Quand arrive le mois de mai, une fébrilité mystérieuse s’empare de moi. Je me mets à avoir hâte. Hâte au moment où les fleurs apparaîtront dans le décor pour nos mises en scène horticoles de l’été. Cette année, exceptionnellement, les fleurs de mai m’arrivent dans une jardinière insolite: une nouvelle loi fédérale sur les langues officielles! Je me possède plus!

L’accouchement fut difficile: il aura fallu des mois, deux moutures différentes du projet de loi, des études en comité, des amendements, des critiques publiques, des crises de nerfs de quelques députés, mais, enfin, la Chambre des communes a fini par adopter le projet C-13 presque à l’unanimité.

En effet, 300 députés ont voté en faveur de cette réforme et un seul a voté contre. Ironie surréaliste: il s’agit d’un député libéral représentant une circonscription québécoise! Le député, représentant une circonscription anglophone, semble craindre pour la survie de l’anglais.

C’est bien la preuve qu’on peut être député sans nécessairement avoir une bonne connaissance de la réalité!

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Cela dit, la loi doit encore être débattue en deuxième lecture au Sénat, puis être étudiée par le Comité sénatorial permanent des langues officielles, ce qui nécessitera plusieurs séances de travail. C’est du moins ce qu’a déclaré le président du Comité, le sénateur René Cormier, dans une entrevue à la Presse canadienne.

La ministre responsable du dossier aux Communes, Madame Petitpas-Taylor, a eu beau exprimer son souhait que le Sénat en finisse avec ce projet avant la fin juin, le sénateur Cormier a quand même défendu les prérogatives sénatoriales en la matière.

Fait intéressant à noter dans les manuels d’histoire: ce sont deux personnes d’Acadie qui gèrent la révision de la loi sur les langues officielles au parlement canadien. Je n’ai pas lu C-13 dans sa toute dernière mouture, mais j’ai hâte de voir si l’on ressent un «effet acadien» dans cette révision.

Un effet qu’on n’a absolument pas senti avec la nouvelle loi provinciale sur les langues officielles!

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Bien sûr, via quelques porte-parole, la communauté acadienne s’est félicitée de cette adoption aux Communes. Comme elle s’est félicitée, récemment, du nouveau Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028 du gouvernement fédéral.

En effet, ce sont des avancées significatives pour les francophones du Canada, et ça comprend le Québec, mais le coup de barre qu’il faudrait donner, il ne faut pas trop l’espérer.

Je rappelle qu’il y a quelques mois à peine, après la publication des données du recensement 2021 par Statistique Canada, on ne parlait plus que du déclin du français au Canada!

De 2016 à 2021, tandis que le taux de croissance de Canadiens dont le français est la première langue officielle parlée augmentait de 1,6 %, celui de la population canadienne s’élevait à 5,2 %.

Et c’est un écart qui va s’accroître royalement avec la mise en place de la nouvelle politique en immigration du gouvernement qui nous promet l’arrivée d’un demi-million de nouveaux arrivants par année, pendant quatre ou cinq ans. Nous représentons une minorité en voie de disparition et le gouvernement du Canada y travaille allègrement!

Car ce gouvernement a beau se vanter, dans son Plan d’action, d’avoir atteint sa cible de 4,4% d’immigrants d’expression française à l’extérieur du Québec en 2022, cela ne représente que 16 300 nouveaux arrivants dans des communautés francophones! Ça veut dire: 16 000 dans un océan de plus de 30 millions! Des pinottes, joual vert, des pinottes!

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Cependant, il n’y a pas que le gouvernement fédéral qui doit donner un coup de barre. Il y a les gouvernements provinciaux. Certains font des petits pas dans ce sens-là.

La Nova Scotia, l’Ontario, le Manitoba, notamment, ayant eu déjà plusieurs fois maille à partir avec leur population francophone, ont procédé à des accommodements. Les autres, c’est moins évident. Disons qu’il faut que la Cour suprême s’en mêle pour qu’elles se sentent interpellées.

Il y a aussi les gouvernements municipaux. Ils ont moins de moyens, mais ont des responsabilités et des pouvoirs à leur mesure. Une réglementation sur l’affichage bilingue, par exemple. Mais ils sont rares ceux qui passent à l’action.

Et puis, nos chères institutions, organisations, associations.

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Je me souviens du temps où la SANB animait la vie publique au Niou-Brunswick. Avec des sections actives aux quatre coins cardinaux, elle ne craignait pas de prendre les devants, de foncer, d’oser. Depuis quelques années, elle s’est bureaucratisée.

Dépendante du financement fédéral pour sa survie, comme tant d’autres organisations, elle semble coincée entre sa vocation de porte-parole de la communauté francophone et de faire-valoir du gouvernement fédéral.

Mais à trop vouloir jouer ce jeu, elle perd de sa pertinence. Sauf peut-être pour un essaim de quelques centaines de personnes, les mêmes qu’on retrouve ailleurs dans les dossiers de la langue, de l’éducation, de la santé, de l’immigration.

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Et puis, il y a notre université. Fragmentée en trois campus, elle aspire toujours à rayonner. Mais on la sent quand même plus discrète qu’autrefois, quand elle fondait l’École de Droit, premier établissement d’enseignement de la Common Law en français au monde.

L’École est devenue la Faculté de Droit. (Tiens, un changement de nom!). Comme ça, elle devient une faculté parmi d’autres facultés. Inutile de se singulariser à outrance. Fondons-nous dans le décor.

Autre exemple: quant au campus d’Edmundston, ville francophone à plus de 90% affublée d’un nom anglais qui la défigure, on ne peut plus dire qu’il brille sur la scène locale et régionale par un engagement tous azimuts comme autrefois. Où sont les chorales, les troupes de théâtre, les danseurs, les concours oratoires, les shows des philos qui faisaient l’orgueil des Madawaskayens? Et renforçaient le fait français…

Puis, il y a nous tous: vous, moi, les parents, les travailleurs, les chefs de file, les éducateurs, la société civile. Bref: toute une communauté appelée à porter sa réalité française à bout de bras si elle ne veut pas crever. Aussi simple que ça.

En plongeant nos mains dans la terre pour rempoter les fleurs qui illumineront notre été, pensons-y!

Han, Madame?

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