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Des débranchements au bon vouloir d’Énergie NB

Le 1er septembre, un employé d’Énergie NB se présentait chez Gaétane Paulin de Pointe-Canot, dans l’île de Lamèque, pour débrancher le courant. Motif? un compte en souffrance.

Gaétane Paulin, une femme qu’un accident de la route a laissée handicapée cinq ans passés, versait alors un montant mensuel à Énergie NB. Un oubli aura vraisemblablement conduit au défaut de paiement et à l’interruption de service.

La mésaventure de Mme Paulin a mis en évidence une curieuse pratique. Énergie NB se réserve le droit d’interrompre le courant, sans préavis, lorsqu’un compte est en souffrance depuis 30 jours.

Débranchement surprise

«On peut débrancher sans plus d’avis», a expliqué une préposée d’Énergie NB à l’Acadie Nouvelle en septembre. Est-ce régulier?

La Commission de l’énergie et des services publics (CESP), qui a un mot à dire sur les questions financières et la tarification de la société d’énergie, n’a cependant aucune autorité sur sa politique de débranchement.

«La Commission ne réglemente pas la politique de débranchement d’Énergie NB, en égard à ses clients qui font défaut de paiement de leur facture d’électricité», a indiqué une porte-parole de la CESP dans un courriel à l’Acadie Nouvelle.

Autrement dit, la loi provinciale sur l’électricité laisse le champ libre à Énergie NB. La compagnie d’énergie peut ainsi régler, comme elle l’entend, le cas des clients dont le paiement reste dû.

Elle peut aussi modifier à son gré la politique de rétablissement du courant des clients qui ont réussi à combler les retards de paiement. Elle peut, entre autres, exiger un dépôt de garantie complémentaire équivalant à deux mois de consommation d’électricité, une mesure parfois trop lourde pour être appliquée systématiquement.

Énergie NB cherche néanmoins à humaniser ses pratiques, a expliqué son directeur des communications, Marc Belliveau, à l’Acadie Nouvelle, vendredi. Il a rappelé que depuis dix ans, la société de la Couronne ne prive plus personne d’électricité durant la saison froide, du 1er novembre au 30 avril. Et lorsque la pandémie a frappé, en 2020, la politique de débranchement fut suspendue.

En va-t-il de même ailleurs au pays? L’Acadie Nouvelle s’est intéressée aux provinces de la Nouvelle-Écosse, du Québec et de l’Ontario pour voir quelles sont les politiques de débranchement en vigueur chez elles.

La Nouvelle-Écosse

Chez nos voisins de l’Est, une entreprise privée, la Nova Scotia Power, propriété d’Emera, est le principal fournisseur d’électricité. Comme c’est le cas au N.-B., une commission provinciale (la Nova Scotia Utility and Review Board) approuve ou rejette les demandes tarifaires d’électricité de la compagnie.

À la différence de la CESP, la commission néo-écossaise réglemente aussi la politique de débranchement. Le fournisseur d’électricité n’est donc pas toujours en mesure de débrancher qui il veut et comme il veut. Avant d’interrompre le courant chez un client en défaut de paiement, il doit lui servir un avis. La notification doit être expédiée par courrier douze jours avant l’interruption de service.

Au reste, la compagnie peut encore se montrer conciliante. Jacqueline Foster, conseillère aux communications chez Nova Scotia Power, a expliqué, par courriel, que lorsqu’il y a défaut de paiement, le fournisseur s’efforce de rejoindre ses clients par téléphone, par courrier ou par courriel. Un avis écrit peut aussi être laissé à la porte.

En outre, dit Mme Foster, il peut s’écouler plusieurs mois entre le premier contact et l’avis final de débranchement.

Nova Scotia Power participe aussi à certaines œuvres de charité. Le fournisseur d’énergie contribue annuellement une somme de 4 millions $ à différents programmes, nommément le HomeWarming et le HEAT Fund, qui est administré par l’Armée du Salut.

Le Québec

La Régie de l’énergie du Québec réglemente également les avis de débranchement. Hydro-Québec, avant d’interrompre le service chez les clients retardataires, doit leur faire parvenir un avis de retard de paiement. Les factures restent impayées? Un avis d’interruption suivra au bout de 16 jours. Neuf jours plus tard, le débranchement pourra être effectué.

