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Les étudiants étrangers: une richesse à Shippagan

NDLR: L’Acadie Nouvelle vous propose aujourd’hui un dossier sur les étudiants étrangers de l’Université de Moncton, campus de Shippagan (UMCS), les défis que ceux-ci doivent surmonter lors de leur séjour en Acadie et la contribution qu’ils peuvent apporter à la communauté.

En 2017, l’UMCS n’accueillait que 17 étudiants internationaux. L’an dernier (2021-2022), des 571 inscriptions à ce campus, la moitié provenait de l’étranger. Si 16 pays y sont aujourd’hui représentés, les étudiants sont surtout originaires de l’Afrique du Nord, plus particulièrement de l’Algérie.

Dans une ville de 2672 habitants, la présence de 200 à 300 étudiants internationaux se répercute nécessairement sur l’économie.

Le maire de Shippagan reconnaît que «les entreprises ont des défis quant à la main-d’œuvre, et ils (les étudiants internationaux) sont une réponse.»

Tous les ans, Danny Rousseau, le propriétaire de l’Épicier Indépendant, embauche de quatre à cinq étudiants internationaux. En septembre, il a été particulièrement sollicité.

«Depuis que les cours universitaires ont repris, j’ai reçu au moins 20 CV d’étudiants internationaux. Je n’ai jamais vu ça».

«Certains vont être déçus», ajoute-t-il, car il n’a que deux emplois à temps partiel à proposer, mais il estime que chacun devrait trouver son compte «parce que la demande est là».

Le propriétaire du Tim Horton’s de Shippagan, Jeremy Lebanf, a déjà embauché des étudiants internationaux par le passé.

«C’est un bienfait d’avoir l’université ici», soutient-il. En septembre, il a organisé «quelques entrevues».

Mona Savoie, de la station-service Canadian Tires de Shippagan, se réjouit aussi de la présence des étudiants internationaux. Quatre des sept employés qui l’assistent quotidiennement sont originaires de l’extérieur. Et cette année, les CV s’accumulent comme jamais.

«J’ai un pouce d’épais de CV. Et je peux compter sur les doigts d’une main ceux qui viennent des gens d’ici.»

Plein emploi

À l’heure actuelle, quatre étudiants africains qui ont été interviewés par l’Acadie Nouvelle occupent tous un emploi.

Nadia Ouedraogo, du Sénégal, n’a jamais chômé pendant ses quatre années dans la région. Elle a même travaillé chez des transformateurs de fruits de mer, entre autres à Néguac et à Val-Comeau.

Joël Djombjou, du Cameroun, arrivé en février 2022 au Canada, a passé l’été dans la Péninsule acadienne et il a travaillé pour quatre employeurs, dont le restaurateur Pizza Delight et la société Thermopak.

Quant à l’Algérienne Sedda Aoudj, elle occupe depuis cinq mois un emploi à temps partiel à l’Université, même si elle n’est au pays que depuis janvier.

Les étudiants internationaux subissent, comme les Canadiens, les effets indésirables de l’inflation. M. Djombjou soutient que le coût de la vie va l’obliger à certains choix. Il prévoyait passer quatre ans à l’Université de Moncton (deux à Shippagan et deux à Moncton), mais les frais de scolarité, toujours plus élevés, l’inciteront peut-être à viser le diplôme de deux ans plutôt que le baccalauréat.

 

Un nouveau commerce

Signe révélateur de la présence des étudiants d’outre-mer à Shippagan: l’ouverture, en mars 2021, de l’épicerie internationale Yamakasi, qui se spécialise dans les produits exotiques. Même les gens du coin s’y rendent, constate le maire Doumbia.

«J’ai rencontré des Acadiens qui m’ont dit qu’ils trouvaient très intéressant d’avoir cette épicerie. Ils étaient contents d’avoir à leur portée des ingrédients qui leur permettent de cuisiner des plats qu’ils ont découverts au cours de leurs voyages.»

Pas facile d’intégrer des jeunes de partout

Les étudiants qui quittent l’Afrique, l’Asie ou l’Europe pour venir étudier dans la Péninsule acadienne seront inévitablement confrontés à des réalités nouvelles. Il faut sans doute une bonne dose de courage à ces jeunes hommes et à ces jeunes femmes pour quitter leur proches afin de s’établir dans un pays aux usages et aux traditions ayant généralement très peu à voir avec ce qu’ils ont connu jusqu’alors.

Nadia Ouedraogo, étudiante au baccalauréat en Développement durable et zone côtière, habite maintenant à Shippagan depuis quatre ans. Jeune femme engagée, elle a été élue présidente de l’Association étudiante en avril dernier. Le sentiment de l’éloignement, cette jeune Sénégalaise l’a vécu.

«Au début, c’était compliqué. Ce n’était pas facile de quitter la famille et de ne connaître personne.»

