Dans une réunion, la semaine dernière, j’entendais «On pourrait faire ça à Nigadoo. Bin, Nigadoo ça n’existe plus maintenant. Je veux dire Belle-Baie.»

Euh, pardon?

Comment ça, Nigadoo n’existe plus?! Ai-je oublié de lire L’Acadie Nouvelle le jour où on rapportait sa destruction? Qu’est-ce qui a bien pu provoquer un tel drame? Un incendie? Un tsunami?

Celui qui s’adressait à nous se référait, plus banalement, à la réforme qui a transformé la gouvernance locale au Nouveau-Brunswick, le 1er janvier. Nigadoo, comme tant d’autres petites villes et districts ruraux, devenait alors une partie d’une municipalité plus grande.

Cette réforme, indéniablement, était majeure. Elle a donné une gouvernance locale à de vastes territoires qui n’en avaient pas et a réduit le morcellement municipal dans la province. En créant des entités régionales fortes, elle apportait une solution à plusieurs problèmes qui existaient en matière d’aménagement du territoire depuis les années 1960.

Raison de plus de se réjouir: les nouvelles municipalités dans les régions francophones se sont toutes dotées de beaux noms français, ce qui rend l’Acadie un peu plus réelle et palpable.

On peut donc être fiers à la fois de ces nouvelles entités municipales et de leurs noms.

Cela dit, ce n’est pas une raison de jeter le bébé avec l’eau du bain. On n’a pas besoin de troquer notre ancienne appartenance locale pour une nouvelle. Il y a de la place pour les deux.

En d’autres termes, Nigadoo existe encore. (Est-ce que ça vous rassure?) Tout comme Grande-Digue, Saint-Louis et Maisonnette, parmi tant d’autres endroits.

Pourtant, certains agissent comme si les anciens villages et villes avaient été rayés de la carte. Par exemple, une personnalité assez connue signait récemment son opinion du lecteur avec son nom suivi de «Cap-Acadie». On suppose que cette personne ne vit pas à l’hôtel de ville, mais on reste là à se demander si son lieu de résidence est Cap-Pelé, Barachois, Haute-Aboujagane ou Shemogue. J’ai aussi vu un article de journal où on parlait d’un événement ayant eu lieu «à Nouvelle-Arcadie». Il a fallu que j’effectue des recherches additionnelles pour être certain que c’était bien à Rogersville que ça se passait, et non à Acadieville.

D’où vient ce réflexe de tout balayer, pour recommencer à neuf? Est-ce qu’avoir un gouvernement municipal est la seule chose qui permette à un endroit, à une communauté d’avoir une existence propre? Une bibliothèque, des écoles, des clubs, des festivals, des commerces locaux, l’histoire, ainsi que les distances qui séparent les centres de population ne comptent donc pour rien?

Bien sûr qu’ils comptent. On peut maintenir un sentiment d’appartenance à un lieu sans que celui-ci soit doté d’un conseil municipal qui lui est propre. C’est même assez facile et naturel.

D’ailleurs, les Acadiens le font déjà, à une autre échelle. Depuis toujours, ils distinguent le nom des paroisses de ceux des villages et hameaux qu’ils rassemblent. Par exemple, à Saint-Paul-de-Kent, où mes grands-parents ont grandi, il y avait «Sweenyville», le «village des Cormiers», «Bon-Secours», Légerville, etc. À Cap-Pelé, c’est Petit-Cap, Trois-Ruisseaux, Saint-André-LeBlanc, etc. C’est comme ça partout.

Mais depuis les années 1960, quand le gouvernement de P’tit Louis Robichaud a aboli les gouvernements de comtés, et depuis quand les paroisses ont perdu beaucoup d’importance sociale et politique, on dirait que les municipalités sont devenues les seuls vrais marqueurs du territoire au Nouveau-Brunswick. Ça, c’était correct quand les municipalités étaient très nombreuses et de petite taille. Mais à présent, ça doit changer.

Ailleurs au Canada, où les réformes municipales ont moins tardé, les gens sont habitués au fait que leur localité ne recoupe pas exactement leur municipalité. En Ontario, par exemple, les habitants de Val-Caron, d’Embrun et d’Orléans font partie des municipalités de Sudbury, de Russell et d’Ottawa, respectivement. Mais lorsqu’ils désignent où ils vivent, ils se réfèrent toujours à leur localité immédiate, qu’ils appellent parfois «village», parfois «quartier».

La même chose est vraie dans le «Grand Edmundston», où plusieurs villages ont été fusionnés de force par le gouvernement McKenna en 1998. Vingt-cinq ans après les faits, les résidents considèrent encore qu’ils sont de Saint-Jacques, Saint-Basile ou Verret.

Notons que les localités continuent d’avoir une certaine existence officielle. Postes Canada continue d’utiliser leurs noms. Et les gouvernements municipaux préparent généralement des plans d’aménagement distincts pour chacun des villages qu’ils dirigent.

Ne rejetons pas notre patrimoine territorial. Continuons de nous référer avant tout à Sainte-Marie ou Cocagne ou Charlo ou Balmoral, par exemple, lorsque nous voulons désigner des lieux. Réservons les noms Champdoré, Beausoleil, Baie-des-Hérons, Bois-Joli etc. pour les moments où nous voulons désigner explicitement nos administrations municipales.

Je crois que la plupart des gens le font déjà. Mais il reste visiblement un petit flou dans l’esprit de certains. Établissons la norme rapidement, avant que le flou ne s’installe pour de bon.

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