Mon hôpital
Un grand spectacle avait lieu vendredi soir en la cathédrale de Moncton pour souligner un siècle de soins hospitaliers en français à Moncton. En 1922, quatre Sœurs de la Providence arrivaient en train pour fonder l’Hôtel-Dieu de l’Assomption, appelé à se transformer pour devenir le CHU Dr-Georges-Dumont qui offre des soins de santé et de base spécialisés.
Parmi mes souvenirs d’enfance, il y a cet hôpital Georges-Dumont de Moncton où j’ai été brièvement hospitalisé et soigné par le regretté docteur Yturralde. L’hôpital régional Chaleur de Bathurst m’a aussi accueilli quelques jours pour guérir une pneumonie. Or, c’est surtout l’Hôtel-Dieu St-Joseph de Tracadie qui me revient en tête en pensant au milieu hospitalier.
Ma mère y travaillait. Certains jeudis, je l’accompagnais lorsqu’elle se rendait au service de paie pour y chercher son chèque. Ce rituel arrivait chaque deux semaines. Ensuite, nous nous rendions en ville pour faire l’épicerie, payer les comptes à la banque et faire quelques achats. Le passage à l’Hôtel-Dieu était bref, mais marquant.
Aujourd’hui encore, je revois les planchers luisants et immaculés à longueur d’année. Les immenses fougères qui voulaient être aussi grosses que les statues qu’elles ornaient. Je sens l’odeur de la cire des planchers et des cierges de la chapelle. Ça sentait la propreté. Non pas l’odeur artificielle des parfums commerciaux. Et le silence qui nous rappelait que ce lieu était sacré. Ici, on prenait soin des plus importants de la société: les malades!
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Je regrette la démolition de l’Hôtel-Dieu de Tracadie. On aurait pu au moins garder son fronton. Je regrette aussi que le rouleau compresseur de la sécularisation ait réussi à remplacer son nom par celui d’hôpital. Même avec sa laïcité à tout prix, le Québec a conservé le nom d’Hôtel-Dieu à Montréal, Lévis, Québec et ailleurs pour rendre hommage et faire justice aux origines des soins hospitaliers en Amérique du Nord.
Le nom d’hôtel-Dieu est riche d’histoire et de signification. À l’origine, il désignait un lieu administré par l’Église pour prendre soin des laissés-pour-compte de la société. On y trouvait les malades, les orphelins et les nécessiteux. Lorsque les communautés religieuses sont arrivées en Nouvelle-France, avec l’infirmière Jeanne Mance en tête du peloton, elles ont consacré plusieurs de leurs ressources pour ériger des édifices où seraient soignés les malades.
Elles ont donné à ces endroits l’appellation d’hôtel-Dieu. C’était un programme: offrir un lieu d’hébergement (un hôtel) à des personnes qui devaient être traitées et soignées avec dignité (comme si c’était Dieu lui-même). Un hospice pour Dieu!
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Nos hôpitaux ont perdu ce titre de noblesse. Plusieurs ont aussi été dépouillés d’écrins architecturaux. Ma consolation est d’espérer que le plus précieux dans nos hôtels-Dieu a pris place dans nos hôpitaux des soins marqués par la compassion. Dans une communauté, un hôpital n’est pas un lieu quelconque. Les luttes pour leur sauvegarde en milieu rural le montrent bien.
La plupart d’entre nous sommes nés dans un hôpital. Plusieurs y mourront. Entre les deux, il nous arrive d’y aller. Chaque fois, quelque chose de grave et d’intense peut se vivre. C’est le lieu des silences lourds et pesants en attendant un diagnostic; c’est aussi le lieu des cris du nouveau-né lors de sa naissance. C’est le lieu de la peine en accompagnant un proche aux soins palliatifs; c’est aussi le lieu de la joie de guérir et recouvrer la santé. C’est le lieu de la solitude éprouvante dans des chambres isolées; mais aussi le lieu des réconciliations au moment de la mort imminente.
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Depuis toujours, l’hôpital est un des lieux de mon ministère, j’y vais régulièrement. Cette semaine, pour visiter un voisin hospitalisé et un confrère en attente de placement. Chaque fois que j’entre à l’hôpital, c’est avec l’intention d’y passer quelques minutes. Chaque fois que j’en ressors, je me rends compte que j’y ai passé beaucoup plus de temps: il y a toujours des gens rencontrés dans les corridors qui sollicitent une visite et demandent une prière.
Dans mes jeunes années presbytérales, j’allais à l’hôpital pour célébrer la messe avec les malades et les employés. Ou encore pour y célébrer le sacrement des malades. Je pense aux endroits où je suis allé prodiguer ces services: Caraquet, Miramichi, Lamèque, Bathurst, Campbellton, St-Jean, Edmundston, etc. Ces hôpitaux sont plus que des lieux stérilisés pour recevoir des soins, mais des sanctuaires fertilisés par le dévouement du personnel pour guérir.
Au fil des ans, c’est à la demande des familles que je tente d’apporter un peu de compassion par ma présence et mes paroles, parfois avec la prière et les rites de l’Église: une bénédiction ou l’onction d’huile. Aujourd’hui, les soins spirituels et religieux sont dispensés de manière plus discrète, mais demeurent un besoin essentiel. Lorsqu’on est malade, il n’y a pas que le corps qui doit être soigné; le cœur demande à être réconforté.
Avec les malades qui sont la raison d’être du système de santé; avec le personnel et ses besoins de soutien et de reconnaissance; avec les gestionnaires tiraillés entre les impératifs financiers et les ressources humaines disponibles; avec les familles, les aidants naturels et les bénévoles soucieux de prodiguer des soins de qualité. Célébrons 100 ans de soins hospitaliers en français au CHU Dr-Georges-Dumont de Moncton et visons l’excellence dans nos hôpitaux.