La drag queen de Fredericton, Amour Love à la Bibliothèque publique de Grand-Sault, le 20 janvier dernier. - Gracieuseté: Stéphane Page
Une heure du conte drag fait jaser à Grand-Sault
Une activité de contes pour enfants lus par une drag queen à la Bibliothèque publique de Grand-Sault s’est attiré les foudres d’opposants des environs.
L’activité, qui s’est déroulée le 20 janvier, mettait en vedette la drag queen de Fredericton, Amour Love.
Il n’en fallait pas plus pour susciter l’ire de certaines personnes, dont Michelle Mercer qui est allée rencontrer les membres du conseil municipal de la Municipalité régionale de Grand-Sault, le 15 mars, afin de partager, de façon assez catégorique, son désaccord face à ce genre d’événement.
Lors de sa présentation, la dame a confirmé qu’elle avait fait une plainte à la bibliothèque, en plus de suggérer que ce genre d’activité soit carrément illégal.
Elle a ensuite fait la lecture d’une longue lettre où elle décrit ce genre de situation comme un mal qui s’est infiltré dans les écoles et les bibliothèques publiques et qui n’est pas sain pour le bien-être des enfants.
Tout en laissant entendre qu’elle ne comprenait pas pourquoi des hommes se costumant en femmes provocantes étaient utilisés pour divertir les enfants, elle est même allée jusqu’à dire qu’il s’agissait d’une pratique dangereuse qui pourrait changer la vie d’un enfant de manière significative.
Le conseil municipal de Grand-Sault a reçu la lettre de Mme Mercer. Elle fera l’objet de discussions au sein du groupe.
Pour l’instant, la Municipalité ne commentera pas l’intervention, surtout que l’activité dénoncée s’est produite dans une bibliothèque publique, un endroit qui est sous la supervision du gouvernement provincial.
Pour Gabriel Roy, un artiste drag bien connu dans la région du Madawaska, ce type d’intervention est évidemment ridicule.
Faisant référence à une loi adoptée dans l’État américain du Tennessee pour restreindre les spectacles de drag queen en les interdisant dans les lieux où ils pourraient être vus par des mineurs, le jeune homme d’Edmundston n’est toutefois pas surpris d’apprendre que ce que ce genre d’opposition se rende au Canada.
Des activités similaires ont également fait l’objet de manifestations un peu partout au Canada. L’une d’entre elles s’est produite à Moncton, le 11 mars. Des gens pour ou contre l’heure du conte drag se sont réunis devant la bibliothèque publique de Moncton.
«Le monde a tellement peur du changement et de l’inconnu. Ils veulent rester dans leur beau petit monde et ça fait leur affaire. Le monde n’est plus comme ça. Il faut évoluer.»
Celui qui a pris le temps d’écouter le discours de l’opposante aux heures du conte drag soutient que la dame tombe dans plusieurs stéréotypes associés aux spectacles d’artistes drag.
«Ce qui me fâche, c’est que les gens ont tendance à prendre des images de réseaux sociaux qui montrent un “show” de drag pour adultes en disant que c’est ce que l’on montre aux enfants. C’est hors contexte et ce n’est pas le reflet de la réalité.»
Bien qu’il n’ait jamais raconté d’histoires dans une bibliothèque publique, Gabriel Roy l’a déjà fait lors d’une activité familiale au Jardin botanique du Nouveau-Brunswick. Il soutient que son costume n’avait rien de provocant.
«J’avais une paire de pantalons et un chandail et j’étais maquillé en drag. J’ose espérer que la grande partie des drag queens peuvent faire la part des choses et s’adapter au contexte. De toute façon, les groupes qui nous sollicitent ont leurs propres consignes.»
«J’ai eu une vingtaine d’enfants qui sont venus écouter les histoires. Il y en a d’autres qui auraient voulu venir, mais les parents me regardaient presque comme si j’avais la peste. Ce sont souvent les parents qui ont un dédain pour ça.»
