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Le rôle d’Airbnb dans la crise du logement au N.-B.

Nombreux sont ceux qui considèrent qu’un meilleur encadrement des locations temporaires offrirait une manière efficace afin de traverser la crise du logement qui secoue le Nouveau-Brunswick.

D’après la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), le taux d’inoccupation moyen des appartements au Nouveau-Brunswick au cours des 32 dernières années était de 4,99%.

Depuis quelque temps, l’accueil de plus en plus de gens venus de l’extérieur a toutefois créé une importante pénurie de logements dans la province.

En octobre 2018, le taux d’inoccupation des appartements au Nouveau-Brunswick est passé à 3,2%.

L’an dernier, il n’y avait que 1,7% des 38 625 logements locatifs de la province, soit 651, qui étaient inoccupés.

Pour Matthew Hayes, porte-parole de la Coalition pour les droits de locataires du N.-B., c’est donc une évidence qu’il faut réglementer les locations de logement à court terme offertes sur des sites tels que Airbnb ou Vrbo.

L’un des problèmes c’est que des logements entiers sont parfois offerts sur ces sites, dit-il.

«Plusieurs de ces logements sont dédiés à des personnes qui n’habitent pas dans la ville, des touristes de passage ou des personnes qui viennent travailler de manière ponctuelle», dit M. Hayes.

Une étude publiée il y a trois ans par David Wachsmuth, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en gouvernance urbaine et professeur à l’École d’urbanisme de l’Université McGill, semble confirmer que les locations temporaires peuvent avoir un impact important sur le marché de l’habitation.

Les résultats du chercheur ont par exemple montré qu’il y avait en moyenne 128 000 annonces quotidiennes sur Airbnb à l’échelle du pays en 2018. Plus de 31 000 de ces logements avaient été loués suffisamment de fois qu’ils avaient été complètement retirés du marché locatif à long terme.

L’offre de logement se voit alors appauvrie, ce qui exerce une pression à la hausse sur le prix des habitations, notait le professeur.

Logement à court terme au N.-B.

Le Nouveau-Brunswick n’a pas échappé à la tendance des locations à court terme. D’après le site InsideAirbnb, il y avait au cours des derniers mois plus de 3000 logements néo-brunswickois en location sur Airbnb. Près de 80% de ceux-ci seraient des logements entiers.

C’est dans la région de Moncton qu’on en retrouve le plus. Selon l’agrégateur de données AirDNA, il y avait 583 annonces Airbnb dans les villes de Moncton, Dieppe et Riverview lors du troisième trimestre de 2022.

Au cours du dernier mois, il y avait 322 offres de logements entiers à louer sur Airbnb à Moncton, Dieppe et Riverview, soit 2,3% des logements locatifs retrouvés dans ces municipalités.

M. Hayes estime que des règlements visant à limiter le nombre de jours par année pendant lesquels ces logements peuvent être loués auraient un impact positif sur le marché locatif à long terme.

«Ça ne va pas régler la crise du logement, mais ça aiderait beaucoup, dit-il. À Moncton, il y aurait des centaines d’unités remises sur le marché, c’est quand même énorme», lance-t-il.

Alex Forbes, directeur de l’aménagement du territoire et du patrimoine à la Ville de Charlottetown, est d’accord pour dire que les locations à court terme peuvent être problématiques quand les taux d’inoccupation sont aussi peu élevés. C’est la raison qui a incité cette municipalité insulaire à adopter des arrêtés municipaux afin de les encadrer.

«Les locations à court terme ont été blâmées pour beaucoup des problèmes de logement dans notre ville et ils y ont sans doute contribué. Si les taux d’inoccupation passent toutefois à 3% ou 4%, un seuil plus normal, les locations à court terme ont un impact beaucoup moins élevé sur le marché locatif.»

Locations à court terme: difficiles, mais pas impossibles à réglementer

De nombreuses municipalités canadiennes ayant réglementé les locations à court terme ont dû surmonter de nombreuses embûches pour y arriver.

Depuis quelques années, de nombreuses municipalités un peu partout sur la planète ont décidé d’instaurer des règlements afin de mieux encadrer les logements offerts à court terme sur des sites tels que Airbnb.

Vancouver, Toronto et Montréal figurent parmi les métropoles canadiennes ayant décidé d’en faire autant.

Depuis janvier 2021, les propriétaires de logements dans la Ville reine peuvent offrir des locations à court terme que dans leur lieu de résidence principale. De plus, une maison ou un appartement en entier ne peut être offert en location que 180 jours par année.

