L’Acadie Nouvelle a passé une journée parmi les Religieuses de Notre-Dame-du-Sacré-Coeur à Moncton. Portraits de femmes qui ont fait le choix de consacrer leur vie à Dieu au sein de leur communauté.
Soeur Céline Belliveau n’avait pas encore atteint la trentaine lorsqu’elle a fait voeu de chasteté, de pauvreté et d’obéissance pour la vie. Elle est la plus jeune des soeurs de Notre-Dame-du-Sacré-Coeur.
Élevée à Memramcook dans une famille catholique pratiquante, Céline Belliveau a vu le désir de devenir nonne grandir en elle à partir de l’adolescence, alors qu’elle participait à des groupes de prières.
«À 21 ans, j’ai commencé à y penser plus sérieusement, raconte-t-elle. À ce moment-là, j’étais encore étudiante à l’Université de Moncton et je travaillais à temps partiel à l’hôpital. Je vivais quelque chose sur le plan spirituel qui était plus grand que moi, j’avais l’impression que Dieu m’appelait. C’était un appel à être au service des autres.»
La jeune femme a alors commencé son noviciat et s’est mise à rencontrer une soeur de la congrégation chaque mois pour parler de sa vocation.
Une vie de prière austère ne l’effrayait pas. «La simplicité, ça allait bien avec ma nature. Je viens d’une famille de sept enfants et j’ai été habituée à partager. Je n’ai jamais été attirée par les richesses.»
Entrer en communauté fut l’aboutissement d’un long cheminement. Huit ans se sont écoulés avant que Céline Belliveau ne prononce les voeux perpétuels, dans l’église que son village natal. Depuis, l’anneau gravé des initiales de la congrégation ne quitte plus son annulaire.
«À 29 ans, c’est quelque chose de se dire qu’on n’aura pas de mari ni d’enfants, confie-t-elle. Aujourd’hui, j’ai dépassé ce stage. Je veux être là pour les soeurs qui vieillissent, elles qui m’ont accueilli et qui ont tant donné à la société.»
La religieuse a oeuvré pendant 17 ans comme travailleuse sociale à Bathurst dans le domaine de la santé mentale. Aujourd’hui âgée de 46 ans, elle s’occupe désormais de l’administration et des finances de sa congrégation.
De nos jours, très rares sont les femmes attirées par une existence religieuse. Céline Belliveau est en bien consciente. «Ce n’est pas un choix de vie commun», souligne-t-elle. «Les gens sont surpris quand je leur dis que je suis religieuse. Il y a comme une certaine distance au début, parfois les gens ont peur qu’on tente d’imposer nos valeurs parce qu’on a fait un choix plus drastique.»
Le nombre des soeurs de Notre-Dame-du-Sacré-Coeur a décliné au cours des ans, passant de plus de 350 à un peu plus d’une centaine. Elles ne sont que cinq à être âgées de moins de 65 ans.
Questionnée sur l’avenir de sa congrégation vieillissante, Céline Belliveau répond sans détour. «J’essaie d’être réaliste, je sais que les choses vont beaucoup changer mais je garde l’espoir que la congrégation continuera aussi longtemps que je serai là.»
«Certains pensent que ce n’est plus envisageable de devenir religieuse, je suis la preuve que ça se fait! Je suis convaincue qu’il est possible que quelqu’un d’autre vienne cogner à notre porte un jour ou l’autre.»
Des regrets, Céline Belliveau n’en a aucun. «J’ai trouvé une famille, je me sens bien, je sens que j’ai ma place.»
La vie au couvent en 2019
Il est 8h30 au moment de pénétrer dans l’imposante bâtisse de brique de la rue King qui abritait autrefois l’hôpital de Moncton. Bientôt l’heure des laudes (la prière chrétienne du lever du soleil) et de la messe matinale.
Première impression: le silence règne dans les couloirs de la maison-mère. La supérieure générale, soeur Agnès Léger, nous accompagne jusqu’à la salle de prière.
Chaque jour, une soixantaine de religieuses s’y recueillent et psalmodient d’une seule voix. Plusieurs d’entre elles dépendent d’une chaise roulante, mais elles ne manqueraient pour rien au monde le premier des rites quotidiens, célébrant la résurrection du Christ .
