L'entrée du campus de Moncton de l'Université de Moncton, le 23 février 2023. - Acadie Nouvelle: Cédric Thévenin.
Université de Moncton: plus de 1000 personnes réclament un autre nom
Plus de 1000 personnes ont signé une lettre réclamant un nouveau nom pour l’Université de Moncton. Parmi elles se trouvent des gens de tous horizons, comme l’écrivaine Antonine Maillet, le politicien Kevin Arseneau et le politologue Gabriel Arsenault.
Le militant nationaliste acadien, Jean-Marie Nadeau, continue sa campagne pour changer le nom de l’Université de Moncton (U de M). Son dernier coup d’éclat est l’envoi d’une lettre à la direction de l’établissement: la chancelière Louise Imbeault, le président du Sénat académique Denis Prud’homme et le président du Conseil Denis Mallet.
Il a écrit sa missive avec l’ex-recteur de l’U de M, Jean-Bernard Robichaud. Il a réussi à la faire signer par plus de 1000 personnes. Parmi elles se trouvent l’écrivaine Antonine Maillet, le professeur de philosophie Alain Deneault, le sénateur René Cormier, le maire de Caraquet Bernard Thériault, la députée Francine Landry et l’ancien ministre Bernard Richard, par exemple.
Tous ces gens s’opposent à la référence à Robert Monkton dans le nom de l’université francophone du Nouveau-Brunswick. Cet officier de l’armée britannique a supervisé la Déportation des Acadiens en 1755.
«Historiquement, nos institutions adoptaient le nom d’un saint patron, pour signifier de qui on revendiquait la protection. Avons-nous troqué le nom d’un saint patron pour celui de notre oppresseur? Êtes-vous à l’aise, Madame la Chancelière, Monsieur le Président du Conseil, Monsieur le Président du Sénat académique de maintenir ce symbole d’assujettissement?», interrogent M. Nadeau et M. Robichaud.
Ils évoquent les statues déboulonnées, comme celle d’Edward Cornwallis à Halifax. Ils font aussi valoir les campus de l’université situés à Edmundston et à Shippagan.
«[L’U de M] a été créée «par et pour» le peuple acadien. Ceci n’exclut pas qu’elle accueille les francophones de la planète, soutiennent-ils par ailleurs. Notre Université est l’une des institutions phares de l’Acadie, la plus grande université de langue française en Amérique, à l’extérieur du Québec.»
Édith Butler
La chanteuse Édith Butler fait partie des signataires. L’octogénaire indique qu’elle a fait partie des premiers diplômés de l’établissement fondé en 1963, ayant obtenu son baccalauréat ès arts en 1964. Elle a étudié à l’ancien Collège Notre-Dame d’Acadie, dans l’actuel bâtiment du ministère des Pêches et des Océans.
«Je ne sais pas pourquoi les fondateurs de l’université ont choisi de faire référence à Moncton dans le nom de l’institution, raconte-t-elle. Ils ont peut-être voulu imiter l’Université de Montréal. Il n’y a pourtant pas besoin de chercher loin pour savoir que Monkton était un méprisable et un génocidaire.»
Elle juge que l’U de M a été créé par et pour les Acadiens. Elle souhaite que l’établissement ait un nom auquel ce peuple puisse s’identifier grâce à des références à ses valeurs et à son identité.
Sandra Le Couteur
Une autre chanteuse, Sandra Le Couteur, a signé la lettre de M. Nadeau et M. Robichaud. Elle souligne qu’elle-même, son conjoint et ses enfants ont étudié à l’U de M.
«Cette démarche citoyenne est une question d’identité, d’honneur et de courage, déclare-t-elle. Ça va montrer aux anti-francophones que nous nous tenons debout et que nous sommes icitte pour rester, malgré les bâtons qu’ils nous mettent dans les roues.»
Mme Le Couteur juge d’ailleurs que M. Nadeau a fait preuve de courage en rouvrant le débat par une chronique dans le Moniteur Acadien en février.