La mesure vise à éviter qu’un trop grand nombre de logements qui pourraient être loués à long terme ne soient retirés de ce marché.

Ces règlements n’ont toutefois pas été faciles à instaurer. En 2019, les arrêtés municipaux adoptés deux ans avant ont été contestés devant les tribunaux.

Le cas de Charlottetown

Il n’y a pas que dans les grands centres où les élus municipaux ont constaté que les logements temporaires posaient des problèmes.

Confrontée à de forts taux d’inoccupation, particulièrement pendant la saison estivale, la Ville de Charlottetown, sur l’Île-du-Prince-Édouard, a décidé d’entamer dès 2019 des démarches pour encadrer les sites comme Airbnb.

«Nous vivons une pénurie de logements abordables et il y a une crise du logement, explique Alex Forbes, directeur de l’aménagement du territoire et du patrimoine à la Ville de Charlottetown. En 2019, le taux d’inoccupation était autour de 0,5%, donc c’était une tempête parfaite. Certains locataires ont été victimes de rénovictions parce que des propriétaires décidaient de retaper leurs logements pour les louer sur Airbnb.»

La municipalité a toutefois pris son temps vu la complexité du dossier. Elle souhaitait notamment voir si les règlements instaurés à Toronto passaient le test des tribunaux.

«Nous sommes comparativement une très petite municipalité pour nous attaquer à un dossier aussi important, il s’agit d’un enjeu bien plus complexe que la plupart des questions de zonage dont nous nous occupons habituellement. On avait donc besoin de conseils d’autres municipalités, se souvient M. Forbes. Si Toronto et Vancouver ne réussissaient pas, comment pouvions-nous espérer le faire?»

En janvier, les élus municipaux de la ville insulaire ont toutefois adopté leur arrêté. Comme à Toronto, celles-ci ne sont désormais permises que dans les résidences principales des propriétaires. Au printemps, ceux qui ne respecteront pas les nouveaux règlements seront mis à l’amende.

Un travail complexe

L’élaboration des nouveaux règlements a toutefois été complexe et a nécessité considérablement de travail, raconte M. Forbes.

Dans un premier temps, la municipalité a fait appel à un professeur de l’Université McGill afin de comprendre l’impact qu’avaient les logements locatifs à court terme sur le marché de l’habitation de la ville. L’étude a, par exemple, montré que certains propriétaires avec plus d’un logement rapportaient annuellement plus de 400 000$ en revenu grâce à leurs locations.

Les élus ont aussi retenu les services d’une entreprise capable de traquer et identifier les propriétaires des logements qui utilisent des sites comme Airbnb ou Kijiji (il y en aurait plus de 50) afin de faire la promotion de leurs logements.

«C’est complexe parce qu’il faut savoir où ces logements sont situés. Qu’on soit à Halifax, à Moncton ou à Charlottetown, les employés municipaux n’ont pas les outils pour les trouver. Si on veut pouvoir faire la surveillance et faire appliquer ces arrêtés, il faut savoir combien de locations à court terme il y a sur le territoire et où elles se situent.»

Saint Andrews recule

La Ville de Saint Andrews sait comment il peut être difficile de réglementer les locations à court terme.

Il y a environ un an et demi, cette petite municipalité du sud-ouest du Nouveau-Brunswick songeait à encadrer l’offre de logements temporaires sur son territoire.

Comme à Charlottetown, cette communauté touristique connaît des difficultés en matière de logement, particulièrement pour ses étudiants.

«Il y a une crise du logement, sans aucun doute. Je ne crois pas que les Airbnb y contribuent de manière importante, mais ils y jouent un rôle, surtout l’été», analyse Paul Nopper, greffier de Saint Andrews.

Devant le tollé que ce projet a suscité auprès des propriétaires, la municipalité a toutefois décidé de reculer. De toute façon, il aurait été trop onéreux de faire appliquer un arrêté, croit M. Nopper.

Saint Andrews a tout de même adopté certaines mesures afin de perdre d’autres locations.

Des dispositions des arrêtés de zonage prévoient par exemple que les logements abordables ne peuvent être loués sur Airbnb. De plus, il n’y a que les maisons unifamiliales ou les immeubles à logement de moins de 5 unités qui peuvent être offerts en location à court terme.

