Le ministre de l’Éducation et du Développement de la petite enfance, Bill Hogan, à Fredericton. - Archives
Derrière la bataille pour l’immersion française
Nous avons récemment vu au Nouveau-Brunswick un exemple remarquable de démocratie en marche. La population (majoritaire, anglophone) s’est mobilisée comme nous l’avons rarement vue afin de faire entendre son désaccord catégorique au regard de la décision du gouvernement d’abolir les programmes d’immersion française au profit d’un nouveau programme, conçu, somme toute, de façon assez broche à foin, de «français pour tous». Le ministre de l’Éducation, Bill Hogan, fut clairement surpris des centaines d’individus l’attendant de pied ferme d’un bout à l’autre de la province durant ses consultations.
À la suite de ce message clair de la société civile – ainsi que d’un sondage commandé par Canadian Parents for French suggérant une baisse marquée de l’appui de la population envers le Parti PCNB – le gouvernement a reculé, annonçant vendredi dernier que le programme d’immersion serait réinstauré.
En tant que francophones, cette bataille pour sauvegarder des programmes dont le but est d’apprendre notre langue aux petits anglophones de la province devrait nous intéresser. Que se cache-t-il derrière cette mobilisation populaire?
Si on mettait des lunettes roses, on pourrait se dire qu’il s’agit d’une manifestation de l’intérêt de la majorité envers le bilinguisme officiel – une démonstration de solidarité à un moment charnière où le régime linguistique de la province est attaqué de plus en plus vicieusement par le gouvernement Higgs. Non seulement la majorité revendique-t-elle le droit au bilinguisme, mais par l’entremise de ses médias, elle a aussi réprimandé le premier ministre pour son manque de sensibilité envers les francophones.
En effet, les journaux de Brunswick News déploraient récemment le manque de respect de M. Higgs envers les langues officielles, entre autres en éternisant le processus de modernisation de la LLO. Juste avant les Fêtes, à la suite d’allégations de M. Higgs selon lesquelles son unilinguisme aurait fait de lui une «cible» et l’aurait désavantagé dans sa carrière, le Telegraph-Journal demandait sans ambages si, du haut de son poste de premier ministre, «il en avait fumé du bon», le sommant de commencer à traiter les francophones comme des partenaires égaux au Nouveau-Brunswick. La lutte pour les programmes d’immersion irait dans le même sens.
Si on était plus cynique, on rappellerait toutefois que l’immersion française est synonyme de programme enrichi. Les parents anglophones se battent pour les places dans ces programmes car ils souhaitent que leurs enfants se retrouvent parmi une cohorte d’élèves sans problèmes d’apprentissage et provenant de milieux plus aisés. Ils espèrent aussi que leur progéniture, bilingue, ait accès à un marché du travail élargi. C’est ici une logique économique et fondamentalement égoïste, et non de solidarité envers la minorité, qui est à l’œuvre.
La vérité se situerait-elle quelque part entre les deux? On peut certainement se réjouir du rejet par la majorité de la vision réductrice des langues officielles promue par le premier ministre. Mais on peut aussi se demander pourquoi la levée de boucliers a tant tardé, alors que les francophones ont commencé à sonner l’alarme face au mépris de M. Higgs à l’endroit du régime linguistique de la province… en 2018.