Cependant la société d’État ne débranche pas les clients en défaut de paiement entre le 1er décembre et le 31 mars. Cendrix Bouchard, conseiller en communication chez Hydro-Québec, a expliqué, par téléphone, que cette période de grâce (le moratoire hivernal) peut se poursuivre en avril si le froid reste mordant.

D’autres accommodements peuvent être institués lorsque la situation le justifie. En 2020, la province fut secouée par la pandémie du COVID-19. À l’instar d’Énergie NB, Hydro-Québec a prolongé son moratoire. Cette année-là, le nombre de débranchements est tombé à zéro. En 2019, 50 000 foyers avaient subi cette politique.

Les clients éprouvés financièrement peuvent discuter avec Hydro-Québec, mais les termes proposés doivent demeurer «réalistes», a ajouté M. Bouchard, car les sommes dues doivent être recouvrées «par souci d’équité pour notre clientèle».

Hydro-Québec dessert actuellement 4,4 millions de clients.

L’Ontario

La fin du monopole d’Hydro-Ontario, en 1999, a ouvert le vaste marché ontarien à la compétition. Aujourd’hui, une soixantaine de fournisseurs d’électricité sont surveillés par la Commission de l’énergie de l’Ontario. Certaines règles auxquelles ces compagnies doivent se plier ont été conçues pour protéger les consommateurs.

Dans cet esprit, lorsqu’un client n’est plus en mesure de payer ses factures, le fournisseur doit proposer un plan de paiement. Des options doivent lui être offertes, entre autres un accord de paiements mensuels égaux. Dans l’impasse, le débranchement peut suivre. Toutefois il faut qu’un préavis de 14 jours soit donné avant l’ultime recours.

L’exemple français

Le principal fournisseur d’électricité de l’hexagone, la société Énergie de France (EDF), a été partiellement privatisée en 2004. Elle représente à elle seule 70 % du marché.

Encore récemment, EDF se réservait le droit de «couper le courant» des clients en défaut de paiement, une mesure qui affectait entre 200 000 à 300 000 foyers annuellement.

Toutefois, en avril la société d’énergie a délaissé cette pratique. Est-ce à dire que les «mauvais payeurs» ont désormais beau jeu? Nullement. Au débranchement, EDF a préféré la «réduction de puissance». Si la facture d’électricité reste impayée après moult démarches, le client verra le courant de son domicile réduit à 1000 watts (un kilowatt).

1000 watts permettent, grosso modo, la recharge d’un cellulaire, le fonctionnement d’un réfrigérateur et l’éclairage d’une petite pièce.

Dans la panoplie des moyens de persuasion, c’est un procédé moins brutal que le débranchement, une «pratique d’un autre âge» selon la fondation de l’Abbé Pierre, une organisation caritative reconnue en France.

Ce «service minimum», disent les agences 6médias et AFP, a l’avantage de ne pas prendre le client au dépourvu, puisqu’il peut «assurer l’essentiel».

Une solution exportable?

Les réductions de courant sont possibles parce que les domiciles français sont pourvus du «compteur communiquant» Linky, l’équivalent des compteurs «intelligents» qu’Énergie NB prévoit installer massivement le printemps prochain.

Une pratique similaire pourrait-elle être adoptée au N.-B.?

Dans une province éminemment rurale, des milliers de familles dépendent d’un puits artésien pour s’approvisionner en eau potable. La politique de débranchement d’Énergie NB peut donc rendre les résidences inhabitables, même en été.

Une limitation à deux ou trois kilowatts par jour pourrait-elle être envisagée sans que l’effet persuasif soit pour autant perdu? Cette alternative serait-elle préférable au débranchement, une mesure extrême, en particulier lorsqu’elle survient sans préavis?

À tout le moins, la situation financière des clients en défaut de paiement ne risquerait pas de s’aggraver outre mesure, puisqu’une consommation de deux ou trois kilowatts par jour n’ajouterait, au plus, qu’une douzaine de dollars à la facture mensuelle.

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