Fredericton et Moncton en réflexion

En septembre, la Ville de Fredericton a décidé de lancer une étude afin de comprendre les impacts des locations à court terme sur son territoire. – Archives

En septembre, la Ville de Fredericton a décidé de lancer une étude afin de comprendre les impacts des locations à court terme sur son territoire.

Il y a deux ans, les élus municipaux de Moncton se sont eux aussi intéressés à la question et ont commandé un rapport à ce sujet, un document qui devait être rendu en avril de la même année. Depuis, le dossier a peu cheminé. D’après une porte-parole de la municipalité, le comité plénier du 28 novembre offrira une mise à jour sur cet enjeu.

D’après Service Nouveau-Brunswick, c’est aux municipalités à qui il revient d’établir les exigences en matière de zonage au sein de leurs communautés. La Loi sur la location de locaux d’habitation ne prévoit aucune disposition afin d’encadrer les logements offerts à court terme.

«Une goutte d’eau dans l’océan»

Une entreprise qui se spécialise dans la location de logements à court terme conteste l’idée que serrer la vis aux plateformes de location aura un impact sur la crise du logement.

Depuis que des sites de location à court terme comme Airbnb ont gagné en popularité, des entrepreneurs offrent leurs services afin de gérer ces locations.

À Moncton, certaines entreprises ont des dizaines d’annonces offrant des logements à court terme.

Rolay Rikah en compte par exemple 64 alors que Elbowroom Properties en a 27.

Invitée à expliquer si elle pensait que les locations à court terme contribuaient à la crise du logement qui secoue le Nouveau-Brunswick, Sarah Rose Short, propriétaire d’Elbowroom Properties, a dit croire qu’il n’en est rien.

«Il ne faut pas oublier qu’il y a plus de 13 000 logements locatifs dans la région de Moncton. Les logements à louer à court terme sur Airbnb représentent une goutte d’eau dans la mer, donc je crois qu’il est donc faux de prétendre qu’ils contribuent significativement à la crise du logement, c’est un enjeu bien plus complexe», dit Mme Short.

D’après elle, les locations de courte durée offrent un service essentiel pour des personnes nécessitant un logement de manière temporaire.

Les vacanciers ne représentent qu’environ 20% de sa clientèle, qui serait surtout composée de personnes de passage dans la région pour des raisons professionnelles ou afin de recevoir des traitements médicaux.

Au cours du dernier mois, il y avait 322 offres de logements entiers à louer sur Airbnb à Moncton, Dieppe et Riverview. – Archives

Plus payant

La fondatrice d’Elbowroom confirme avoir remarqué un intérêt grandissant de la part de petits et grands investisseurs de l’extérieur de la province pour l’immobilier à Moncton. Dans une vidéo diffusée sur internet, Mme Short a dit estimer que les locations à court terme permettent de faire 40% plus de revenus que les locations de longue durée.

Est-ce qu’il s’agit de la raison pour laquelle certains propriétaires préfèrent le court terme?

«On peut voir plus de profits, mais il y a plus de risques parce qu’il n’y a rien pour garantir que les logements sont loués, avance-t-elle, ajoutant que les grands investisseurs avec qui elle travaille détiennent généralement des logements loués à court et à long terme. Je crois que les investisseurs veulent surtout un portfolio d’investissement diversifié.»

Pour l’instant, Mme Short dit ne pas s’inquiéter qu’une réglementation sur les locations à court terme aille de l’avant à Moncton.

«Je n’ai pas vraiment d’avis sur la chose parce qu’il n’y a pas de mesures concrètes qui ont été proposées, dit-elle. Tout dépendra de la définition des locations à court terme, mais en ce moment ce n’est pas une inquiétude pour moi parce que l’on fait surtout du logement temporaire et non pas des locations aux vacanciers.»

Quoiqu’il arrive, Sarah Rose Short pense qu’il sera important pour les décideurs de garder en tête que des entreprises comme la sienne offrent un service essentiel pour une ville en pleine croissance.

«Nous avons beaucoup de nouveaux arrivants qui habitent avec nous le temps qu’ils trouvent un endroit permanent et nous avons des gens originaires de la région et qui habitent à l’extérieur et qui souhaitent revenir. Ils ont besoin de logements meublés de manière temporaire.»

«Autrement, ils sont obligés de rester à l’hôtel pendant plusieurs semaines, ce qui peut considérablement augmenter leurs coûts pour s’installer. Quand on regarde les besoins en matière de logement, c’est très complexe. Il faut du logement abordable, mais aussi du logement temporaire.»

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