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Santé: comment éteindre l’incendie?

«Stabilisation des soins de santé: Un appel à l’action urgent». Le nom du plan de santé, mis en place par le gouvernement provincial à l’automne, est sans appel: il y a urgence. Pourtant, le dossier est toujours sur le bureau du nouveau ministre qui a déclaré quelques jours après sa nomination s’être «à nouveau familiarisé avec le document d’une quinzaine de pages».

Le plan identifie cinq domaines d’action, allant de la santé mentale, à la prise en charge des aînés, en passant par l’accès aux chirurgies ou encore la création d’un système connecté.

Mais avec la situation catastrophique aux urgences, c’est la thématique de l’accès aux soins primaires (premier axe de travail du plan de santé) qui revient au centre des enjeux. Nouvelle vague de COVID-19, départs en vacances et manque de ressources, un cocktail explosif pour les urgences cet été qui a conduit à la mort d’un patient non pris en charge à l’hôpital de Fredericton, le mois dernier.

Si les différentes limites du système de santé reviennent souvent au manque de personnel, le caractère structurel et multidimensionnel de ce problème le rend difficile à résoudre à court terme, dans une situation si urgente.

«Il ne reste pas longtemps avant que le système de santé explose», s’inquiète Maria Richard, vice-présidente du syndicat des infirmières.

Il y a déjà un an, 132 médecins alertaient «des risques majeurs pour la sécurité des patients» dans une lettre envoyée à la ministre de la Santé.

Une situation héritée d’un effet boule de neige, selon plusieurs médecins sous anonymat. Les services des hôpitaux manquent de lits. Les nouvelles admissions graves aux urgences ne peuvent donc être hospitalisées et «monter aux étages supérieurs». Ces patients «empiètent» sur les espaces dédiés aux urgences, où l’attente se retrouve interminable.

Un cercle vicieux se met en place: le surmenage mène à des départs, à des congés maladie qui aggravent encore un peu plus la situation.

Une lettre signée par 171 employés du CHU Dr-Georges-L.-Dumont et adressée au ministère de la Santé en avril 2021 alertait de la charge de travail «non seulement extrêmement lourde, mais aussi non sécuritaire pour les patients et les employés». Le temps manque pour changer certains pansements ou pour remplacer les culottes d’incontinence, les familles expriment de plus en plus de mécontentement et le personnel soignant est à bout de souffle.

L’épineuse question des soins primaires

Pour faire face, les hôpitaux tentent de composer comme ils peuvent, «font un travail de dingue», salue Mme Richard, et demandent à leurs patients les plus légers d’éviter les urgences. Les directions de plusieurs centres des réseaux Vitalité et Horizon demandent alors «aux gens dont l’état de santé n’est pas critique de prendre rendez-vous avec leur médecin de famille, de consulter leur pharmacien communautaire, de communiquer avec le service Télé-Soins (811) ou eVisitNB pour obtenir un rendez-vous virtuel».

«Le but de ces annonces est de prévenir les patients moins graves qu’ils vont devoir attendre», explique Dany Godin, chef des urgences du CHU Dumont, à Moncton.

«C’est facile de montrer du doigt les gens qui utilisent les urgences de façon inappropriée, mais beaucoup n’ont pas d’autres accès», ajoute-t-il.

C’est le cas d’Oksana Vashenko, réfugiée ukrainienne à Moncton qui est allée plusieurs fois aux urgences pour accompagner son mari souffrant d’une douleur aux dents. Ils ont finalement renoncé aux soins en raison du temps d’attente.

«Sept heures aux urgences, même en Ukraine je n’ai jamais vu ça!»

Une situation choquante pour cette nouvelle arrivante, mais devenue la norme pour de nombreux citoyens du Nouveau-Brunswick.

Ils sont 65 230 au 31 mai, selon le ministère de la Santé, à ne pas avoir de médecins de famille et parfois contraints de se tourner vers les urgences pour leurs problèmes de santé du quotidien.

«Le problème c’est que les urgences sont là où aboutissent tous les cas non pris en charge du système de santé», regrette François Sussy, médecin de famille à Edmundston, qui a hésité à fermer son bureau devant l’afflux de patients, au moment où il a commencé à prendre de nouveaux rendez-vous par internet.