«C’est très important pour elles. Le concept de retraite n’existe pas vraiment chez les religieuses», souffle Agnès Léger. L’âge moyen des 106 membres de la congrégation atteint maintenant 83 ans.
Le quotidien des résidentes du couvent est ponctué d’autres prières personnelles de milieu du jour, suivies des vêpres, l’office de fin d’après-midi. Leur maison-mère abrite deux chapelles, un foyer de soins pour les soeurs en perte d’autonomie, un petit musée, un auditorium, une serre, une bibliothèque, un atelier et un salon de coiffure.
Charité, humilité, simplicité, risque dans la foi, telles sont les grandes valeurs de la communauté.
«On encourage à rester simples dans nos choix, dans notre mode de vie, dans notre façon d’être. C’est une vie dédiée aux autres», mentionne la soeur supérieure générale.
Rodolphe Caron a fréquenté la congrégation pendant plusieurs années pour la réalisation de son documentaire Pour la cause. Il a été frappé par la tranquillité du quotidien et la camaraderie ambiante.
«C’est une vie relaxante, loin de la pression du marché du travail. Je me dis que la vie devrait être un peu plus comme ça», lance-t-il.
«On a souvent l’image de religieuses tristes, très strictes, ajoute l’ancien cinéaste. J’ai découvert à quel point ces femmes sont drôles. J’ai rarement travaillé avec du monde avec autant d’humour!»
«On se taquine beaucoup», renchérit soeur Odette Léger, affectée aux archives. Au fil des ans, elle a vu nombre de ses soeurs se détourner de la vie religieuse pour retourner à la vie laïque.
«Je me suis questionnée lorsque plusieurs amies proches sont sorties. Pourtant, il y avait quelque chose qui me retenait. Des personnes étaient sur ma route pour m’aider à y voir clair et continuer. Je crois que le Seigneur me voulait ici. Je vois beaucoup de femmes heureuses autour de moi qui vivent de belles choses. Il y a beaucoup de coeur et d’amitié, ça m’émerveille de voir les soeurs qui soutiennent celles qui ont perdu la mémoire ou ne peuvent plus se déplacer.»
Si les Religieuses de Notre-Dame-du-Sacré-Coeur ont considérablement réduit leurs activités, elles gèrent encore des couvents à Petit-Rocher, Sainte-Marie-de-Kent, Saint-Paul, Grand-Sault et Bouctouche. Bien qu’elles n’oeuvrent plus directement dans le domaine de l’éducation et de la santé, plusieurs demeurent actives hors de ces murs.
Soeur Hélène Allain s’implique auprès des jeunes du Village des sources en Acadie, Jeannette LeBlanc offre des cours de littératie auprès de jeunes adultes, d’autres effectuent des missions à Haïti ou militent au sein du Front commun pour la justice sociale.
Un groupe de religieuses est aussi affecté au service téléphonique Écoute-prière. «On écoute les gens nous parler de maladie, de drogue, de mariage, de divorces. Ça leur fait du bien de savoir qu’on prie pour eux», nous explique soeur Vitaline McGrath entre deux appels.
Une religieuse qui a souhaité garder l’anonymat passe ses soirées à tricoter des vêtements qui seront vendus pour la charité.
Une famille
Âgée de 96 ans, elle est la seule membre de la congrégation à continuer de porter l’habit traditionnel, devenu optionnel à la fin des années 1960.
«Ne vous inquiétez pas, je serai enterrée dans cet habit», s’amuse la soeur toute de noir vêtue.
Au moment de prononcer les voeux en 1955, elle nourrissait ce rêve de longue date. «J’étais toute petite lorsque ma cousine, qui venait d’entrer en communauté, est venue nous visiter. Elle resplendissait, elle semblait tellement heureuse. À ce moment-là, je savais que je deviendrais soeur», raconte celle qui a consacré sa vie à l’enseignement dans la région de Sackville.
«C’est un choix difficile pour tout le monde. Pour moi, ce n’était pas juste un rêve d’enfant, j’avais travaillé et je savais ce que je voulais.»