En résidence, elle a cependant rencontré d’autres étudiants internationaux et un esprit de famille s’est développé. Par contre, Mlle Ouedraogo sait que des étudiants vont jusqu’à souffrir de la dépression, un problème qui s’est aggravé ces deux dernières années à cause des restrictions anti-COVID-19.

«Plusieurs, dit-elle, ont mal vécu l’éloignement familial, les multiples mesures sanitaires, le port du masque obligatoire en classe. Il n’y avait pas vraiment de vie commune. On devait même garder la distance à la cafétéria.»

Les résidences étudiantes sont définitivement un lieu de rencontre. Sedda Aoudj, une jeune Algérienne arrivée à Shippagan en janvier, admet que «les débuts… c’était un peu difficile, mais avec le temps on s’habitue, et en résidence, on se sent un peu moins seul.»

Mamadou Diallo, un étudiant en comptabilité originaire de la Guinée, a découvert la Péninsule acadienne en septembre 2021.

«Au début quand je suis arrivé, c’était trop de nostalgie. Je n’avais pas d’amis, j’étais nouveau dans la ville».

En classe, il a tissé des liens et tout s’est replacé. Il ne regrette plus son choix.

«Je trouve que Shippagan est bien. Il n’y a pas de problèmes comme dans d’autres villes. Ici, c’est calme.»

Joël Djombjou, un étudiant camerounais arrivé il y a sept mois, n’a pas trop été affecté par le changement de pays, et il s’est déjà fait une opinion des Acadiens qui, s’empresse-t-il de dire, «sont accueillants, gentils et ouverts». Néanmoins, ses amis sont issus de la communauté internationale.

Briser l’isolement

L’UMCS est consciente des difficultés vécues par les étudiants internationaux, que ce soit le choc culturel, le mal du pays ou l’adaptation à leur nouveau milieu.

Selon le doyen des études, Yves Bourgeois, l’UMCS est indéniablement au cœur de leur vie sociale. Pour cette raison, le campus tâche d’organiser des activités conviviales. À l’occasion de la prochaine coupe du monde de soccer, par exemple, on prévoit diffuser des parties sur grand écran, à l’amphithéâtre.

M. Bourgeois rappelle en outre qu’il y a une vingtaine d’années le campus organisait une soirée internationale. De la «Soirée» on est passé à la «Semaine de l’international». L’an dernier, l’événement a changé de nom: il est devenu «interculturel», une nuance importante, explique Nadia Ouedraogo, puisque la fête s’adresse à tous, y compris les «étudiants locaux».

Le doyen des études rappelle aussi que le travail à l’unisson du comité organisateur, des étudiants et de la cafétéria a permis la création d’une activité sans égal: les menus à saveur internationale.

«Une journée, on offre de la cuisine camerounaise, une autre, de la cuisine algérienne, etc.» Une réussite, selon lui. Et encore l’an dernier, des étudiants en ont profité pour paraître en costume traditionnel.

À peine établi à Shippagan, Mamadou Diallo a contribué à cette fête.

«L’an dernier, dit-il, j’y ai participé en tant que présentateur de la Guinée.»

Selon lui, découvrir la cuisine de différents pays, «permet d’échanger et de connaître les autres par la culture et la manière de se comporter».

Pour Joël Djombjou, tout événement qui rassemble porte ses fruits.

«Plusieurs m’ont dit qu’ils trouvaient la vie à Shippagan très ennuyante, mais le bowling, les petites fêtes organisées par l’Université rendent la vie assez cool pour les étudiants.»

Sedda Aoudj abonde dans le même sens. Elle conçoit qu’à Shippagan «il y a un mode de vie différent, un climat différent», mais à l’université elle trouve un «environnement bienveillant».

L’UMCS est parfois appuyée dans ses efforts par le Comité d’accueil, d’intégration et d’établissement des nouveaux arrivants (CAIENA). Sa directrice, Monika Mallais, explique toutefois que l’organisme n’est pas exclusivement destiné aux étudiants, bien qu’il puisse leur consacrer une certaine attention.

À l’occasion de la rentrée, le CAIENA a dressé un kiosque pour établir des liens avec les nouveaux venus, et il y a deux semaines une tournée du Village historique acadien fut organisée. Une vingtaine d’étudiants internationaux y ont participé.

Un rôle salutaire

Pour le doyen des études à l’Université de Moncton, campus de Shippagan, Yves Bourgeois, les étudiants internationaux jouent un rôle salutaire à Shippagan.

Ils sont «une masse critique d’étudiants dans nos programmes […] qui contribue aussi un éveil à l’interculturel» croit-il.

Les baccalauréats en administration des affaires, en Gestion de l’information, en Développement durable et zone côtière réuniraient la majorité des étudiants internationaux.

Les efforts de «recrutement» ont définitivement porté leurs fruits, affirme-t-il des études de l’UMCS. L’Université de Moncton fait la promotion des trois campus, mais, selon M. Bourgeois, le bouche à oreille aurait également contribué à la forte augmentation des inscriptions.