 

Super infirmières: une solution qui tarde à faire ses preuves

NDLR: Pensés comme une solution pour désengorger les urgences et permettre à de nombreux Néo-Brunswickois d’accéder à des soins primaires, le plan de santé et les politiques des régies de santé interrogent. Pour explorer les nouveaux chantiers sur lesquels le nouveau ministre va devoir plancher dans les prochaines semaines, nous avons tenté d’approfondir certaines initiatives et solutions à sa disposition.

Le gouvernement provincial souhaite offrir un accès aux soins primaires à 18 000 Néo-Brunswickois grâce à l’ouverture de cliniques d’infirmières praticiennes à Moncton, Fredericton et Saint-Jean. Ces professionnelles de santé aux compétences élargies regrettent toutefois des embauches et des conditions de travail encore trop compliquées.

«Allô là ?! J’ai envie de dire en bon acadien!» Maria Richard, vice-présidente du Syndicat des infirmières et des infirmiers du Nouveau-Brunswick, s’exaspère des faibles embauches d’infirmières praticiennes (IP) face au nombre de patients laissés sans médecins de famille.

Ces professionnelles possèdent davantage de compétences que les infirmières classiques, notamment la possibilité de prescrire des médicaments, ainsi que d’interpréter des traitements et examens médicaux.

Si le gouvernement se félicite de l’ouverture de trois nouvelles cliniques d’infirmières praticiennes, la situation demeure compliquée pour les premières concernées. La liste d’attente des personnes sans médecins de famille a gonflé, tandis qu’un grand nombre de diplômées ne parviennent toujours pas à trouver de postes ou préfèrent quitter la province.

C’est le cas de Nancy Thériault qui a cherché un poste dans tout le Nouveau-Brunswick pendant deux ans. Elle s’est finalement résolue à accepter une mission d’enseignement à temps plein à UNB à Moncton. Pour garder sa qualification et sa pratique, elle travaille en plus les week-ends aux urgences.

«Les autorités ont annoncé que toutes les étudiantes infirmières praticiennes vont avoir un job, et certaines ont déjà été approchées mais on ne sait pas où ni comment», s’inquiète l’enseignante, en annonçant que l’université va doubler le nombre de diplômés l’année prochaine, passant de 10 à 20.

Sur les finissantes d’aujourd’hui, beaucoup préfèrent quitter la province ou prendre des «contrats voyages», pour aider ponctuellement des services en manque à différents endroits. Avec des salaires attrayants et de bonnes conditions, ces emplois courts attirent de nombreuses infirmières et agences d’emplois.

«Pour retenir les diplômés ici, ce n’est pas qu’une question d’argent mais d’équilibre de vie», pointe Nancy Theriault.

«C’est un cercle vicieux, les conditions difficiles attirent moins d’étudiants et font qu’il y a moins de personnel et donc de mauvaises conditions.»

«Respect, Rétention et Recrutement»

Pour résoudre cette situation, Maria Richard en appelle aux 3R, pour «Respect, Rétention et Recrutement».

«Les infirmières praticiennes ont un gros rôle à jouer pour l’avenir», ajoute-t-elle.

Si elles existent légalement depuis 2002, ces infirmières couteau-suisse prennent de plus en plus d’importance avec la situation critique aux urgences. Elles pourraient constituer une réponse à l’engorgement des services et au manque de médecins de famille. À condition qu’elles soient parties prenantes des négociations et décisions, rappelle toutefois Nancy Thériault, qui en appelle à «plus d’indépendance envers l’Autorité de Santé».

Pénurie d’infirmières: des pistes à l’étude

  • Le gouvernement du N.-B. veut signer une entente avec son homologue du Québec pour que les nouvelles infirmières puissent faire l’examen d’entrée à la profession du Québec. Cela donnerait une alternative à l’examen NCLEX-RN pour les infirmières francophones.
  • Garantir la rémunération des stages d’étude d’infirmières. Le ministre de l’Éducation postsecondaire, de la Formation et du Travail, Trevor Holder a récemment confirmé que cette option est envisagée par son gouvernement.
  • Un nouveau modèle de soin collaboratif censé déléguer certaines tâches à des professionnels auxiliaires et ainsi soulager le travail des infirmières devrait être lancé bientôt par le réseau de santé Vitalité.
  • Le Nouveau-Brunswick a recruté 80 infirmières formées à l’étranger depuis l’automne 2020. D’ici 2023-2024, la province vise à augmenter ce chiffre à 280 par an.

