Les salons de l’emploi favorisent la rétention des immigrants francophones dans la ville de Moncton. - Gracieuseté
Moncton: une destination de prédilection pour les nouveaux arrivants
Un immigrant sur quatre dans le Grand Moncton est francophone. C’est ce que révèle un rapport rendu public récemment par la Ville de Moncton.
En 2022, la région métropolitaine de recensement de Moncton a fracassé des records, avec le taux de croissance démographique le plus élevé de tous les centres urbains de taille moyenne et de grande taille au Canada (derrière Saskatoon) non seulement pour l’an dernier, mais aussi pour les 20 dernières années.
Ce fort taux de croissance est presque entièrement attribuable à l’augmentation du nombre d’immigrants et de résidents non permanents qui arrivent – et restent – dans la région.
Le rapport sur la population des nouveaux arrivants, déposé par le cabinet Jupia Consultants Inc. de Moncton et financé par les Villes de Moncton, de Dieppe et de Riverview, nous apprend qu’en 2021, 18 120 immigrants et résidents non permanents habitaient dans le Grand Moncton, ce qui en fait une destination de prédilection pour les nouveaux arrivants qui s’établissent au Canada.
Un total de 4700 nouveaux arrivants (incluant les résidents non permanents comme les étudiants étrangers) et immigrants sont des francophones, soit environ 38,5% de l’immigration totale dans la région.
Plus de 52% de l’immigration francophone au Nouveau-Brunswick ont choisi le Grand Moncton comme destination de choix. La population totale dans la région a fait un bond de 8800 en 2022, soit une hausse de 5,4%.
Entre 2016 et 2021, le nombre d’immigrants dans le Grand Moncton a connu une croissance de 87%.
Selon des chiffres de 2021, les immigrants et les résidents non permanents représentaient respectivement 15%, 12% et 7% de la population de Moncton, de Dieppe et de Riverview.
Tous ces nouveaux arrivants représentent une manne pour les employeurs de la région, mais un sérieux défi pour des milieux qui souffrent de pénuries, comme les écoles et les hôpitaux.
Malgré tout, Angélique Reddy-Kalala parle d’une très bonne nouvelle.
«C’est vraiment mieux d’avoir un défi de croissance qu’une population en déclin. Mais c’est aussi important que tous les services soient également en croissance pour bien servir la population», explique l’agente de la stratégie d’immigration de la ville de Moncton.
«On a besoin de plus de logements. On sait que le gouvernement travaille aussi vraiment fort pour amener des infirmières pour travailler ici. Il y en a aussi qui travaillent dans nos écoles et dans le transport en commun», précise-t-elle.
«La croissance nous apporte des défis, mais aussi beaucoup d’opportunités.»
En 2022, le Grand Moncton a dépassé sa projection de forte croissance de l’immigration de 2024. Alors qu’elle prévoyait d’accueillir 3500 nouveaux résidents permanents, la région en a finalement accueilli 4585.
La professeure de linguistique au Département d’études françaises de l’Université de Moncton, Isabelle Violette, estime que les nouveaux arrivants représentent une richesse culturelle, linguistique et économique.
«C’est certain que ça soutient la vitalité de la communauté francophone», souligne-t-elle.
Mais elle insiste sur l’importance de maintenir la dualité linguistique en santé et en éducation, mais aussi d’investir dans les institutions et dans la vie culturelle qui viennent soutenir la vie économique.
«Si on n’a pas ce soutien institutionnel en français, les enfants des nouveaux arrivants vont rapidement passer à l’anglais. Ce n’est pas parce que ce sont de nouveaux arrivants que les facteurs d’assimilation ne vont pas peser sur eux», indique Isabelle Violette.
La sociolinguiste parle donc de l’importance de centres d’accueil avec des gens qui connaissent bien la communauté francophone et les institutions pour les guider aux bons endroits.
