Le recteur fondateur de l'Université de Moncton, Clément Cormier. - Archives
Université de Moncton: un nom qui pèse de plus en plus lourd
Tristement célèbre pour son rôle dans la Déportation des Acadiens, le lieutenant-colonel britannique Robert Monckton, a donné bien malgré lui son nom à la plus grande institution de cette Acadie qu’il a ravagée, sous les ordres de ses supérieurs.
Une très grande ironie de l’histoire acadienne récente.
Le nom de l’Université de Moncton allait cependant devenir un mal-aimé au sein de certains secteurs de la société acadienne. Périodiquement, de l’extérieur ou de l’intérieur, des appels seront lancés pour s’en débarrasser.
Plusieurs propositions de nom circulent
Comment s’est fait ce choix qui fait l’objet de tant de passion?
Tout se joue lors des travaux de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement supérieur au Nouveau-Brunswick, communément appelé «Commission Deutsch», du nom de son président, John Deutsch, vice-principal de l’Université Queens, en Ontario.
Mise sur pied en mai 1961 par le premier ministre Louis J. Robichaud élu un an plus tôt, la Commission Deutsch a pour mandat d’examiner l’ensemble de l’enseignement supérieur de la province. Elle va donner lieu à une restructuration majeure des établissements d’enseignement, et surtout, pour la communauté acadienne, à la création de l’Université de Moncton, en juin 1963.
Petit pas en arrière : au début des années 1960, il existe au Nouveau-Brunswick trois établissements d’enseignements de langue française ayant une charte universitaire : l’Université Saint-Louis, à Edmundston, l’Université Sacré-Cœur de Bathurst (toutes deux administrées par les pères Eudistes), ainsi que l’Université Saint-Joseph de Memramcook, fondée et gérée par les pères de Sainte-Croix.
Évidemment, les trois institutions sont au premier plan des discussions sur la réforme que la province veut accomplir.
À l’automne 1961, la Commission tient des audiences dans quelques villes de la province. Tour à tour, les responsables des universités francophones présentent un mémoire. Tous s’entendent pour qu’une nouvelle université de langue française voie le jour.
Trois jours après la fin des audiences, la Commission convoque les trois universités à Fredericton. On cherche à obtenir un consensus avant de présenter les recommandations au gouvernement. C’est mission accomplie pour ce qui est de la structure de la nouvelle entité et du rôle des établissements actuels qui deviendront des collèges affiliés.
Il reste cependant un point en litige: le nom.
Le premier choix de la Commission était «Université Notre-Dame». On a peu d’informations sur ce qui a motivé la Commission à proposer ce nom. La réaction est assez tiède. Les pères Eudistes penchent plutôt pour «Université Beauséjour» ou «Université des provinces Maritimes». Aussi, «Université acadienne» est évoquée.
Mais la plus forte opposition vient des pères de Sainte-Croix. Pour eux, la future université projetée ne sera pas une toute nouvelle entité, mais le prolongement de l’évolution de l’Université Saint-Joseph depuis une vingtaine d’années.
Dans les années 1950, l’établissement fondé en 1864 par le père Camille Lefebvre avait transféré de Memramcook à Moncton les nouveaux programmes créés depuis les années 1940.
Les pères de Sainte-Croix estiment que l’ensemble de ces programmes doive devenir la base de la nouvelle université. Dans un document préparé pour la Commission Deutsch, la congrégation religieuse affirme que la future université doit être «acadienne», et «administrée par des Acadiens, établie par des Acadiens et pour les Acadiens.» Mais le nom, lui, ne doit pas être acadien…
En somme, les Pères de Sainte-Croix souhaitent que leur Université Saint-Joseph devienne la nouvelle université. Logiquement, ils proposent que l’institution continue de s’appeler Université Saint-Joseph. «C’est la même institution qui va poursuivre son développement», écrivent-ils.
Mais s’il faut absolument changer de nom, ils accepteraient soit «Université Lefebvre», en l’honneur du fondateur de leur institution, ou «Université de Moncton».
Le père Clément Cormier prend les choses en main
Après la rencontre de décembre 1961, le père Clément Cormier, recteur de l’Université Saint-Joseph – et futur recteur fondateur de l’Université de Moncton – mène la charge pour que la Commission Deutsch propose le nom de Moncton.
Clément Cormier était associé étroitement à la Commission. C’est lui qui avait rédigé l’ébauche des propositions présentées aux trois universités en décembre, et ce, deux mois plus tôt, soit avant même la tenue des audiences publiques.
Dans son historique de l’Université, Clément Cormier raconte la question du nom a été «longuement étudiée» par la Commission Deutsch. «Un document élaboré fut rédigé après de sérieuses consultations avec les personnes les plus autorisées du monde politique, universitaire et des chefs acadiens de marque. La décision finale ne fut pas prise à la légère», écrit-il.
Le père Cormier précise aussi que le président Deutsch a consulté par écrit les recteurs des trois universités francophones, «et il obtint de chacun d’eux une lettre d’approbation». Le consensus sur le nom était donc atteint.
Un consensus régulièrement remis en question
Clément Cormier va défendre toute sa vie le choix de Moncton comme nom de l’université. Dans son historique sur l’institution, ses arguments sont cependant plutôt vagues: «Au début des années ’60, la ferveur acadienne était nettement à la baisse», écrit-il. «L’institution doit retenir et protéger soigneusement son caractère d’universalité.» Il dira aussi qu’à l’époque, les acteurs estimaient que le rôle de l’Université de Moncton «différait de celui des sociétés patriotiques».
Le nom de Moncton sera cependant régulièrement sous attaque. En 1971, la Commission Lafrenière, mise sur pied par l’Université de Moncton, proposait de changer le nom à «Université acadienne».
Jean-Bernard Robichaud, recteur de 1990 à 2000, a à son tour voulu un changement de nom.
À intervalles plus ou moins réguliers, des personnalités publiques relancent le débat qu’entretient une partie de la population. Jusqu’ici, Moncton a survécu.
SOURCES :
Clément Cormier, L’université de Moncton : historique, Centre d’études acadiennes, Moncton, 1975.
Jacques Paul Couturier, Construire un savoir, l’enseignement supérieur au Madawaska, 1946-1974, Éditions d’Acadie, Moncton, 1999.
Marc Robichaud et Maurice Basque, Audacieux et téméraire : le père Clément Cormier, c.s.c. (1910-1987), recteur-fondateur de l’Université de Moncton, Institut des études Acadiennes, Université de Moncton, 2017.
Théo Nkembé, Père Clément Cormier, fondateur de l’Acadie, Moncton, 1975.