Édith Butler et Lise Aubut forment un tandem artistique depuis 50 ans cette année. - Gracieuseté: Lise Aubut
Édith Butler et Lise Aubut: un tandem créatif uni depuis 50 ans
Il est rare qu’un artiste en rencontre un autre et que leur union passe à travers les époques et les années sans jamais se lasser ni tomber dans la redite. Celui d’Édith Butler et Lise Aubut, qui est né il y a tout juste 50 ans, est certainement l’une de ces glorieuses exceptions.
C’était le 19 janvier 1973. Sur les conseils de l’un des dirigeants de la maison de disque au sein de laquelle Édith Butler était en train d’enregistrer son tout premier album, Avant d’être dépaysée, Lise Aubut est allée faire un tour en studio. Celle qui, auparavant, avait travaillé en France avec des légendes telles que Barbara, Serge Reggiani ou encore Anne Sylvestre, ne savait absolument pas, à ce moment-là, qu’elle allait faire la connaissance d’une chanteuse qui allait radicalement modifier son parcours – et inversement.
«C’est seulement lorsque ce directeur m’a téléphoné et m’a dit: “nous, on sait ce que tu as fait en Europe et on veut signer deux chanteuses francophones; en plus, on aimerait que tu t’occupes de l’une des deux”. L’une, c’était Édith, et l’autre, c’était Catherine Lara. Je suis allée voir Édith en studio et je l’ai choisie», se souvient Lise Aubut pendant un entretien vidéo auquel prend également part Édith Butler.
À cette époque, l’auteure-compositrice-interprète acadienne roulait déjà sa bosse depuis déjà quelques années, mais sans but précis.
«Avant de rencontrer Lise, je ne pensais pas du tout “carrière”. Je n’étais pas une hippie, mais je vivais comme une hippie, avec mon truck, ma guitare, ma musique à bouche et je faisais le tour du Canada pour chanter tout en m’amusant. Quand j’ai rencontré Lise, au moment où j’enregistrais mon premier album, elle a commencé à structurer ma carrière», raconte la principale intéressée.
Un rendez-vous qui a bien failli ne jamais avoir lieu. Elles s’étaient brièvement croisées quelques années plus tôt à Moncton, en 1968. Édith Butler devait faire la première partie d’une chanteuse française nommée Eva – dont le prénom n’aurait pas pu mieux rimer avec «diva», à la lumière des commentaires des deux comparses ainsi que les quelques lignes de ce court épisode mentionné dans la biographie écrite par Lise Aubut d’Édith Butler, La fille de Paquetville, parue en 2014.
La jeune Acadienne, du coin de la salle où elle attendait patiemment de pouvoir monter sur scène, a aperçu la petite blondinette Lise – qui ne s’était pas du tout aperçu que quelqu’un l’observait à cet instant précis – s’affairer à quelques réglages sur les planches, ainsi qu’à tempérer les caprices de celle qu’elle représentait à l’époque. Quelque temps plus tard, la célèbre animatrice Michelle Tisseyre, qui avait vu la prestation d’Édith à Moncton, a vanté à l’imprésario les qualités de cette Acadienne au bagou unique. Une simple note dans son carnet et cette dernière est rapidement passée à autre chose.
Une vision, une mission
Or, ce 19 janvier 1973, tout a changé, pour l’une et pour l’autre.
«J’ai choisi Édith parce que, pendant qu’elle chantait, j’ai eu une vision: un grand écran de cinéma avec “Olympia de Paris” écrit dedans et dans lequel je voyais apparaître Édith habillée tout en blanc avec un ceinturon rouge. J’ai compris à ce moment-là que c’était ça que j’avais à faire», souligne Lise Aubut, adoubée d’un regard souriant d’Édith Butler.
Rapidement, les deux femmes se sont découvert une connivence et une complémentarité ainsi qu’un but commun: célébrer l’Acadie sur toutes les scènes du monde.