«Les étudiants qui font un parcours à Shippagan et qui sont diplômés, note-t-il, se font aussi «ambassadeurs»».

Logement, transport, culture… tout un dépaysement!

 

Les nouveaux arrivants qui débarquent à l’Université de Moncton, campus de Shippagan, doivent souvent partir à zéro, et les besoins essentiels (le logement, le transport, les revenus financiers) font partie de leurs premiers tracas.

Côté logement, l’université possède trois résidences (pour un peu plus d’une centaine de lits). Denise Haché, la directrice des services aux étudiants et du recrutement de l’UMCS, explique que l’université ne garantit pas aux étudiants internationaux des places en résidence, mais, en revanche, elle essaie de les «épauler» en ce qui a trait au logement en ville.

Résultat? «Tous nos étudiants ont du logement sur campus ou hors campus», soutient-elle avec satisfaction.

Mais une fois installé, il faut encore pouvoir se déplacer. Or, la plupart des étudiants étrangers n’ont pas les moyens de s’acheter une voiture et les transports publics font défaut dans la région.

Sedda Aoudj reconnaît que «tout le monde déplore l’inexistence de transports en commun».

Joël Djombjou, qui, comme Mlle Aoudj, n’a pas de voiture, a trouvé une solution peu coûteuse: louer un vélo.

Mamadou Diallo lui, n’a pas lésiné: «Cet été, j’ai acheté mon auto.» Depuis, il fait de petites escapades. «Des fois, les week-end, je sors, je me promène à Lamèque, Miscou, Inkerman…»

La vie hors-campus

Les étudiants internationaux parviennent-ils à tisser des liens avec la population locale? Le CAIENA travaille en ce sens.

«Quand on fait des activités, on les intègre avec des familles de la région et des personnes seules», résume Monika Mallais.

Lorsque le maire de Shippagan, Kassim Doumbia, aborde la question, il parle par expérience.

«Étant moi-même un ancien étudiant international (il est originaire de la Côte-d’Ivoire), j’ai eu à passer à travers les mêmes filets, et qu’est-ce que je leur dis? De ne pas se cloisonner entre eux: allez à la découverte, parce qu’ils sont tentés de rester entre eux, entre Africains et Magrébins.»

Selon M. Doumbia, si les étudiants étrangers veulent «optimiser leur parcours», ils doivent faire un effort pour comprendre l’histoire et la culture acadienne. Par contre, il sait que les étudiants ne peuvent pas s’impliquer dans la communauté autant qu’ils le voudraient parce que le travail et les études les accaparent.

Le doyen des études, Yves Bourgeois, tient lui aussi à encourager les rapports entre les étudiants internationaux et la population. Il reconnaît cependant que jeter des ponts ne va pas de soi.

«Très peu d’entre nous (les gens de la Péninsule) avons été dépaysés, confesse-t-il, et ce n’est pas facile de se mettre dans les souliers des autres (les étudiants internationaux).»

Nadia Ouedraogo constate, elle, que les rapports avec la population locale sont particuliers.

«Ce sont plutôt les grandes personnes qui s’intéressent à notre culture et qui nous interrogent. J’ai plus eu d’approche avec les personnes âgées.»

Il y a en outre les écarts culturels. Ceux-ci peuvent parfois choquer les arrivants, comme Mlle Ouedraogo.

«Je ne comprenais pas votre culture, et les réalités du Canada et de l’Acadie».

Elle rappelle, pour l’exemple, que les Sénégalais, contrairement aux Canadiens, «se font la bise» lorsqu’ils se croisent. Et il y a le tutoiement.

«Chez nous, on vouvoie les professeurs, les grandes personnes ou les gens qu’on rencontre. De voir les étudiants et les professeurs (de Shippagan) se tutoyer, c’était wow!… Je trouve ça bien; ça enlève une certaine barrière.»

Mamadou Diallo, pour sa part, aime bien les scènes maritimes.

«Je marche à pied à Shippagan pour profiter de la nature et de la mer. Dans mon pays (la Guinée), j’étais tout le temps au bord de la mer. Ici, ça me rappelle mon pays.»

Mais la communion avec Shippagan s’arrête aux paysages.

«Je n’ai pas d’amis acadiens. J’ai eu l’occasion de causer (avec des Acadiens) dans les classes, mais ça reste des connaissances.»

Malgré tout, il jette sur Shippagan un œil favorable: «la population est vraiment accueillante». Il se souvient d’ailleurs qu’avant sa venue, un ami lui avait un jour parlé de Shippagan et de l’Université de Moncton.

«Il m’a expliqué c’est quoi Shippagan, l’Université de Moncton, et il a aimé la ville.»

Aujourd’hui, M. Diallo est catégorique: il n’hésitera pas à passer le mot à d’autres, pour les inviter à venir y faire leurs études.

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