De nouveaux services en pharmacie pour désengorger le système?

Une des pistes engagées par le gouvernement dans le plan de santé est de permettre le remboursement de nouveaux soins délivrés en pharmacie. Objectif: permettre aux patients sans médecins de famille d’éviter les urgences. Une mesure aux effets encore «minimes», mais vouée à se développer.

«L’idée selon laquelle une pharmacie est simplement l’endroit où l’on vend des médicaments est en train de changer», considère Jake Reid, directeur général de l’association des pharmaciens du Nouveau-Brunswick.

«Ce n’est pas médecins contre pharmaciens contre infirmières mais tous les spécialistes qui travaillent avec leurs meilleures capacités», tente-t-il tout de même de nuancer.

Pour désengorger les services d’urgence, le gouvernement provincial cherche en effet à étendre le champ d’intervention des pharmaciens. L’objectif est de permettre aux patients sans médecins de famille de trouver des soins primaires, à l’extérieur de l’hôpital. Depuis le 7 juin, les services relatifs à la contraception et au zona s’ajoutent à la liste de soins administrés dans les officines et couverts par le gouvernement.

«Nous avions déjà beaucoup de patients qui venaient pour le zona avant, explique Dennis Abud, pharmacien à Dieppe. Mais ils devaient payer donc certains préféraient aller aux urgences.» Les honoraires exigés par les pharmaciens pour évaluer et traiter cette maladie infectieuse sont désormais pris en charge. À l’instar du zona, le remboursement concerne aujourd’hui une vingtaine de cas mineurs, comme la contraception ou les infections urinaires. «Je pense que d’autres services vont suivre comme la vaccination», prévoit Dennis Abud.

«Élargir le rôle des pharmaciens et d’autres fournisseurs de soins de santé changera profondément l’évolution de notre système pour que, peu importe le point d’entrée d’un patient, ce dernier puisse avoir accès aux soins dont il a besoin», se réjouissait alors l’ex-ministre de la Santé, Dorothy Shephard par communiqué.

Une mesure bien reçue également par les patients de la pharmacie de Dieppe, comme Nicole qui vient de Memramcook pour chercher des conseils pour sa mère malade, plutôt que de prendre rendez-vous avec un médecin de famille.

«Une solution très mineure», juge toutefois Danny Godin, chef du département au Dr-Georges-L.-Dumont de Moncton, tout en reconnaissant que cette mesure va dans le bon sens pour les patients sans médecins de famille. Même si les pharmaciens peuvent prescrire des médicaments à partir d’une ordonnance jusqu’à quatre fois par an, le passage devant un médecin reste nécessaire pour la quasi-totalité des actes de soin.

Des citoyennes à la recherche de solutions

«Les décisions du premier ministre suscitent beaucoup d’interrogations, mais aussi un réveil des gens pour trouver des solutions», observe Daniel Allain, ministre des Gouvernements locaux après avoir entendu les témoignages de soignants recueillis par deux citoyennes de Moncton qui ont lancé une pétition pour «réclamer des améliorations au système de santé».

C’est à la suite à d’une mauvaise expérience aux urgences avec son fils de 4 ans que Julie Leger décide de s’emparer du sujet. Avec son amie Mylène Poirier, elles commencent à «ramasser les histoires de soignants», pour porter la voix du «monde qui n’est pas capable de parler».

Depuis un mois, elles collectent les témoignages, souvent durs, de soignants épuisés à travers des messages, appels et un groupe Facebook.

«Juste prendre le temps d’écouter, c’est déjà très important pour eux», explique Mylène Poirier en indiquant que chaque appel se conclut par un «gros merci».

En tant que député de Moncton-Est, Daniel Allain a reçu les deux femmes récemment en leur rappelant qu’il était au courant de la situation mais qu’il attendait maintenant des solutions.

«Je ne m’attendais pas à ça», reconnaît Julie Leger qui s’est tout de suite mise en quête de solutions imaginées par les soignants, dont nous publions ici une sélection des premières remontées. Ces propositions anonymes ont été compilées dans un document envoyé par Julie Leger au ministre Daniel Allain.

