La pêche, c'est souvent une affaire de famille aux Îles-de-la-Madeleine. - Archives: La Presse Canadienne: Jacques Boissinot
De petit-fils à capitaine
Charles connaît le quai à côté de chez eux par cœur. D’aussi longtemps qu’il se souvient, il se rendait là presque chaque samedi après-midi pour voir son grand-père, Alphonse, le capitaine du Charles-des-mers, débarquer ses gros bacs remplis de homards vivants et fraîchement pêchés. Charles a toujours été très fier que son grand-père pratique le métier de pêcheur de homard. Il a toujours eu l’impression que c’était le plus beau métier du monde. Même que, de la fenêtre de sa classe de 5e année, il pouvait voir la mer et tombait régulièrement dans la lune préférant rêver de la pêche plutôt que chercher à mieux comprendre les mathématiques ou le français.
Charles adore le homard. Depuis très longtemps. Il se rappelle que son père, aide-pêcheur de son grand-père, lui rapportait toujours les pinces orphelines qui avaient été arrachées aux homards par accident durant le transport. Mine de rien, ça lui faisait, chaque samedi, tout un snack. Entre ça pis une canisse de p’tites saucisses, le choix était quand même facile à faire. Dès qu’il sentait l’odeur du crustacé qui cuisait, il tombait dans la lune, rêvant de pratiquer ce métier-là à son tour et le plus vite possible.
Puis, son grand-père a laissé sa place. Son père est alors devenu capitaine et seul maître à bord. Ça a permis à Charles, à 16 ans, d’embarquer sur le bateau plus régulièrement pour donner un coup de main. D’abord à la mise à l’eau et à la dernière pêche de l’année, mais aussi de temps à autre durant la saison. Au début, il passait plus de temps à regarder la mer clapoter sur le bateau qu’à aider vraiment. Mais, tranquillement pas vite, il a pris de l’assurance et est devenu l’élastiqueur numéro un à bord. Une réelle fierté pour lui de pouvoir enfin participer à cette tradition ancestrale.
Mais malgré son amour pour la pêche, Charles a quand même fini par dériver vers un autre métier. Il faut dire qu’il ne sentait pas que son père allait lui laisser si facilement sa place dans la cabine. Et tant qu’à élastiquer toute sa vie… Charles a préféré aller voir ailleurs. Il est donc parti à l’étranger étudier la musique traditionnelle, son autre passion. Mais chaque printemps, quand la saison de pêche approchait, il avait un énorme pincement au cœur. La pêche le rappelait. Ses premières amours lui revenaient en tête. Heureusement pour lui, la musique lui donnait tout de même la satisfaction de jouer avec son histoire, son folklore. Mais ce n’était pas assez. La mer lui manquait cruellement.
Un jour, son père lui offrit la place d’aide-pêcheur. Charles sauta sur l’occasion. Il n’allait peut-être pas réaliser son rêve de devenir capitaine, mais tout de même. Il allait renouer avec ce métier tant aimé. Il allait retrouver le plein air, le vent frais, le calme de la mer paisible, comme la fougue de l’eau agitée. Les galettes au sucre, et la p’tite bière après une longue journée à se faire brasser. Sortir les guitares et les violons dans la boîte du truck parké sur le quai les dimanches après-midi. L’excitation des premières trawls de la saison et la satisfaction des dernières levées de l’année.
Durant toutes ces années à accompagner son père, Charles a tout appris. De son métier d’aide-pêcheur jusqu’aux trucs de capitaine de son père et de son grand-père. Les bons spots, les stratégies. Les trustables et les moins trustables du quai. Tout. Avec fierté, Charles a laissé grandir en lui le sentiment de faire partie d’une tradition bien plus grande que lui.
Cette année, la mise à l’eau aura ce petit quelque chose de spécial pour Charles. Une fierté encore un peu plus grande qu’à l’accoutumée. Cette année, ce sera la première saison du capitaine Charles. Le petit-fils est enfin devenu capitaine. Et pour l’occasion, il a même fait rajouter un nom sur son bateau: Alexis. L’Alexis-à-Charles-des-mers. Le prénom de son fils. On ne sait jamais. Une tradition est si vite transmise…
Des histoires comme celle-là, les Îles en sont pleines. Les villages de pêcheurs en sont pleins. La pêche, c’est souvent des histoires de famille. Des générations et des générations de gens qui, par passion, perpétuent la tradition et la culture d’un coin de pays. Une expertise riche et vivante. Des mots, des expressions et des habitudes propres à ce métier. Merci pour tout le travail que vous faites. Bonne saison de pêche. Mais surtout, bonne première saison à tous les Charles. Soyez prudents!
On se r’parle!