Le premier ministre Blaine Higgs. - Gracieuseté: GNB
Blaine Higgs et l’art de s’«auto-pelure-de-bananiser»
Les deux dernières semaines ont été remplies d’annonces majeures sur la scène politique néo-brunswickoise. Trois d’entre elles, les réformes en matière de gouvernance locale, des soins de santé et de la réglementation du monopole d’État d’Énergie NB, ont fait couler bien de l’encre et continueront de le faire, y compris dans l’espace réservé à cette chronique.
Cette pluie d’annonces a cependant quelque peu éclipsé un autre développement majeur, soit la fin de la grève de plus de 20 000 employés représentés par le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).
Il y a deux semaines, à l’annonce de leur entente de principe avec le gouvernement de Blaine Higgs, les dirigeants de la SCFP étaient jubilants. Leur joie était comprenable: ils venaient de gagner sur toute la ligne, particulièrement sur l’enjeu central des salaires.
Comment les évènements ont pu prendre cette tournure est une histoire sur laquelle il vaut la peine de revenir afin d’en tirer de précieuses leçons.
On se rappellera que, peu après sa réélection en septembre 2020, le premier ministre s’était empressé d’imposer aux employés non-syndiqués de son gouvernement un gel salarial d’un an suivi de maigres hausses annuelles d’un pour cent sur trois ans. Il avait alors également mis en garde les employés syndiqués qu’ils ne perdaient rien pour attendre, qu’ils subiraient le même sort à la table de négociation.
Le SCFP a été décrit par plusieurs comme étant radical avec sa demande d’augmentations salariales annuelles de cinq pour cent. La réalité, cependant, c’est que le SCFP n’a pas commencé ainsi. En septembre de l’an dernier, le SCFP avait conclu une entente de principe avec Alcool NB prévoyant des augmentations de salaire annuelles d’à peine 1,8% (9% sur cinq ans). Higgs avait alors cependant posé un geste sans précédent en annulant cette entente, sous prétexte qu’elle n’était pas conforme à la directive sur les salaires qu’il venait alors d’annoncer.
Dans presque toute véritable négociation, la position de l’un dépend de celle de l’autre. Typiquement, la modération attire la modération et le radicalisme suscite le radicalisme. L’annulation de l’entente de principe avec Alcool NB pouvait difficilement être interprétée par le SCFP comme un geste de modération et d’ouverture de la part de Higgs. Il n’est donc pas surprenant que le SCFP ait répondu à la posture radicale du premier ministre en adoptant une posture semblable.
L’opinion publique joue un rôle important dans l’issue des conflits de travail dans le secteur public. De nombreux facteurs peuvent l’influencer. Au milieu d’une pandémie, il est normal que les gens sympathisent avec le sort des employés de première ligne. De même, avec l’évolution récente du niveau des prix, plusieurs ont sans doute trouvé raisonnable la demande du SCFP pour des hausses annuelles de trois pour cent, même si celles-ci risquent de s’avérer bien au-delà de l’inflation moyenne au cours des périodes couvertes par la plupart des conventions collectives.
Enfin, et c’est peut-être ce qui importe le plus, le public risque de se montrer plus favorable à l’égard d’une politique d’austérité salariale si le gouvernement nage dans l’encre rouge que si l’argent coule à flot. Si vous voulez comprendre pourquoi Blaine Higgs a tout fait pour retarder l’annonce des surplus financiers réalisés en bonne partie grâce à l’argent d’Ottawa destiné à venir en aide aux Néo-Brunswickois, inutile de chercher plus loin.
En bout ligne, pour emprunter une expression de l’ancien premier ministre du Québec Jacques Parizeau, Higgs s’est «auto-pelure-de-bananisé». En radicalisant le SCFP et en générant des excédents record en pleine pandémie, il s’est mis dans une position intenable. Pour mettre fin à son calvaire auto-infligé, il n’a eu d’autre choix que de capituler aux demandes salariales du SCFP.