En périphérie: Léopold L. Foulem

Ce céramiste de réputation internationale est décédé subitement cet hiver. Sur l’étagère des souvenirs, son art de vivre marqué par l’authenticité a autant de valeur que ses chefs d’œuvre de céramique. Je vous partage quelques passages de mon message à sa famille et à ses amis.

«Aucune vie n’est vécue. L’explosion commence juste après la mort. Ce qui précède n’est que le grésillement de la mèche.» (Christian Bobin, Le Muguet Rouge, 2022)

En pensant à la vie de Léopold, je me dis «Mais quel grésillement!» Il a croqué dans la vie en faisant de son existence une fête. Il a eu l’audace et le courage de défricher un chemin pour d’autres qui viendront après lui. C’est un travail ardu de marcher un chemin qui n’est pas balisé: il y a des obstacles à enlever et des détours à emprunter.

Derrière la bonhommie de cet enfant, il y a certes eu des jours plus difficiles. Heureusement qu’il a aussi connu des chemins de lumière. Il nous quitte à la fin d’une année qui lui aura permis de recevoir la gratitude de ses amis et de la société. À travers l’admiration de Renée Blanchard dans son film touchant sur la vie de Léopold, c’est l’hommage de toute une communauté pour une vie singulière qui a été immortalisé sur pellicule.

Je me souviens d’une rencontre avec Léopold au presbytère de Caraquet, qu’on appelait alors «Maison de la Culture Chrétienne». Il m’avait fait part de son intérêt pour nos cimetières. Pour lui, ces lieux étaient plus que des livres d’histoires à ciel ouvert, mais des espaces de mémoires. Préoccupé par leur entretien, il avait offert une de ses œuvres pour aider à la création d’un fonds pour l’embellissement des cimetières.

Or, autant que les cimetières, il y a des espaces à valoriser dans notre mémoire pour garder vivant le souvenir de ces gens d’exception dont Léopold fait partie. Parce qu’il y a plus que des œuvres de céramique, aussi réussies et belles soient-elles, qui ont besoin d’être conservées dans un musée. Il y a aussi une manière de vivre, simplement, qui trouve sa joie dans les petites choses de la vie et dans l’intégrité qui a besoin d’être valorisée. (…)

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Je voudrais vous faire part de ce qui m’est venu à l’esprit en préparant ces funérailles. Certains pourraient trouver mon imaginaire irrévérencieux; j’ai en Léopold un allié qui saura comprendre. Comme il le disait lui-même: «Je ne fais rien avec l’intention de choquer, plutôt pour provoquer une réflexion.»

J’ai imaginé Jésus revenant sur terre. Cette fois, il change de continent et vient à Caraquet. Fidèle à son identité et à notre histoire, il arrive de la mer: comme nos ancêtres, à la côte de Ste-Anne-du-Bocage. Il aperçoit une foule rassemblée sous les arbres.

Il admire la foi, grosse comme une graine de moutarde, mais capable de déplacer des montagnes. Il contemple l’aumône d’une pauvre déposer ses piécettes dans le tronc pour allumer un lampion. Il a pitié de ses enfants, des brebis souvent sans bergers (Mt 9, 36); empêtrés dans le cléricalisme, certains pasteurs entretiennent un formalisme religieux au lieu de donner le goût du grand air du large et des eaux profondes (Lc 5, 4).

De loin, Jésus admire les pèlerins. Mais c’est ailleurs qu’il veut aller. Comme en Galilée il y a deux mille ans, il se sent attiré par la vie grouillante, les lieux désordonnés et la diversité humaine. C’est dans le capharnaüm qu’il se sent bien et qu’il peut accomplir sa mission. Il longe le boulevard et entre dans l’atelier de Léopold. Il est bien accueilli. Tous deux se reconnaissent dans leur singularité.

Ils parlent de la création comme un prolongement de soi, comme l’expression tangible de ce qui prend forme d’abord à l’intérieur. Jésus parle de son Père qui a créé l’Homme à partir de la terre tirée du sol et qui a insufflé dans ses narines son souffle de vie; Léopold se reconnait dans ce geste qu’il a épousé tant de fois en créant, à partir de la terre, des œuvres qui respiraient sa vie.

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Si Jésus revenait, il irait chez Léopold. Tout comme il est allé à Capharnaüm, périphérie du judaïsme, au début de sa vie publique. Comme il y a 2000 ans, il y en aurait, aujourd’hui encore, pour dire «Il est allé loger chez un pécheur» (Lc 19). Nous oublions à quel point le message du Christ était subversif et ses fréquentations, scandaleuses.

Si Jésus revenait, il parlerait de Dieu comme il le faisait: jamais pour condamner, toujours pour rassurer. En plus de ses discours, ses miracles seraient pour les pauvres et les petits. Avec cinq pains et deux poissons, il nourrirait une foule de plus de 5000 personnes un jour de tintamarre. Il susciterait la joie en changeant l’eau en vin. Il ouvrirait les yeux sur la beauté.

L’homme de Nazareth faisait le bien. Juste le bien. Toujours le bien. À cause de cela, il dérangeait. On l’a fait mourir. Mais ce qu’il avait annoncé est arrivé: ses amis l’ont revu après sa mort. Il était bien là, vivant: devant eux, parfois. En eux, toujours.

Pour célébrer la vie de Léopold et faire mémoire du mystère pascal, reprenons des gestes et des paroles qui ont traversé les mers et les siècles pour se rendre jusqu’à nous. Pour les croyants, l’eucharistie est la lettre d’amour à l’humanité de la part de Dieu.

Puissions-nous l’accueillir, l’ouvrir et la laisser rythmer notre marche de pèlerins vers Pâques.

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