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Le grand retour des retraités sur le marché du travail

Certains retraités travaillent pour avoir suffisamment d’argent pour vivre. Mais beaucoup d’entre eux retournent à l’emploi pour d’autres raisons: rester en contact avec la jeunesse, s’occuper, se socialiser, etc.

Ce n’est peut-être pas l’élixir de jouvence. Mais travailler pendant la retraite peut donner l’impression de moins vieillir. Surtout quand l’emploi est celui de suppléant dans les écoles, comme dans le cas de Paul Demers.

«C’est s’arrêter, vivre avec les jeunes, avoir du plaisir avec eux, leur enseigner à travailler en équipe et apprendre à mieux les connaître, s’enthousiasme l’homme âgé de 67 ans. Ils ont de bons côtés: ils n’acceptent pas tout et s’impliquent dans la musique, l’art et le sport.»

Le résident de Saint-Louis-de-Kent a pourtant raté un premier retour au travail en tant que suppléant, peu après sa prise de retraite en 2012 et une carrière d’enseignant, de directeur d’école puis d’agent pédagogique.

«Je n’ai pas tellement aimé. Mon départ était trop frais, rit-il. J’ai donc fait beaucoup d’autres choses: une implication au conseil d’éducation du District scolaire francophone Sud et dans différents comités ainsi que beaucoup de voyages à vélo (un tour de France et une traversée du Canada, par exemple).»

M. Demers a ensuite constaté le manque de suppléants, surtout dans son milieu rural.

«Je me suis dit que je pouvais apporter ma pierre à l’édifice, raconte-t-il. J’ai commencé en décembre 2021, principalement à l’école Mgr-Marcel-François-Richard et à l’école Soleil Levant. Curieusement, j’ai aimé ça.»

Le membre du conseil d’administration de l’Association francophone des aînés du Nouveau-Brunswick constate toutefois que la vie professionnelle nécessite un investissement important.

«En éducation, il faut être là à 100%. Le bénévolat est moins exigeant, constate-t-il. J’ai certaines règles à faire suivre aux jeunes, même s’ils n’aiment pas ça. J’ai de la préparation à effectuer pour leur apporter le plus d’éléments possible du programme. Les horaires sont également très encadrés.»

De plus, M. Demers travaille beaucoup. Il remplace des enseignants deux à trois jours par semaine. Ce rythme lui permet de garder la forme et des disponibilités pour ses activités associatives et sportives. Mais il doit l’accélérer depuis la rentrée.

«Je fais huit semaines à temps plein jusqu’à la fin octobre. Une enseignante s’est blessée à la dernière minute. L’école était mal prise. J’ai donc dû déplacer des réunions en soirée, ajoute celui qui a pu répondre à l’Acadie Nouvelle à partir de 20h au plus tôt. Je ne pourrais pas tenir ce rythme pendant un an!»

Le grand-père encourage néanmoins les retraités qui voudraient aussi devenir suppléants dans les écoles.

Payer les factures

Certains sont peut-être contraints de retourner au travail à cause de l’inflation. L’agent de jumelage de l’Agence Emploi Retraite d’Edmundston, Marco Ruest, en témoigne.

«Il y en a qui me le disent: tout coûte plus cher, raconte celui qui lie des employeurs en manque de main-d’œuvre et des retraités. Ceux qui viennent me voir pour de l’argent n’ont que la pension de retraite nationale et ont besoin d’arrondir leurs fins de mois.»

Le directeur de la Coop IGA de Dieppe, Denis Rioux, observe aussi des motivations financières parmi la dizaine de retraités qu’il emploie. «Il y en a qui me disent: ‘‘ça paye mon char’’», raconte-t-il.

M. Ruest confirme toutefois que les retraités peuvent avoir beaucoup d’autres motivations pour travailler: s’occuper, se socialiser, se sentir utile, obtenir de la reconnaissance, partager leurs savoirs, etc.

«Il y en a qui viennent pour le plaisir, pour faire une sortie et rencontrer des gens, constate également M. Rioux. Travailler n’est pas un fardeau pour eux! C’est l’activité qui les garde en forme.»