«Les communautés francophones en situation minoritaire fonctionnent souvent en forme de réseau. Ce ne sont pas nécessairement des territoires bien établis, mais plutôt des espaces de vie», explique-t-elle.
«Et ce n’est pas toujours évident pour les gens qui viennent de l’extérieur de savoir où se passe la vie en français.»
L’importance de la rétention
Pour le politologue Christophe Traisnel, c’est l’amélioration des structures d’accueil qui explique cet afflux de nouveaux arrivants francophones dans le Grand Moncton.
«Cette immigration francophone est attribuable aux gros efforts d’organismes qui se sont développés au cours des 15 ou 20 dernières années. On a vu dans le Grand Moncton la création d’une vraie culture de l’accueil en français», explique-t-il.
«Il y a 20 ans, l’accueil des immigrants se faisait essentiellement en anglais, alors que maintenant, on a le Cafi et l’Université de Moncton qui fait aussi beaucoup d’efforts pour mettre en contact les étudiants internationaux avec le marché du travail.»
Mais le principal défi demeure la rétention de tous ces francophones qui débarquent principalement à Moncton et à Dieppe.
«C’est un problème depuis assez longtemps. C’est quelque chose qui touchait beaucoup la région de l’Atlantique. Mais on s’aperçoit que les choses changent.
Selon lui, la région de Moncton a atteint une masse critique qui favorise cette rétention.
«Il y a maintenant une grande diversité du tissu économique qui fait que les immigrants ont tendance à rester ici de plus en plus. On est maintenant quelque chose comme une grande ville.»
Autrement dit, la diversité attire la diversité, mentionne le professeur de sciences politiques à l’Université de Moncton.
«Le tissu économique divers nous apporte une certaine attractivité, tout comme cette culture de l’accueil. Il y a 20 ans, on avait très peu d’immigrants à Moncton. Les gens étaient très peu habitués à employer quelqu’un qui ne faisait pas partie de leur réseau immédiat», précise-t-il.
«Au fur et à mesure qu’on voit plus d’immigrants dans l’environnement social proche, on est rassuré par rapport aux compétences et au savoir-faire de ces immigrants qui font leurs preuves.»
Une bonne nouvelle, mais…
Le président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Alexandre Cédric Doucet, accueille favorablement ces données, mais il remarque que c’est encore bien insuffisant pour maintenir le poids démograpĥique des francophones au Nouveau-Brunswick.
Selon l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, le nombre de francophones se situait à 31,9% en 2016, alors qu’il était de 33,8 en 1971.
«Tant et aussi longtemps qu’on n’atteint pas nos cibles et nos objectifs, on entre dans des politiques d’immigration assimilatrices. Et ce n’est certainement pas la faute des gens qui travaillent en immigration à Moncton.»
Selon lui, le problème est la centralisation des pouvoirs en immigration dans les mains du gouvernement fédéral.
«Tant que le gouvernement provincial n’est pas capable de s’accaparer de beaucoup plus d’autonomie en immigration et de centraliser ce pouvoir dans des régions comme Moncton, Caraquet ou Edmundston, on aura encore de la difficulté à recruter et retenir des immigrants francophones», explique-t-il.
«Si le gouvernement provincial veut vraiment faire une différence en immigration francophone, il doit arrêter de parler de cibles et d’objectifs et commencer à parler d’autonomie. Il doit aller chercher beaucoup plus de pouvoirs en immigration auprès du gouvernement fédéral», ajoute le président de la SANB.
«C’est exactement ce que le Québec fait depuis les années 1970.»
Selon lui, les municipalités ne peuvent pas faire grand-chose pour augmenter le pourcentage d’immigrants francophones sur leur territoire.
«En toute honnêteté, je pense que les municipalités font bien leur travail. Mais tant que le provincial ne leur donnera pas les outils, donc l’argent nécessaire pour faire le recrutement et la rétention des immigrants francophones, ils ont malheureusement les mains liées.»