«Je remercie Jean-Marie d’avoir pris cette initiative. Il est digne de Jackie Vautour», applaudit-elle en référence au militant opposé aux expropriations lors de la création du parc de Kouchibouguac, dans les années 1970.
La chanteuse de la Péninsule acadienne croit par ailleurs que l’U de M pourra fédérer plus facilement les membres de la diaspora acadienne avec un nouveau nom. Elle espère que l’établissement récoltera ainsi plus de dons.
«Plusieurs noms sont possibles, réfléchit-elle à haute voix. LeBlanc et Robichaud sont ceux des deux plus grandes familles acadiennes déportées. Ça pourrait être ça… Quelqu’un va trouver.»
Gabriel Arsenault
Un professeur de science politique à l’U de M, Gabriel Arsenault, a déjà une idée du nom qu’il préférerait pour son établissement: l’Université de l’Acadie.
«Ça refléterait beaucoup mieux ce qu’est l’institution en pratique, explique-t-il. L’U de M n’est pas une université régionale comme l’Université de Sherbrooke (au Québec). Le territoire de référence pour ceux qui y travaillent est l’Acadie, même si ce territoire imaginaire et un peu flou n’est pas reconnu légalement.»
Le chercheur insiste sur la vocation nationale de l’U de M et sur l’importance des symboles.
«Il ne faut pas les sous-estimer, pense-t-il. Ce serait une erreur. Nous avons vu que les noms avaient leur importance pendant la réforme municipale. Par ailleurs, l’université Ryerson (à Toronto) a changé son nom (en avril 2022). Il y a un momentum. Jean-Marie Nadeau a le mérite de l’avoir senti.»
Kevin Arseneau
Le député du Parti vert du Nouveau-Brunswick, Kevin Arseneau, a aussi signé la lettre en faveur du changement de nom de l’U de M.
«Ce serait excellent d’affirmer la fierté acadienne par un nom qui nous représente mieux, dit-il. Notre institution rayonne à l’international. Une appellation qui reflète davantage notre francophonie et la société acadienne aurait une plus grande portée dans le monde.»
M. Arseneau affirme qu’il est prêt à effectuer le travail législatif nécessaire au changement de nom une fois que les citoyens auront tranché la question de sa pertinence.
«Il faudra un mécanisme de consultation, avance l’élu de Kent-Nord. J’y participerai en tant que citoyen. Quand le temps sera venu, je pourrai déposer un amendement à la Loi sur l’Université de Moncton, débattre et voter à l’Assemblée législative. Ça me fera plaisir.»
Un citoyen sceptique
Yves Doucet, un citoyen de Dieppe, est l’un de ceux qui sont sceptiques à propos de la pertinence de la controverse sur le nom de l’Université de Moncton.
«Je comprends d’où viennent le débat et les arguments de Jean-Marie Nadeau, souligne le diplômé de l’université. C’est aberrant qu’une grande université acadienne porte un nom associé à un tortionnaire de l’époque de la Déportation.»
L’homme originaire de Robertville, près de Bathurst, a toutefois toujours pensé que l’U de M tenait son appellation de la ville où se situe sa direction.
«Je trouve assez évident que l’université n’ait pas été nommée d’après une personne. L’origine de son nom est géographique, pas historique, juge-t-il. D’autres universités ont changé leur nom, mais celle de Ryerson par exemple, était appelée spécifiquement en référence à un homme (qui a participé à la création de pensionnats autochtones).»
M. Doucet ne s’oppose pas farouchement à un changement de nom de l’U de M. Il juge cependant le sujet peu important. Il préférerait que les citoyens, les personnalités et la société civile de l’Acadie du Nouveau-Brunswick se rassemblent pour militer en faveur de modifications des lois sur les langues officielles.
«Ça, ça a des conséquences très concrètes sur notre épanouissement», soutient-il.