Des retraités sauvent des entreprises

Que ce soit dans le nord ou le sud de la province, des retraités permettent à des entreprises de survivre en comblant leur manque de main-d’œuvre, surtout avec la rentrée scolaire. Ils y apportent leur force de travail, mais aussi leur expérience, leur flexibilité et leur sérieux.

«Des employeurs disent souvent qu’on sauve en partie leur entreprise», glisse l’agent de jumelage de l’Agence Emploi Retraite d’Edmundston, Marco Ruest.

Son travail est de dépanner ceux qui manquent de main-d’œuvre en proposant à des retraités des contrats de travail à temps partiel et des postes à durée déterminée.

«Un employeur a une offre d’emploi à temps plein et personne ne postule, illustre M. Ruest. Souvent, j’ai la perle rare disponible quelques heures par semaine. C’est toujours mieux d’embaucher cette personne en attendant.»

Il se félicite du grand succès du projet pilote qu’il met en œuvre.

«À ce point-ci, on peut vraiment être fier, souffle-t-il. Nous sommes bien regardés de partout en Atlantique et nous faisons beaucoup parler. Je sais que l’idée de l’élargissement du projet est lancée.»

Son agence a ouvert en 2021 grâce à un partenariat entre la Chambre de commerce de la région d’Edmundston et l’organisme du gouvernement provincial Travail NB. Elle avait un objectif de 25 placements la première année. Elle en a permis plus du double.

«L’objectif de la deuxième année est de 50 jumelages, indique M. Ruest. Nous avons déjà atteint 65% de l’objectif à la moitié de l’année [fiscale]. L’an passé, le mois d’octobre a été le plus fort. Notre situation est donc vraiment bonne.»

Flexibilité, expérience, assiduité

Il craint peu la fin du programme Connexion NB-AE, qui permettait aux étudiants de recevoir des prestations d’assurance-emploi pendant l’année universitaire.

«Je verrai les effets prochainement, fin septembre, début octobre, prévoit M. Ruest. Je n’ai pas trop de craintes, car les étudiants ne peuvent pas travailler toute la semaine de toute façon. Je crois qu’ils ont peu de temps pour un emploi.»

L’agent de jumelage précise que les retraités ont au contraire un agenda flexible.

«Ils n’ont pas d’enfants à s’occuper, souligne M. Ruest. Et pour eux, tous les jours sont des samedis, donc des lundis aussi!»

Il ajoute qu’en plus de pourvoir des postes, les retraités apportent aux entrepreneurs leur expérience ainsi qu’une assiduité et une ponctualité plus grande que les autres employés.

Le directeur de la Coop IGA de Dieppe, Denis Rioux, emploie une dizaine de retraités. – Acadie Nouvelle: Cédric Thévenin

Le directeur de la Coop IGA de Dieppe, Denis Rioux, confirme la maturité des retraités, qui travaillent dans son magasin depuis 2010.

«Ils créent un rapprochement différent avec les clients, raconte-t-il. Certains sont des enseignants à la retraite qui servent d’anciens élèves. D’autres aident d’anciens collègues. Ça crée un contact avec la communauté, une confrérie.»

Les retraités apportent ainsi à la Coop IGA de Dieppe un esprit qui convient aux valeurs communautaires de l’entreprise. Ils pourvoient aussi des postes sans lesquels la grande surface fonctionnerait beaucoup moins bien.

«Sur 14 employés dans trois départements (épicerie, viandes ainsi que fruits et légumes), j’ai sept retraités ce matin, constate M. Rioux un vendredi. Sans eux… on serait moins à l’aise. Ça affecterait le service à la clientèle. Il y aurait probablement des produits qui manqueraient sur le plancher.»

Travailler peut pénaliser les retraités

Quelques programmes fiscaux du gouvernement fédéral encouragent les retraités à retourner sur le marché de l’emploi. L’intérêt financier de travailler à nouveau dépend toutefois des cas au Nouveau-Brunswick.

«Il faudrait que le gouvernement arrête de pénaliser les retraités qui travaillent alors qu’il y a des besoins de main-d’œuvre énormes dans les entreprises», critique le directeur de la Coop IGA de Dieppe, Denis Rioux.

