si ça ne marche pas, je me prépare à dormir dans ma voiture à la rentrée. Je veux dire, évidemment, ce ne sera pas permanent, mais tant que l’état mental peut le supporter, je le ferai», dit-il froidement.
Les ressources personnelles et le réseau semblent finalement être la clé pour trouver un logement étudiant dans ce contexte de pénurie. Les annonces sur Facebook se multiplient, les conversations whatsapp s’activent, le bouche à oreille joue à plein pour trouver de la place avant septembre.
«On essaie de négocier pour les nouveaux arrivants de la communauté, en expliquant leur situation aux propriétaires», explique Pierre Emmanuel Nyope, représentant de l’Amicale des Camerounais de l’Atlantique, en ajoutant faire «appel aux compatriotes pour trouver des familles d’accueil en cas d’urgence».
Au-delà des difficultés immédiates, cette situation pourrait avoir d’importantes répercussions sur le parcours des étudiants.
«J’ai besoin d’avoir beaucoup de temps pour mes études, je ne peux pas me permettre de prendre un emploi à temps plein pour payer mon logement», réfléchit Bailey Owen.
«Le fait que ce soit des jeunes fait la différence, ils ont déjà beaucoup de choses à penser à ce moment-là», conclut Jael Duarte.
Les propriétaires et associations de propriétaires contactés pour cet article n’ont pas donné suite à nos sollicitations.
Quand acheter devient plus rentable
Si Myriam Cormier se sent révoltée face aux pratiques abusives de certains propriétaires, c’est pour mieux mettre en avant ses locateurs, qui lui font également office… de parents. Alors que son petit frère et elle prévoient étudier à l’Université de Moncton pour encore 4-5 ans, ses parents ont fait le choix stratégique d’acheter plutôt que de louer. Pour environ 2000 pieds carrés, elle paye moins de 500$ par mois, avec très peu de variations.
«C’est comme un prêt, mes parents ont acheté la maison et vont la revendre une fois qu’elle ne servira plus et on leur verse un loyer juste en fonction de l’hypothèque chaque mois.»
Si l’étudiante reconnaît qu’il faut avoir la chance de posséder des réserves avant, elle imagine que ses parents feront même une plus-value avec l’opération, les prix de l’immobilier ayant flambé depuis l’achat de la maison en 2018.
Les étudiants étrangers: des proies faciles
Sans ressources ni appuis au Canada, obligés de chercher un logement au dernier moment sans pouvoir se rendre sur place et en position d’infériorité face aux propriétaires du fait de la langue, tous les acteurs associatifs s’accordent à dire que les étudiants étrangers sont les principales victimes de cette situation de crise.
Certains sont obligés de changer leur projet d’étude, s’inquiète Mamadou Oury Diallo, Président du Conseil provincial des personnes d’ascendance africaine au Nouveau-Brunswick (CPPAANB), qui a alerté il y a deux semaines le Collège communautaire de Bathurst sur la situation.
«Il se sont déclarés eux-mêmes impuissants et ont simplement pu proposer aux étudiants de s’installer dans les villages alentour desservis par le bus.»
Face aux désespoirs des étudiants en recherche de logement et aux chambres libres dans de nombreux foyers, Pierre Thibault enrage.
«Dans les années 1970, il n’avait pas réellement d’endroits officiels où l’on louait des chambres. Les étudiants cognaient à la porte des maisons près du CCNB en demandant simplement au résident s’il n’aurait pas une chambre de libre pour l’accueillir», écrit-il sur Facebook pour partager cette idée le plus possible.
Il habite proche des campus d’Edmundston et accueille généralement deux étudiants, mais cette année les appels sont quatre fois plus nombreux, avec des mères en pleurs et des étudiants sans solutions. Il s’est donc résolu à mettre à disposition ses deux salons pour accueillir temporairement deux locataires supplémentaires.
«Les Canadiens sont plus exigeants alors les propriétaires ont généralement annulé ce service là il y a une quinzaine d’années. Pourtant depuis que j’accueille des étudiants étrangers, je voyage gratuitement depuis chez moi», raconte-t-il fièrement, en regrettant le fait que les gens soient aujourd’hui «plus refermés sur eux-mêmes».
La solution passera par le droit, appuie de son côté Jael Duarte, représentante des locataires de la province.
«Les étudiants internationaux sont des proies faciles pour les fraudes, avec même parfois des attitudes racistes», considère-t-elle en ajoutant qu’en cas de manquement, «le locataire doit toujours aller au tribunal». Elle en appelle donc à la mise en place d’une législation plus protectrice.