La formule d’une activité de l’heure du conte avec une drag queen demeure somme toute simple, estime Gabriel Roy. L’histoire en tant que telle est précédée d’une courte présentation plus personnelle visant à mettre l’enfant dans un contexte d’ouverture à la diversité.
«Je leur ai posé quelques questions et je leur ai parlé de mon intérêt pour le drag. Pour moi, ça reste une passion avant tout, pas un style de vie. C’est de l’art. Être drag queen, ce n’est pas nécessairement être transgenre. À partir du moment où tu expliques ça aux enfants, ils comprennent et passent à autre chose.»
L’artiste drag dénonce également le fait que la société ait un système à deux poids deux mesures, notamment envers les hommes qui souhaitent se déguiser en femme.
«On va souvent avoir moins de problèmes avec une fille qui a des allures plus masculines qu’avec un gars plus féminin. On va dire que si on porte du maquillage avec une perruque longue et une robe, c’est parce que l’on veut choquer. Je pense que les drag queens ont un rôle pour éduquer les gens à ce sujet.»
Pour chaque action il y a une réaction
Pour la professeure en psychologie de l’Université de Moncton, campus d’Edmundston, Sylvie Morin, les arguments de Gabriel Roy sont justifiés.
Selon Mme Morin, chaque avancée importante dans la société est accompagnée d’une part d’opposition.
«Quand on voit un petit peu plus d’ouverture se faire, souvent, il va y voir un contre mouvement qui va s’organiser où l’opposition sera très vocal.»
Comme l’art du drag est associé au mouvement LGBTQ2+ et remet en question les stéréotypes et les catégories de genre qui sont rigides, une montée aux barricades de la part de gens qui souhaitent le statu quo était prévisible, selon Sylvie Morin.
«Ça prouve qu’il y a encore beaucoup de sensibilisation à faire en ce qui concerne les enjeux LGBTQ2+», a-t-elle ajouté.
Le fait que, dans l’imagination populaire, elles sont souvent associées à une mise en scène sexuelle est aussi une raison, selon la psychologue, qui explique la réticence de certains à l’endroit d’activités sociales mettant en scène des drag queens.
Essentiellement, le costume d’une drag queen n’est pas très différent d’un autre costume porté par une personne chargée de divertir les enfants. Ce qui fait réagir autant les gens, selon Sylvie Morin, c’est que la drag queen vient remettre en question les stéréotypes de genre dans une société qui se définit encore beaucoup par l’hétérosexualité.
«Si c’était perçu comme un costume, ou une façon de divertir les enfants, ça ne ferait pas autant réagir.»
Elle ajoute cependant que si l’intervention est bien adaptée aux enfants, une activité anodine comme l’heure du conte peut être bénéfique dans le processus d’apprentissage des enfants.
«Ça montre que si un enfant ne se reconnaît pas dans les stéréotypes et les codes associés à son genre, ce qui est attendu de lui comme garçon ou d’elle comme fille, ça va leur donner un modèle leur permettant de sortir de ces boîtes-là.»
«Ça leur envoie le message qu’il y a une ouverture dans la société et qu’ils peuvent être en sécurité en étant ce qu’ils ou elles veulent être.»
Pour Mme Morin, dans un contexte où les gens de la communauté LGBTQ2+ sont plus à risque de développer des idées suicidaires, des activités liées à l’inclusivité, comme l’heure du conte drag, peuvent aider à prévenir des problèmes de santé mentale.
Selon elle, ces modèles différents peuvent aussi aider à réduire les problèmes d’intimidation étant donné que les enfants seront plus sensibles à la diversité.
Elle réfute aussi l’argument qu’une activité liée à la diversité sexuelle et de genre est utilisée pour les pousser vers ces identités.
«Si le fait d’être exposé à des modèles faisait en sorte que l’on développe une identité de genre ou une orientation sexuelle, tout le monde serait hétérosexuel, car, pendant longtemps, c’était le seul modèle que l’on voyait.»