Une professeure en travail social à l’Université Dalhousie, Raluca Bejan, a écrit un rapport sur la vie de 14 travailleurs étrangers temporaires dans l’industrie de transformation des produits de la pêche au Nouveau-Brunswick. Ses constatations sont sombres.

La chercheuse n’a pas fait réviser son travail par ses pairs et ne compte pas le soumettre à une revue scientifique. Mme Bejan pense que ses découvertes seront plus lues et plus efficaces dans un rapport destiné au grand public.

Elle a enquêté sur les conditions de vie et de travail des travailleurs étrangers temporaires dans l’industrie de transformation des produits de la pêche au Nouveau-Brunswick pour l’institut de recherche TFW Maritimes.

Pour ce faire, Mme Bejan a collaboré avec d’autres chercheurs et l’Institut Cooper, un organisme militant pour la justice sociale. Elle a par ailleurs interrogé 14 immigrants employés dans des usines de transformation du homard et du crabe. Elle a aussi effectué une recherche documentaire (des demandes en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, par exemple).

 

Constats inquiétants

L’étude indique que les travailleurs ont fait face à de maigres salaires (13$ l’heure et 300$ par semaine) et que certains d’entre eux ont payé des frais à des intermédiaires afin d’obtenir un emploi au Nouveau-Brunswick. Les montants vont de 1000$ à 2000$.

Elle pointe les nombreux problèmes de logements fournis par des employeurs: surpeuplement, règles strictes, mauvaise hygiène, manque de connexion internet, températures basses, faible pression de l’eau courante, isolement.

La plupart des travailleurs payaient environ 150$ de loyer toutes les deux semaines et il était courant pour eux de vivre avec 10 à 20 autres personnes, a souligné Mme Bejan.

«C’est problématique d’avoir ces conditions au 21e siècle dans un pays comme le Canada, qui se targue des valeurs de droits de la personne et de multiculturalisme, et aussi d’un système d’immigration très solide.»

Mme Bejan trouve que des travailleurs ont subi du harcèlement, des menaces d’expulsion, des abus et une supervision injuste. Elle pense qu’ils avaient peur de dénoncer les faits et qu’ils ignoraient où trouver de l’aide.

Elle ajoute que des employeurs et des superviseurs ont dissuadé leurs salariés de chercher des soins de santé. D’autres auraient mal expliqué aux employés la couverture de leur assurance maladie.

Enfin, la professeure juge que des travailleurs ont subi de la discrimination sur leur lieu de travail ainsi que du racisme et de la xénophobie dans la collectivité.

«Même si les travailleurs étrangers temporaires constituent un élément indispensable de l’industrie de la transformation des produits de la mer, nos recherches ont révélé que les employeurs traitaient ces travailleurs comme s’ils leur rendaient service en les embauchant», indique le rapport.

«Pourtant, sans ces travailleurs étrangers temporaires, l’industrie de la transformation des produits de la mer ne serait tout simplement pas rentable.»

L’année dernière, Pêches et Océans Canada a indiqué que les exportations de fruits de mer du pays avaient rapporté 8,8 milliards $ en 2021, une augmentation de 36 % par rapport à 2020 et de 18 % par rapport au sommet précédent de 2019.

Méthode critiquée

«Je trouve ce rapport extrêmement injuste et exaspérant, réagit le directeur de l’Association des transformateurs de homard des Maritimes, Nathanaël Richard. Mon vécu, mon expérience, ne concordent en rien avec les constats qui s’y trouvent.»

Il cite en exemple Cap-Pelé (inclus dans la nouvelle Municipalité de Cap-Acadie). Le Village a accueilli des Philippins et des Mexicains, dont certains sont devenus résidents permanents. La collectivité a pris des initiatives pour faciliter leur intégration.

M. Richard craint que le rapport TFW Maritimes amène à tirer des conclusions sur toute l’industrie de transformation des produits de la pêche du Nouveau-Brunswick.

«Tout n’est pas parfait, mais ce portrait noir est déconnecté de la réalité. Les chercheurs ont adopté un point de vue très idéologique et ont fait des généralisations à l’emporte-pièce», s’emporte-t-il.

Le porte-parole des transformateurs de homard admet toutefois que les études sur les conditions de vie et de travail des salariés étrangers temporaires sont difficiles à mener dans son milieu.

«L’industrie aurait intérêt à être plus proactive à ce propos, avoue-t-il. Je fais de mon mieux pour encourager les membres de mon association.»

M. Richard admet également que les travailleurs temporaires étrangers, ayant le droit de travailler pour une seule entreprise, sont en situation de vulnérabilité par rapport à leur employeur. Il souligne néanmoins la protection offerte par les gouvernements du Canada et du Nouveau-Brunswick.

«La surveillance est élevée, avec des inspections impromptues, et avec raison», soutient-il.

Surveillance en question

Par exemple, le gouvernement fédéral exige que les employeurs fournissent aux travailleurs étrangers temporaires des renseignements sur leurs droits. Il interdit les représailles contre ceux qui portent plainte. Il tient aussi les employeurs responsables des recruteurs qui imposent illégalement des frais aux étrangers en échange d’un travail.

«Nous avons renforcé nos processus d’inspection. Nous avons aussi renforcé la ligne de signalement de Service Canada pour offrir de l’aide dans plus de 200 langues», ajoute Tara Beauport, attachée de presse de la ministre canadienne de l’Emploi.

Le ministère de l’Éducation postsecondaire, de la Formation et du Travail du Nouveau-Brunswick évoque aussi l’importance qu’il accorde aux travailleurs étrangers temporaires.

«Lorsque nous entendons des histoires de ce genre, c’est troublant et nous les prenons au sérieux, a déclaré son directeur des communications, Paul Bradley, à propos de l’étude de TFW Maritimes. Nous encourageons toute personne qui a des préoccupations au sujet de son milieu de travail à [nous] les signaler.»

Mme Bejan pense toutefois que le gouvernement provincial surveille trop peu les conditions d’emploi et de vie des travailleurs étrangers temporaires dans les usines de transformation de produits de la mer.

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