La célébration de la francophonie peut être trompeuse. - Archives
Apparence(s)
Apparence que c’est le mois de la francophonie. Apparence que lundi prochain, c’est la journée (au complet!) de la francophonie. Apparence que je suis francophone. Apparence que ça devrait m’occuper tous les jours et me préoccuper toute la vie. Apparence. Oui, j’en ai bien peur, la francophonie est une apparence. Mais il ne faut pas se fier aux apparences.
Pourtant, on vit dans un monde d’apparences. Les autoportraits en sont devenus le symbole. Quand une personne s’arrête toutes les dix minutes pour se prendre en photo, c’est qu’elle mise en titi sur son apparence!
Oui, cette obsession avec l’apparence représente bien notre époque. On veut que l’image projetée soit la plus belle possible. Pas la plus vraie, ni la plus authentique. Non, la plus belle. Celle qui nous plaît le plus quand, à la manière de Narcisse penché sur l’eau, on se penche sur son nombril pour se contempler.
Pour accompagner cette belle image, il faut de belles paroles. C’est pourquoi on se gargarise de bons vieux sentiments de l’ancien temps travestis en injonctions contemporaines ultra-chics. On fait du neuf avec du vieux pour sauver les apparences et c’est tiguidou, mon minou!
***
Idem pour la francophonie. Une fois par année, on fait mine de la célébrer en consacrant un mois à vérifier si notre apparence linguistique a changé. Apparence locale, régionale, provinciale, nationale, ou internationale.
Bien sûr qu’elle change. Elle ratatine. Elle prend des rides. Elle pâlit. Bon, on la farde beaucoup plus, on lui colle des faux cils longs comme des cils de chameaux, on lui plaque un rouge à lèvres rouge-libéral-hyper-pigmenté, pis la vlà prête, la francophonie, pour aller danser le «flossing»… sur des tounes anglaises.
C’est pas moi qui le dit. Je ne joue pas les prophètes de malheur. Je ne suis pas Cassandre. Non, c’est Statistique Canada qui le dit: le français décline au pays. Partout. Je ne suis que le triste messager d’un message attristant.
***
Évidemment, ça ne devrait pas nous empêcher de célébrer cette francophonie un mois durant. Allez hop, on sort du Cayouche et on tape des mains!
Bon, soyons francs: certains trouvent ça long, ce tataouinage d’un mois autour de notre nombril collectif, alors ils réduisent ça à une semaine. Dans certaines écoles, on organise des activités pédagogiques à saveur culturelle. Apparence que certaines écoles françaises poussent même l’audace, à l’heure du midi, jusqu’à insérer quelques tounes françaises entre les tounes anglaises aboyant dans les micros de la cafétéria! Yéé, toé!
Je caricature un peu, je l’admets. Le dessous des apparences porte souvent à la farce. Risez avec moi.
Il n’en demeure pas moins que la réalité française au Canada n’a pas les accents frétillants que tentent de lui donner, pendant le mois de la francophonie, les bonnes âmes qui s’occupent et se préoccupent encore, avec courage, du fait français au pays.
***
Sinon, comment expliquer autrement que les francophones soient si souvent contraints de se présenter devant les tribunaux pour faire respecter leurs droits?
Comment expliquer autrement qu’à Ottawa la révision de la Loi sur les langues officielles fasse l’objet de tant de chichis au Comité des langues officielles des Communes?
Comment expliquer autrement qu’ici au Niou-Brunswick un premier ministre obtus se sente autorisé à jongler avec les acquis linguistiques des francophones, poussant même la provocation jusqu’à nommer au comité chargé de réviser la Loi sur les langues officielles de la province l’un des plus ardents détracteurs du bilinguisme?
Comment expliquer autrement qu’il n’y ait pas, dans l’administration provinciale, un authentique ministère bicéphale (ou tricéphale!) de la Culture? Ou une loi exigeant que l’affichage émanant de toute municipalité où vit une forte minorité francophone soit bilingue?
Comment expliquer autrement que les élèves francophones de la province n’obtiennent pas de meilleurs résultats en lecture dans les tests internationaux comme l’enquête PISA? (Ce n’est peut-être pas nécessairement mieux chez leurs vis-à-vis anglophones, mais ce n’est pas une raison suffisante pour éviter d’y réfléchir entre francophones.)
***
Non, la francophonie canadienne ne pète pas le feu, malgré les apparences.
Et si l’on se fie à la jeunesse pour remédier à la situation, comme on le fait pour l’environnement, on risque de déchanter. Ou de chanter en anglais, comme l’émission La Voix nous en offre la navrante expression le dimanche soir à TVA.
À TVA et à la grandeur de la planète, devrais-je préciser, par respect des apparences. La France a même poussé le mimétisme anglophile jusqu’à garder l’appellation anglaise The Voice, prononcé Ze Voice, pour plaire à Dieu sait qui!
Mais, encore une fois, c’est le sort de la francophonie telle que vécue au Canada qui me préoccupe aujourd’hui, car, en réalité, c’est sur cette seule francophonie que nous pouvons collectivement agir.
Le ferons-nous? J’en doute.
***
Certes, on va en parler. En parler en français, entre nous. Au fil du temps, il y aura possiblement à ce sujet des débats houleux, des colloques soporifiques, des reportages convenus, et même des chroniques échevelées attestant de la bonne foi de tout un chacun.
On ira même jusqu’à demander que l’Université française qui dispense le savoir aux francophones d’ici et d’ailleurs, depuis soixante ans, se donne un vocable français, mais sans même être certain d’avance que les francophones à qui incombe cette responsabilité vitale auront la force de s’élever à la hauteur de ce cri du cœur lancé par ceux-là même qui donnent sens à son existence!
Être francophone, pour moi, ça ne se résume pas à célébrer en un mois, une semaine ou un jour par année, sous des apparences trompeuses, une fierté mal à l’aise. Je comprends parfaitement toutefois qu’on le fasse auprès des jeunes, parce que c’est là qu’est l’avenir.
Mais la francophonie, ça commence à la maison. Au berceau. Ensuite, l’école. Et puis, la vie prend le dessus et advienne que pourra.
Apparence que seront et resteront francophones seulement ceux et celles qui y tiennent. Quant aux autres: Godspeed!
Han, Madame?