Si Denise Bombardier ne savait pas que la francophonie canadienne était toujours vivante, elle l’aura appris depuis deux semaines. Le tollé suscité par ses propos détonants, lors de son passage à Tout le monde en parle, le 21 octobre, en atteste.

S’exprimant ensuite sur ce tollé, elle a glissé que les francophones du Canada avaient la peau sensible.

OUI, ils ont la peau sensible! Très sensible, même. À force d’être perpétuellement soupçonnés de mort annoncée, ils ont développé une allergie épidermique aux «fake news» qui sonnent comme un rapport d’autopsie. Qu’on se le tienne pour dit!

NON, ils ne sont pas morts. La preuve: ils ont rabroué fermement la glapissante Denise. D’habitude, les morts sont silencieux. La francophonie canadienne est donc bien vivante. Et bien hurlante!

La francophonie réagit, et je m’en réjouis, même si je n’ai pas ressenti d’outrage particulier devant ces propos, vu que je vis en français, tout simplement, sans demander la permission à personne, et que je reste de glace devant mes avis de décès.

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Beaucoup de porte-paroles de la francophonie canadienne ont répondu à la vilaine Cruella médiatique à coup d’arguments qui mettaient en lumière le fait français canadien actuel, avec ses progrès et ses défis. C’était la réponse appropriée.

En revanche, dans les médias sociaux, on a brûlé la sorcière du jour.

J’ai été littéralement bouleversé par la violence de certains propos à l’égard de la journaliste controversée. Et devant l’ampleur des appels à la museler lancés urbi et orbi.

Là, on n’est plus dans la réaction épidermique: on est dans le refus du discours pluraliste, on est en faveur de la censure. On est contre la liberté de penser.

Et cela me fait beaucoup plus peur que toutes les prophéties bourgeoises de Madame sur la mort de la francophonie canadienne!

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Derrière son écran, il est facile de tapocher des «ennemis» imaginaires afin de se donner de la bravoure, comme le fait l’infortuné Don Quichotte.

Mais les vrais ennemis de la francophonie canadienne, les forces capables de la miner, cette francophonie, sont à chercher non pas dans quelques propos abrasifs de souverainistes déconfits, mais du côté des pouvoirs publics qui résistent à faire respecter la prestation de services en langue française pourtant garantis par des lois.

Ils sont à chercher du côté des gouvernements qui tiennent la francophonie en otage, à coup de subventions âprement négociées, de programmes pour «minoritaires» à bout de souffle, et de quelques figurations lors d’événements censés célébrer la fameuse mosaïque canadienne de plus en plus craquelée.

Ils sont à chercher du côté des gouvernements qui refusent d’imposer l’affichage bilingue aux grosses sociétés qui se fichent de la langue du consommateur dans les régions francophones minoritaires.

Ils sont à chercher du côté de la mondialisation qui nivelle les identités culturelles, au moment crucial où nous sommes sous perfusion anglicisante de l’internet dans notre vie quotidienne.

Bref: s’il n’y a pas lieu de la déclarer morte, la francophonie canadienne a quand même quelques problèmes de santé. CQFD.

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Cela étant, force est de reconnaître que l’Acadie a un statut particulier dans la francophonie canadienne.

Il y a plusieurs lustres, elle a eu la sagesse de porter au pouvoir des politiciens visionnaires d’envergure, Louis Robichaud et Richard Hatfield, qui ont laissé un héritage politique substantiel et pérenne, comme en font foi les lois de la province et la Constitution canadienne actuelles.

Aucune autre province n’a jugé bon et équitable à l’époque de faire la même chose. Les quelques mesures législatives obtenues ensuite par les francophones des autres provinces l’ont été à l’arraché.

Mais combien de temps, d’efforts, d’énergie, d’espoir et de courage les francophones doivent-ils maintenant consentir – gaspiller, plutôt – pour faire respecter les lois qui les protègent, y compris la Constitution?

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Au Niou-Brunswick, on vient de passer des semaines à se faire peur sur l’arrivée à l’Assemblée législative d’un parti politique qui claironne son anti-bilinguisme et son anti-dualisme.

Pourquoi se sent-on si menacé par quelques esprits obtus qui n’ont pas le pouvoir de renverser le cours des choses en matière de législation linguistique dans la province?

Une société parfaitement sûre d’elle-même, branchée sur le reste de la planète, confiante dans son épanouissement et son rayonnement, ne se ficherait-elle pas éperdument de ces empêcheurs de danser en rond et autres prophètes de malheur cancanant sur sa disparition éventuelle?

Ce qui ne saurait la dispenser, cependant, d’oser faire preuve d’un minimum d’autocritique, entre deux éblouissements salués de bravissimo pathétiques, devant un slogan horriblement poche comme «right fiers» qui dit mieux que toutes les Denise Bombardier du monde le péril assimilateur qui squatte sur le seuil de l’avenir acadien.

À preuve: selon Statistiques Canada (2011), à l’extérieur du Québec «environ 50% des enfants dont au moins un parent a le français comme langue maternelle se sont vu transmettre l’anglais comme langue maternelle». CQFD, bis, hélas.

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Une solution: ÉDUCATION!

Éducation SOUTENUE en français des parents à leurs enfants.

Éducation scolaire SOLIDE en français.

Éducation supérieure EXIGEANTE en français.

On entend souvent dire qu’il faut transmettre la fierté de la culture acadienne aux enfants. Commençons par leur inculquer une connaissance fertile de la langue française, leur langue, et la fierté suivra d’elle-même.

À quoi sert d’être fier de sa culture quand on hésite à le dire dans sa langue?

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On peut aussi en faire un grand projet pancanadien appuyé par des institutions proactives et des gouvernements intelligents.

Pourquoi pas des États généraux du fait français au Canada?

Une sorte d’aggiornamento, de mise à jour de la grande francophonie canadienne contemporaine?

Ensuite, on pourrait parler d’égal à égal avec le Canada. Et avec le Québec!

C’est ainsi que la francophonie canadienne aura enfin les coudées franches.

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Entre-temps, l’Acadie ne va pas mourir. Mais elle va se transformer.

À l’Acadie de décider si elle veut se déguiser en Lord Durham ou si elle veut créer une myriade de petits Louis Robichaud.

Nul n’aura besoin, ensuite, de brûler des sorcières imaginaires sur la place publique. Même en ce jour d’Halloween.

Han, Madame?

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