Certains retraités se demandent en effet s’ils perdraient de l’argent en retournant à l’ouvrage plutôt qu’en touchant leurs pensions et prestations sociales.

«Des gens arrivent à nous, parce qu’ils ont eu un emploi l’année précédente et qu’ils ont été pénalisés, témoigne l’agent de jumelage de l’Agence Emploi Retraite d’Edmundston, Marco Ruest. Mais on leur explique que s’ils travaillent, ils gagnent souvent plus qu’ils ne perdent.»

Deux chercheurs à l’Université de Sherbrooke, Luc Godbout et Suzie St-Cerny, estiment que la croyance selon laquelle il vaut mieux éviter un revenu de travail à la retraite est tenace et erronée.

Du moins au Québec. Les chercheurs soulignent que la province a mis en place plusieurs mesures fiscales pour encourager les retraités à retourner sur le marché de l’emploi. Ce n’est pas le cas du Nouveau-Brunswick.

«Si un retraité [de cette province] veut retourner au travail, il a beaucoup de programmes à regarder avant de prendre sa décision, afin de ne pas être pénalisé», avertit un directeur en fiscalité de Raymond Chabot Grant Thornton, Miguel Voisine.

Il souligne que chaque situation est différente grâce à deux exemples.

Dans le cas d’un retraité célibataire de 70 ans à faibles revenus (Sécurité de la vieillesse de 7364$, pension du Canada de 5000$ et revenu REER de 50$), gagner un salaire annuel de 15 000$ lui rapporterait 14 752$ de plus après impôts qu’en s’abstenant de travailler en 2022. Toutefois, il aurait 3541 $ en moins de supplément de revenu garanti l’année suivante.

Dans le cas d’un retraité célibataire de 70 ans de la classe moyenne (Sécurité de la vieillesse de 7364$, pension du Canada de 7436$, autres pensions de 24 000$ et revenu REER de 2500 $), gagner un salaire annuel de 5000$ lui rapporterait 3328$ de plus après impôts qu’en s’abstenant de travailler en 2022.

Incitatifs fédéraux

M. Godbout et Mme St-Cerny soulignent que le gouvernement fédéral a lancé des incitatifs.

«Il est possible de reporter le début de la pension de Sécurité de la vieillesse (PSV) jusqu’à 60 mois après l’âge de 65 ans», écrivent-ils d’une part.

Les chercheurs calculent que repousser le début de cette prestation à 70 ans équivaut à recevoir près de 11 000$ par année à cet âge-là au lieu de 8000$ à 65 ans, puis près de 9000$ au lieu de 12 000$ à 75 ans.

«Le choix de reporter le début de la PSV majore significativement la prestation pour les années futures. Cet élément ajoute de la flexibilité dans les mécanismes des régimes de retraite tout en ayant des effets positifs sur l’incitation au travail des aînés», concluent-ils.

D’autre part, M. Godbout et Mme St-Cerny font valoir l’exemption des premiers 5000$ de revenu du travail dans le calcul servant à la détermination du Supplément de revenu garanti (SRG). Le gouvernement fédéral offre ce paiement mensuel à ceux qui reçoivent déjà la PSV, mais qui ont peu d’argent.

«Et, pour le revenu de travail entre 5000$ et 15 000$, seule la moitié doit être incluse dans le calcul, ajoutent les chercheurs. Notez qu’avant juillet 2020, l’exemption des gains au revenu tiré d’un travail était de 3500$ seulement et que cela ne couvrait pas le revenu tiré d’un travail indépendant.»

Enfin, ils évoquent l’Allocation canadienne pour les travailleurs, mise en place en 2007. Ce crédit d’impôt destiné aux travailleurs à faible revenu peut profiter aux retraités.

M. Voisine juge cependant les mesures du fédéral insuffisantes. Il souhaite par exemple une exemption des premiers 20 000$ de revenu du travail dans le calcul servant à la détermination du SRG.

«5000$, c’est vite ramassé ces temps-ci», fait-il valoir.

Le directeur en fiscalité de Raymond Chabot Grant Thornton pense que le Nouveau-Brunswick pourrait aussi instaurer des programmes fiscaux pour motiver les retraités tentés par un retour sur le marché de l’emploi.

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