Menoudie, avec Pubnico, en Nouvelle-Écosse et Memramcook, au Nouveau-Brunswick, et l’un des rares établissements fondés avant le Grand Dérangement où des descendants d’Acadiens vivent encore. Avec ses quelque 30 habitants, 350 ans après sa fondation, c’est véritablement un village qui ne veut pas mourir.

Au début des années 1670, des groupes d’Acadiens partent de la capitale, Port-Royal, afin de fonder de nouveaux établissements au fond de la baie Française (baie de Fundy). Beaubassin sera le premier village à sortir des marais de l’isthme de Chignectou, zone frontalière entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse d’aujourd’hui.

D’autres plus petits établissements moins connus prendront forme, comme Menoudie (ou Menody, maintenant Minudie).

Le premier Grand Dérangement

Après des décennies relativement calmes, tout bascule au milieu du XVIIIe siècle. Près de 40 ans après la signature du traité d’Utrecht, les limites de l’Acadie, cédée par la France à la Grande-Bretagne, sont toujours floues.

En 1749, une commission est créée afin de régler la question. En attendant la conclusion d’une entente sur la frontière, la France décrète que la rivière Mésagouèche sera la ligne à ne pas franchir.

Tout comme Beaubassin et d’autres établissements acadiens comme Nanpanne (aujourd’hui Napan), Maccan et Rivière-des-Hébert (maintenant River Hebert), Menoudie a la malchance de se trouver du côté britannique de la Mésagouèche.

Les troupes sises à la pointe de Beauséjour tentent en vain d’inciter les habitants de ces villages de tout abandonner et de passer du côté français. En 1750, alors que le gouvernement colonial de la Nouvelle-Écosse décide à son tour de militariser la région frontalière, les autorités canado-françaises aidées de leurs alliés autochtones font incendier tous ces villages, y compris Menoudie, qui compte alors environ 165 habitants.

Les habitants deviennent des réfugiés parmi leurs compatriotes qui avaient fondé des établissements de l’autre côté de la rivière depuis longtemps. Ils seront à la charge des autorités et de leurs frères et sœurs acadiens jusqu’à la Déportation.

En raison de ce bouleversement, certains historiens font débuter le Grand Dérangement à 1750 plutôt qu’à 1755.

Retour à Menoudie

En 1764, les autorités britanniques permettent aux Acadiens de revenir s’installer en Nouvelle-Écosse, mais par petits groupes dispersés.

Entre en scène un personnage central dans la «renaissance» de Menoudie: DesBarres. Joseph Frederick Wallet (on l’appellera surtout J.F.W.) DesBarres est un officier, ingénieur et arpenteur né, croit-on, en Suisse.

Il est chargé de la direction des travaux publics de la Nouvelle-Écosse. DesBarres obtient en 1765 une très grande concession de terres dans la région de Menoudie. Il fait aussi l’acquisition d’autres terres dans la région.

Le nouveau grand propriétaire foncier invite alors des Acadiens, dont il a une bonne opinion comme travailleurs laborieux, pour cultiver ses terres en tant que rentiers.

Le village de Menoudie, vers l’année 1900. Photo : Courtoisie Minudie Heritage Association.

Charles Forest et son épouse Marie Chiasson font figure de pionniers. Comme bien d’autres, ils avaient échappé à la chasse à l’homme de 1755 mais avaient finalement été capturés quelques années plus tard et gardés prisonniers dans les forts de la Nouvelle-Écosse jusqu’à fin de la guerre de Sept Ans, en 1763.

En 1769, DesBarres conclut une entente formelle avec une dizaine d’Acadiens: il leur accorde chacun 200 acres de terre, du bétail, des outils, paiera pour l’assèchement des marais et la moitié du coût pour la construction d’un moulin. En retour, les rentiers lui remettront le tiers de leurs récoltes, trois-quarts des profits du moulin et entretiendront les marais séchés.

DesBarres donnera à ces terres le nom bucolique de Champs-Élysées, qui sera alors associé au nom Menoudie.

D’autres Acadiens vont bientôt s’ajouter à ce noyau. Une chapelle est construite en 1768. En 1770, ils sont près d’une centaine. En 1787, on compte environ 230 habitants. Ici, l’Acadie reprend littéralement son pays.

Une série d’exodes

Mais ce sera l’apogée. Dès l’année suivante, la première vague d’exode commence. Au compte-goutte, pendant les prochaines décennies, des individus ou des familles entières quittent Menoudie et s’installent principalement dans des villages acadiens du sud-est du Nouveau-Brunswick, ou en fondent de nouveaux.

Pourquoi? Il y a d’abord la surpopulation. Il y a de moins en moins de nouvelles terres à cultiver. Les enfants vivent souvent à la charge de leurs parents, sans avoir de terres – donc de revenus – à eux. Les familles s’appauvrissent.

En 1788, DesBarres est harcelé par ses créanciers. On demande aux Acadiens de remettre une partie de leur bétail afin qu’il soit vendu pour payer les dettes du propriétaire. En 1795, un nouvel administrateur des terres demande que les rentiers délaissent leurs marais asséchés et cultivent les hautes terres. Les Acadiens de Menoudie ne se sentent plus à leur place.

Dans ce contexte, le Nouveau-Brunswick est attrayant pour ces rentiers, car ils peuvent espérer posséder finalement leurs propres terres.

Le missionnaire François Ciquard qui dessert la région encourage d’ailleurs ouvertement les habitants à abandonner le village. Il estime que les établissements anglophones qui entourent maintenant complètement Menoudie constituent une menace pour leurs âmes.

En 1830, un nouveau propriétaire succède à DesBarres, soit Amos «King» Seaman. L’hémorragie est stoppée, mais la communauté acadienne Menoudie n’est plus que l’ombre d’elle-même. Après quelques générations, les Acadiens qui y resteront seront noyés par les vagues de nouveaux venus de langue anglaise.

Si la grande partie de la trentaine d’habitants vivant toujours à Menoudie sont des descendants des Acadiens de l’époque de DesBarres, ils ne parlent plus français, sauf exception. Mais on y assiste depuis quelques années à une volonté de célébrer l’héritage acadien.

Sources :

Cahiers de la Société historique acadienne, vol. II, no 3, 1966, Moncton, 1966.

Cahiers de la Société historique acadienne, vol. I, no 2, Moncton, 1962.

Robert J. Morgan, Joseph Frederick Wallet DesBarres, Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université de Laval/Université de Toronto, 2003.

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