Neigeaille
Ça vous arrive d’être capté par un paysage ou une œuvre d’art? Je vous le souhaite. Le temps semble alors suspendu. On ne se préoccupe plus ni du passé ni du futur, on se retrouve dans un présent ouvert à l’infini. Cela offre des bouffées d’éternité. C’est ce qui s’est passé pour moi lorsque l’artiste m’a montré l’agrandissement de sa photo Neigaille.
J’ai aimé la photo. Aussi le titre de l’œuvre. Ce régionalisme décrit bien la qualité de cette petite neige en apesanteur qui semble vouloir rester entre ciel et terre: la neigaille. Ce mot désigne aussi l’action de ces plumes d’anges qui tombent doucement: il neigaille.
La neige de mars a souvent cette caractéristique de douceur et de propreté qui couvre et camoufle la saleté accumulée sur les bancs de neige. Elle est cette nappe étendue sur une table égratignée et brisée pour la rendre belle. Aussi belle qu’en ses premiers jours.
+++
La sagesse des anciens dira qu’en mars, la nouvelle neige fera fondre l’ancienne. La sagesse biblique, quant à elle, dira qu’elle est l’image de la miséricorde qui couvre une multitude de fautes.
Un jour, écrasé par le poids de son péché, le roi David leva les yeux vers l’Éternel et cria: «Lave-moi plus blanc que neige!» David savait qu’il ne pouvait pas faire disparaître de son histoire les crimes qu’il avait commis, mais il voulait être débarrassé de ce sentiment de culpabilité qui le rongeait à l’intérieur.
Comme la neige couvre une multitude d’imperfections dans le paysage, il est possible d’étendre un voile sur des soucis et des préoccupations futiles pour rester avec l’essentiel. Une transfiguration est toujours possible.
+++
En fixant la photo, j’ai aperçu le vent. Je l’ai senti. C’était plutôt une brise calme et bienfaisante. Je l’ai vu parce que les flocons remontaient vers le ciel. Ils étaient comme soulevés par un enfant qui souffle vers le haut pour empêcher des plumes de toucher terre.
Je me suis demandé si je voulais être cet enfant capable de soulever les autres au sommet de leur possibilité. Ou avoir la légèreté d’un flocon pour me laisser aller et transporter par un souffle invisible.
Admirant la photo, l’enfant-en-moi a voulu saisir un flocon et le contempler dans la paume de sa main. Mais dès que j’ai l’ai pris, il a disparu. Tout comme ce qui est précieux dans la vie: les personnes, la joie et la paix, Dieu. Si on veut posséder ces réalités pour nous-mêmes, elles disparaissent de notre regard. Elle ne se laissent pas prendre ni enfermer.
Ceux qui croient posséder et comprendre l’insondable richesse de ces réalités sont dans l’illusion. Toute personne est plus grande que ce que nous imaginons. Dieu, l’au-delà de tout, est une mystérieuse Présence qui ne cesse de disparaître lorsque je veux Le garder pour moi.
+++
Ce paysage d’hiver respire la sérénité. On peut imaginer les heures de travail et de loisirs passées dans cette barque abandonnée. On peut rêver de se frayer un chemin dans la forêt d’épinettes pour atteindre le trécarré. On peut aussi deviner la vie qui couve sous la neige et qui se prépare à nous surprendre dans quelques semaines avec ses nuances de vert.
La neigeaille! Je nous en souhaite. Avec un peu de vent. Celui qui emporte avec lui les inquiétudes et les soucis du quotidien. Neige bienfaisante, présage de plusieurs heures de paix. Neige poudreuse, annonciatrices d’heures de folies.
Bon congé de mars!