Couvrir la responsabilité des soignants: «Nous ne sommes pas couverts si nous faisons une erreur. Passer une loi pour faire en sorte que les travailleurs de santé se sentent en sécurité s’ils sont contraints de se mettre dans des situations dangereuses, comme faire un double quart de travail (24 heures).»

Une plus grande reconnaissance: «Cessez de nous traiter comme des numéros. Les infirmières se plient en quatre pour les autorités sanitaires et les gestionnaires, mais l’inverse n’est pas vrai.»

Mettre en place des «équipes de déchargement»: «À Halifax, il y a des «équipes de déchargement» qui se connectent et vont directement aux urgences pour s’occuper des patients en déchargement afin de libérer les équipes pour les appels au 911.»

Améliorer le système informatique: Modernisation du système informatique pour diminuer les tâches bureaucratiques des infirmières et des adjointes administratives et diminuer les risques d’erreurs.

Le défi des soins aux aînés

Près de 28% de la population du Nouveau-Brunswick aura plus de 65 ans d’ici 10 ans. C’est le constat sans appel réalisé par les autorités de santé, alors que près d’un lit d’hôpital sur trois est déjà occupé par une personne âgée.

Une lettre signée par 171 employés du CHU Dr-Georges-L.-Dumont et adressée au ministère la Santé en avril 2021 citait l’accumulation de patients âgés hospitalisés en attente de placement dans un foyer comme l’un de leurs problèmes majeurs.

«Ceux-ci s’accumulent dans beaucoup de départements et bloquent des lits, sur une longue période, pour les clients des unités spécialisées. C’est la raison principale de congestion et les unités en place ne sont clairement pas suffisantes car cette clientèle se retrouve sur tous les autres départements.»

On proposait alors aux décideurs que ces patients soient transférés dans des hôpitaux moins achalandés ou dans un foyer disponible jusqu’à ce que leur établissement de choix se libère. On souhaite également que les résidents de foyers soient plus systématiquement évalués sur place plutôt qu’à l’urgence.

Pour faire face à ce défi grandissant, le gouvernement prévoit de développer le soutien et l’accès au soin des aînés en dehors des espaces de santé. L’objectif du plan de santé est donc de désengorger les établissements de soins, tout en permettant aux aînés de vieillir chez eux.

À ce titre, l’expérimentation de foyers de soins sans murs est érigée comme piste privilégiée de solution. Pilotée par une chercheuse de l’Université de Moncton, l’initiative consiste à offrir des services aux aînés à domicile à partir des foyers de soins. L’idée est d’offrir plus de services, sans construire de nouvelles infrastructures.

Soutenu par le ministère du Développement social depuis 2018, le projet est toujours à l’essai dans six collectivités de la province. Si l’association francophone des aînés du Nouveau-Brunswick juge l’initiative «prometteuse», dans son dernier rapport, elle juge qu’«il faut accélérer la cadence afin de répondre à la demande de celles et de ceux qui veulent, à peu près sans exception, rester dans leur demeure le plus longtemps possible».

Le changement prend du temps

COVID-19, résistances aux changements et manque de proximité sont à la source des manquements du plan de santé, selon Roger Léger, président du Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick.

Engagé au sein du groupe de travail mis en place par le gouvernement, en tant que président du Conseil de santé du Nouveau-Brunswick, Roger Léger reconnaît un retard et des complications dans la mise en place du plan de santé.

«Le système n’a réellement pu se tourner vers le plan que plus tard ce printemps-là, en raison des vagues de COVID-19», indique-t-il en reconnaissant qu’il n’est pas facile de faire bouger «un système de quelque 20 000 personnes», dans lequel il y a parfois d’importantes «résistances au changement».

Pour changer le système, il milite avec son organisation pour des actions au plus près des citoyens, tant au niveau des données d’information de soin, que des politiques publiques.

«En raisonnant à un niveau provincial, on vient parfois affecter négativement des endroits ou l’on performait déjà bien», développe-t-il en observant que les habitudes des médecins de ville peuvent, par exemple, être totalement différentes d’un endroit à l’autre.

Ainsi, pour lui, toute action politique commence par une «meilleure compréhension de la clientèle de chacune des zones».

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