«J’ai été profondément touchée par son histoire. Édith se battait déjà pour mettre l’Acadie sur la mappemonde. Elle me racontait l’histoire de l’Acadie, de la Déportation, toutes ces choses qui avaient blessé tant de générations et qui s’étaient transmises jusqu’à elle. Édith voulait faire éclater ça, pour dire aux gens “soyez fiers de cette culture-là, c’est tellement extraordinaire ce que les Acadiens ont réussi à faire”. Ça m’a beaucoup parlé, et j’ai commencé à écrire des chansons avec elle sur ces thématiques-là.»
Une autre cinquantenaire: la chanson Paquetville
On connaît la suite: quelque 250 chansons, dont plusieurs grands succès comme Hymne à l’espoir, Un million de fois je t’aime, J’étions fille du vent et d’Acadie, Je m’appelle Édith – récompensée par l’Académie Charles Cros à Paris –, de même que l’inoubliable Paquetville, qui célèbre par ailleurs elle aussi ses 50 ans cette année.
«Elle écrit en mots exactement ce que je pense. L’histoire de l’Acadie est ancrée au plus profond de moi et cette histoire-là se poursuit, même celle du passé et les répercussions que ça a sur moi-même, même encore de nos jours. Et Lise a tout compris ça, car j’ai quelque chose à dire et je vais continuer de le dire jusqu’à mon dernier souffle!», lance Édith Butler d’un air assuré.
Cette belle aventure a parfois été rude, surtout dans les débuts, car dans les années 1970, l’Acadie était à peu près inconnue du public hors-les-murs.
«Les journalistes de l’époque mêlaient l’Acadie avec la Gaspésie; on partait vraiment de loin», affirment-elles en chœur.
Ce combat que celui de répandre la bonne nouvelle de l’Acadie à travers le monde, nous pouvons dire sans nous tromper qu’Édith Butler et Lise Aubut l’ont gagné.
«Édith est allée tellement loin dans son projet qu’aujourd’hui, même si elle apparaît en ne disant rien, c’est l’Acadie qui apparaît. Antonine Maillet mentionnait à la toute fin d’un long texte qu’elle avait écrit je ne me souviens plus trop dans quel contexte que de toute façon, l’Acadie, c’est Édith. Édith, c’est le peuple acadien avec sa joie de vivre, avec sa peine ancienne, dans sa résilience, qui veut bâtir l’avenir», exprime Lise Aubut avec vivacité.
«C’est un énorme succès de nos vies!», s’exclame Édith avec les yeux pétillants.
«Ce succès-là, ajoute-t-elle avec insistance, ce n’en n’est pas un de carrière ou de ventes de disques même si j’ai eu ça aussi, mais notre succès, c’est vraiment celui de nos vies, d’avoir réussi coûte que coûte à faire ce que nous voulions faire pour l’Acadie.»
«Nous avons suivi notre cœur et notre instinct, relève Lise Aubut. Nous n’avons jamais triché; nous sommes toujours restées nous-mêmes. Nous avons défendu des valeurs d’harmonie, de paix et d’ouverture d’esprit auxquelles nous croyions et continuons de croire, nous avons suivi notre mission et celle-ci continue. Cette mission est en nous naturelle et elle ne s’étiole pas.»
Un succès qui se mesure aussi, renchérit Édith, par la complicité liant ces deux femmes généreuses et passionnées qui n’hésitent pas non plus à s’associer à de nouvelles générations d’artistes, comme ce fut le cas tout récemment avec Lisa LeBlanc pour l’album Le tour du grand bois, un projet «fantastique» aux yeux de Lise Aubut l’imprésario, à la suite duquel une profonde amitié est née entre elles trois.
Et la suite? Édith Butler et Lise Aubut l’envisagent au jour le jour, au gré du vent de l’Acadie qui les inspire depuis 50 ans, de cette flamme créatrice qu’elles partagent et qui demeure allumée sans jamais vaciller.
«Nos vies se sont imbriquées dans une créativité qui a un sens», déclare Lise Aubut.