NDLR: À quoi ressemble l’agriculture au N.-B.? Comment cette profession a-t-elle évolué au cours des dernières décennies et quel sera le visage de la ferme néo-brunswickoise de demain? Au cours des derniers mois, notre journaliste Justin Dupuis est allé à la rencontre de Néo-Brunswickois qui vivent de ce métier. L’Acadie Nouvelle vous présente le fruit de ses recherches tous les mardis et mercredi d’août.

Depuis de nombreuses années, l’âge moyen des agriculteurs au Nouveau-Brunswick ne cesse d’augmenter. Pour comprendre ce qui motive les plus jeunes à sauter les deux pieds dans la terre, l’Acadie Nouvelle est partie à la rencontre de la nouvelle génération d’agriculteurs.

C’est devenu un cliché de dire que les agriculteurs sont vieillissants. N’empêche, les statistiques du recensement de l’agriculture 2021 confirment la tendance.

Au Nouveau-Brunswick, l’âge moyen des agriculteurs est passé de 56 ans à 57 ans en cinq ans.

Le nombre de personnes de moins de 35 ans pratiquant ce métier a lui aussi chuté, passant de 270 en 2016 à 165 en 2021, soit 6,7% des 2475 fermiers de la province.

La directrice générale du chapitre néo-brunswickois de l’Union Nationale des Fermiers, Suzanne Fournier, dit observer que les plus jeunes qui se lancent aujourd’hui en agriculture le font surtout par conviction.

«C’est une population vieillissante, sans aucun doute. On voit toutefois que plusieurs nouveaux membres chez nous sont des gens qui n’ont pas grandi sur une ferme et qui ont commencé à s’intéresser à l’alimentation d’une autre manière. Ce sont des passionnés et ils veulent faire les choses autrement, faire des changements, c’est emballant.»

C’est notamment le cas de Rébeka Frazer-Chiasson qui, après avoir terminé un baccalauréat en mondialisation et justice sociale, a décidé de revenir sur la ferme familiale à Rogersville, en 2012, afin de lancer une culture de fraises biologiques avec son père, Jean-Eudes Chiasson.

«Mes études touchaient beaucoup à des questions de souveraineté et de justice alimentaire et ça me ramenait beaucoup à la ferme, explique la femme de 34 ans. Je vois beaucoup de jonctions entre l’agriculture entre différents enjeux, que ce soit le féminisme, le droit des travailleurs, les coopératives, la souveraineté alimentaire.»

Quelques années après, Kevin Arseneau et Pierre-Olivier Brassard se greffent au projet et la Coopérative Ferme Terre Partagée voit officiellement le jour en 2018, une initiative inspirée par l’agroécologie paysanne qui souhaite promouvoir la production et la consommation d’aliments locaux.

«Les jeunes veulent en vivre, mais il y a un désir de nourrir leur communauté et d’avoir un lien avec elle. Je crois que c’est assez différent comme perspective», analyse Pierre-Olivier Brassard, 38 ans.

Lucille Doiron, 26 ans, en est à sa deuxième année de travail sur la Ferme Nikkal, une petite production biologique de la Péninsule acaidenne lancée il y a quelques années par son conjoint Brian Légère. Détentrice d’une maîtrise en environnement, la jeune femme souhaitait elle aussi avoir un impact positif dans sa communauté.

Son mémoire de maîtrise, qui porte sur la manière dont la Péninsule acadienne pourra s’adapter aux changements climatiques, prône notamment d’augmenter la résilience alimentaire de la région en misant sur de petites productions biologiques.

Faire de l’agriculture de cette façon «apporte beaucoup d’impacts positifs» sur l’environnement puisque la vente se fait directement aux clients. Les aliments ne parcourent ainsi pas des milliers de kilomètres avant d’arriver dans l’assiette des consommateurs, dit Mme Doiron.

«On fait une agriculture axée sur la communauté qui va nourrir les gens. Tout ça est tellement complet, c’est ça qui me fait triper, ça correspond à mes valeurs, donc je suis très heureuse de faire ça», se réjouit-elle.

Des revenus en chute

Depuis les 80 dernières années, les revenus des agriculteurs sont en chute libre. D’après des données de l’Union Nationale des Fermiers, les agriculteurs du Nouveau-Brunswick gardaient près de la moitié de chaque dollar de revenu gagné entre 1941 et 1983. Depuis, cette proportion a chuté à 7%.

Le recensement de l’agriculture de 2021 indique d’ailleurs que plus de la moitié, soit 57%, des exploitations agricoles au Nouveau-Brunswick ont des revenus d’exploitation de moins de 50 000$.

D’après Suzanne Fournier, «cette crise des revenus» explique certainement pourquoi si peu de jeunes se lancent en agriculture.

Jean-Eudes Chiasson, qui a plus de quarante ans d’expérience dans le secteur agricole, note pour sa part qu’il est aujourd’hui très difficile pour les jeunes de s’établir en tant qu’agriculteur puisque leurs fermes, souvent très petites, «ne tiennent qu’à un fil et une mauvaise année suffit» pour les couler.

C’est ce qui fait dire à Pierre-Olivier Brassard qu’il faudra des aides financières et revaloriser les métiers de la ferme si on souhaite réellement y attirer plus de jeunes. Mais comment y arriver lorsque la société et les gouvernements ont négligé de le faire pendant aussi longtemps? demande-t-il.

«Quand j’étais à l’école, devenir fermier, ce n’était pas présenté comme une option viable, raconte Alexis Légère, un agriculteur de 27 ans de Bertrand. On disait que c’était une manière de rester pauvre pour le reste de tes jours.»

Ce genre de discours est présent depuis des décennies, se souvient Jean-Eudes Chiasson, qui est aujourd’hui âgée de 65 ans

«Je me souviens, ma mère disait qu’on pourrait travailler au bois ou être fermier si on ne pouvait pas faire autre chose, c’était comme un dernier recours. Je crois que c’est une mentalité qui était répandue et ç’a été néfaste pour l’agriculture chez les Acadiens.»

Le Nouveau-Brunswick est l’une des seules provinces canadiennes où il est impossible de faire des études supérieures en agriculture, ajoute-t-il.

«Quand on ne sème rien, on ne récolte rien», dit M. Chiasson avec philosophie.

Encourager la prochaine génération?

Du côté du gouvernement provincial, on dit reconnaître «l’importance d’encourager la prochaine génération de fermiers».

La ministre de l’Agriculture, de l’Aquaculture et des Pêches, Margaret Johnson, a refusé d’accorder une interview à ce sujet, mais dans un courriel envoyé par une porte-parole du ministère, on précise que l’un des piliers du plan d’autosuffisance alimentaire de la province porte sur l’éducation et la formation.

«Nous collaborons avec le ministère de l’Éducation postsecondaire, de la Formation et du Travail, le ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance, les établissements postsecondaires et les associations de l’industrie afin d’élaborer des solutions, peut-on lire dans la réponse attribuée à Mme Johnson. Plusieurs projets sont en cours dans le système d’éducation de la maternelle à la 12e année, dont le programme d’agriculture en salle de classe, qui met de l’avant les perspectives de carrière en agriculture.»

logo-an

private

Vous utilisez un navigateur configuré en mode privé ou en mode incognito.

Pour continuer à lire des articles dans ce mode, connectez-vous à votre compte Acadie Nouvelle.

Vous n’êtes pas membre de l’Acadie Nouvelle?
Devenez membre maintenant

Retour à la page d’accueil de l’Acadie Nouvelle