Retirée de la vie active depuis peu, elle s’est établie dans les murs de la maison-mère à Moncton. «Tout le monde s’entraide ici, observe-t-elle. Si une soeur est malade, tout le monde prie pour elle. Je vais aller jouer aux cartes avec elles, ou lui faire la lecture le soir. Ici, j’appartiens à une famille.»
Une communauté ouverte et avant-gardiste
Dès leur fondation, les Religieuses de Notre-Dame-du-Sacré-Coeur n’ont pas hésité à tout remettre en question pour défendre la langue française. Cette philosophie accompagne toujours les soeurs qui expriment désormais la nécessité d’évoluer avec la société.
En 1924, mère Marie-Anne et 52 de ses compagnes, désireuses de poursuivre leur oeuvre en français, décident de quitter la communauté anglophone Sisters of Charity of the Immaculate Conception pour créer la nouvelle congrégation des Religieuses de Notre-Dame-du-Sacré-Coeur.
«C’était un moyen risque que de quitter sa famille religieuse, souligne soeur Agnès Léger. La raison d’être de notre fondation s’était que le peuple acadien puisse continuer à vivre dans sa langue.»
En 95 ans d’histoire, la communauté aura grandement contribué à la sauvegarde de la culture acadienne. D’abord en assurant la formation académique des soeurs enseignantes, puis en s’endettant pour la construction du Collège Notre-Dame d’Acadie, l’un des premiers, et l’un des rares collèges francophones pour femmes au Nouveau-Brunswick.
Jusqu’en 1982, les étudiantes s’y sont formées avant de devenir médecins, avocates, auteures ou journalistes.
Les soeurs ont également milité pour une plus grande place des femmes dans l’Église catholique. Odette Léger s’est notamment illustrée lors d’une intervention historique adressée au pape Jean-Paul II en 1984.
«Appelées à prendre option pour les plus démunis, nous voulons travailler à éliminer les causes d’injustices dans notre milieu. Il y a en particulier celle de la condition de la femme au travail, dans la vie sociale, et aussi dans la défense de son droit d’égalité tel que voulu par Dieu», plaidait-elle.
«Que nous soyons célibataires, femmes mariées ou religieuses, nous voulons partager les tâches apostoliques d’évangélisation, car Dieu nous appelle à le faire selon notre manière féminine d’être au monde et en réponse à notre vocation humaine et chrétienne.»
Au sein du couvent, on ne cherche pas à entretenir une pensée unique, assure Odette Léger, qui décrit un microcosme social égalitaire.
«Chacune a son caractère, sa propre façon de marcher», dit-elle.
«Nous ne sommes pas toutes formées dans un même moule, la congrégation nous pousse plutôt à nous développer pour devenir la meilleure personne qu’on est appelée à être.»
Rodolphe Caron, réalisateur du documentaire Pour la cause, estime que les membres de la congrégation n’ont jamais hésité à se remettre en question pour tenir compte des transformations sociales.
«J’ai trouvé une communauté qui a évolué très vite, il y a eu des réflexions sur tout. Je dirais qu’elles se sont rendues plus loin que certains catholiques pratiquants!»
«Si je devais résumer l’esprit de la congrégation, je dirais que c’est la volonté de ne pas juger les gens. Dans mon documentaire, soeur Murielle disait ’‘’Je défis quiconque de trouver dans l’Évangile de Jésus-Christ un passage où il y a un discours moralisateur. Il accueille la personne, il l’écoute et il la relève, il ne l’écrase pas.’’ En quelque sorte, elle défiait la hiérarchie à ce moment-là!»
Agnès Léger abonde dans ce sens. À ces yeux, les congrégations religieuses doivent s’éloigner d’une certaine rigidité pour mieux ouvrir les bras.
«Nous sommes prêtes à écouter, nous essayons d’être ouvertes sans avoir d’idée fixée d’avance à propos d’autres modes de vie, exprime la soeur supérieure générale. Qui est-on pour juger l’autre? Avec le temps, on apprend à ne pas rester avec de vieilles croyances.»