L’interprète non-binaire Conchita Wurst a remporté l’Eurovision en 2014. - AP: Jarek Praszkiewicz
La liberté n’a pas tous les droits!
Le gouvernement Higgs s’apprêterait à modifier la politique 713 sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle en milieu scolaire, et cela provoque des remous. Cette politique a été concoctée pour permettre aux élèves issus d’une minorité sexuelle ou de genre d’évoluer dans un cadre sécuritaire et inclusif à l’école.
Cette politique permet notamment aux élèves de genre non-binaire ou transgenre d’utiliser un autre prénom que leur prénom légal. Par exemple, Nancy se fera appeler Kevin, ou Kevin se fera appeler Nancy, si telle est sa volonté. Répétons: cela s’adresse aux élèves de genre non-binaire ou transgenre.
Et rappelons qu’une personne de genre non-binaire est une personne dont l’identité de genre ne correspond pas au sexe attribué à la naissance.
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Si la politique 713 stipule que l’élève âgé de moins de 16 ans doit obtenir l’aval des parents pour que son prénom préféré «soit officiellement utilisé dans la tenue de dossiers et la gestion quotidienne», elle précise aussi que «la direction d’école doit obtenir le consentement éclairé de l’élève pour discuter de son prénom préféré avec ses parents».
Et dans le cas où il ne serait pas possible d’obtenir ce consentement parental, il faudra mettre en place un plan de gestion du prénom préféré à l’école.
Ce changement de prénom peut donc se faire à l’insu des parents dans le cas où cela serait susceptible de mettre l’élève en situation précaire, ou carrément en danger, à la maison. Il s’agit d’une mesure visant à protéger l’enfant.
Donc, la rumeur court que le ministère de l’Éducation s’apprêterait à abroger cette clause, sous prétexte que les parents de l’élève ont un droit de regard incontestable sur la vie de leur enfant.
Deux vérités s’affrontent ici: le droit de l’enfant contre le droit des parents. Que faire?
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Premièrement, il faut bien noter que si cette confrontation existe, c’est que les législateurs n’ont pas suffisamment étudié les implications et ramifications possibles de cette politique en la rédigeant. Sinon, on n’en serait pas à cette apparente contradiction dans la distribution des droits!
Maintenant que la situation problématique existe, j’estime que c’est le droit de l’enfant qui doit prévaloir. Toujours dans un contexte où, je le répète, cette réalité intime de l’élève peut causer de graves remous à la maison.
Je le répète, parce qu’il faut beaucoup répéter quand on aborde les sujets d’orientation sexuelle ou d’identité de genre, afin que tout le monde se maintienne un tant soit peu au même diapason de la discussion. Car ça dérape vite. Pour rien.
Si Kevin souhaite se faire appeler Nancy par ses condisciples et ses enseignants, qu’il en soit ainsi pour sa sécurité, son bonheur et sa dignité, quitte à ce que Nancy redevienne Kevin en rentrant à la maison. À moins que Kevin-Nancy ait des parents compréhensifs et protecteurs, ce qui sera toujours le meilleur scénario!
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On a parlé du prénom, parlons maintenant du pronom. Depuis quelque temps, dans les milieux transgenres et non-binaires, ainsi que chez leurs alliés, alliées, on réinvente le pronom pour qu’il reflète cette non-binarité.
C’est ainsi qu’on remplace «il/elle» par «iel». Et «lui/elle/eux» devient «ellui, elleux». Quant à «celui/celle», on peut passer à «cellui/celleux/ceuzes».
Pour «tous/toutes», on aura «toustes», prononcé «tousse-te», ou «touze».
Ce ne sont que des exemples; il existe également d’autres graphies en français. Le dictionnaire Le Robert a ajouté «iel» dans sa dernière fournée de mots nouveaux.
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Selon la politique 713, l’élève peut choisir le pronom qui lui convient.
Je n’ai strictement rien contre l’utilisation de ces nouveaux pronoms par qui que ce soit, mais j’avoue avoir un peu plus de misère à me rallier à cet élément de l’écriture inclusive.
En réalité, chaque personne est libre de se prénommer ou de se «pronommer» comme elle l’entend, mais je ne suis pas à l’aise à l’idée de devoir jongler entre différents nouveaux pronoms, ou articles, ou déterminants pour m’adresser à une personne, ou pour y faire référence.
D’autant plus que leur graphie n’est pas encore fixée et qu’elle varie d’un groupe à l’autre ou d’une francophonie à l’autre. Le même phénomène se produit dans d’autres langues.
Exemple: comment dit-on Monsieur ou Madame à quelqu’un qui n’entre pas dans cette catégorie non-binaire?
Comment dira-t-on: «Bonjour, Madame Lajoie»?
«Bonjour, Lajoie»? Un peu raide à mon goût!
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Tiens, je viens d’utiliser le déterminant possessif «mon». L’écriture inclusive qui propose deux genres inédits, un genre neutre ET un genre inclusif, suggère de remplacer «mon» par «man » (genre neutre) ou par «maon» (genre inclusif).
Il y a toute une grammaire à revoir pour accommoder les nouveaux genres neutre et inclusif. Encore, je ne suis pas contre le fait d’accorder plus de respect aux personnes non-binaires ou transgenres, mais l’échafaudage grammatical qu’on propose pour pallier les lacunes linguistiques liées à l’identité, me semble heurter le génie de la langue française, dont l’une de ses plus belles caractéristiques est l’euphonie, c’est-à-dire l’harmonie des sons.
C’est pour cette raison qu’on dit que la langue française est une belle langue (il y en a d’autres aussi), parce qu’elle est musicale, harmonieuse, Bref: elle n’écorche pas les oreilles.
Ce qui n’est pas le cas avec ce genre de phrase, née de l’écriture inclusive: «Lia joueureuse fait saon farceuxe», «C’est pour elleux qu’iels ont discuté avec ellui».
Sachez aussi que vos frères et sœurs deviennent des «frœurs», que vos oncles et tantes deviennent des «tancles» et que votre neveu et nièce deviennent «niveu» ou «nevèce». Au choix!
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Tout ça pour dire que les phénomènes liés au genre ou à la non-binarité ont toujours existé, enterrés sous des couches millénaires d’interdits moraux et de préjugés, et que c’est une bonne chose qu’ils éclosent maintenant en toute liberté. À l’école, comme ailleurs!
Simplement, je ne crois pas qu’il faille aller jusqu’à détruire la langue française, ni même la rendre laide, pour exprimer cette nouvelle liberté identitaire. La liberté n’a pas tous les droits!
Han, … ?