NDLR: Un club-école des Hells Angels, les Red Devils, a ouvert son premier chapitre au Nouveau-Brunswick en janvier, à Shediac. Les bandes de motards hors-la-loi sont depuis longtemps dans la province. Les citoyens et les municipalités doivent s’y adapter.
Deux grands groupes de motards criminels opèrent au Nouveau-Brunswick: les Hells Angels et les Outlaws. Ils sont attirés par les ports, les autoroutes et les frontières, qui permettent l’importation de drogue par exemple.
Doit-on avoir peur des motards?
«Le Nouveau-Brunswick est en retard par rapport à Montréal, concernant la criminalité, croit le policier à la retraite du Service de Police de la Ville de Montréal, Ricky Gautreau. Ce qui est arrivé là-bas dans les années 1990 arrive ici. Agissons maintenant, sinon nous perdrons le contrôle.»
L’ancien membre de l’escouade Carcajou et de l’opération Printemps 2001, vétéran de la lutte contre les bandes de motards criminels, fait référence aux violences commises par ces gangs au Québec.
«La guerre des motards se fait entre motards, tempère-t-il. Ça arrive que des civils se fassent blesser par des balles perdues ou des explosions de bombes, mais un groupe de motards ne s’attaquera jamais à un honnête citoyen.»
Tout acte criminel a néanmoins des conséquences sur les communautés, selon l’agent des relations avec les médias de la GRC au Nouveau-Brunswick, Hans Ouellette.
«Même si vous faites partie du crime organisé, vous restez humain, souligne-t-il aussi. Tous les humains au Canada doivent respecter le Code criminel du Canada et on ne peut pas laisser les gens faire leurs propres règlements de compte. Sinon, ce serait l’anarchie.»
Affrontements
Or, la concurrence existe entre deux clubs de motards criminels au Nouveau-Brunswick. D’un côté se trouvent les Hells Angels et leur groupe-école, les Red Devils, ainsi que leurs alliés: les Bacchus et les Darksiders North Shore par exemple. De l’autre se trouvent les Outlaws et leur groupe-école, les Black Pistons.
Ces deux clans évitent de faire griller leurs saucisses sur le même barbecue. Et surtout de partager les marchés illégaux (drogue, armes, sexe, etc.). Ils se trouvent cependant sur le même territoire à Fredericton, par exemple. Il en a résulté plusieurs affrontements. CBC en a rapporté quatre de 2016 à 2018, sans en préciser les conséquences.
«Il y a entre 25 et 30 clubs de motards différents au Nouveau-Brunswick. Il y a beaucoup de chicanes au niveau de la rue avec les sous-groupes, parce que leur but est de devenir Hells Angels ou Outlaws», avance par ailleurs M. Gautreau
Il évoque la structure pyramidale des groupes de motards criminels: ceux qui travaillent sur le terrain (vendant de la cocaïne, par exemple) doivent une taxe aux clubs supérieurs qui en doivent une au groupe dominant, le nombre de membres diminuant à chaque palier hiérarchique.
«Ça en revient toujours à l’argent et au pouvoir, commente M. Gautreau. Quand tu es rendu Hells Angels ou Outlaws, tu es millionnaire.»
Affichage
Les archives médiatiques tendent à montrer que les Hells Angels ont dominé l’histoire des motards criminels du Nouveau-Brunswick depuis les années 1990. Plusieurs experts les considèrent d’ailleurs comme le club de motards criminels le plus puissant au Canada.
L’ouverture d’un chapitre des Red Devils à Shediac est leur dernière manifestation publique dans la province.
«Ça faisait déjà cinq ou six ans que les Red Devils étaient dans le coin. Mais là, ils s’affichent, indique M. Gautreau. Ils veulent que le monde sache qu’ils sont là. Il faut s’attendre à ce qu’ils ouvrent d’autres chapitres au Nouveau-Brunswick. Finalement, il y aura un chapitre des Hells Angels ici, dans pas longtemps.»
Il pense que ce groupe tente de renforcer sa présence dans la région après la fermeture par la police de son chapitre à Halifax en 2001. Le gang a déjà fait venir plusieurs de ses membres les plus importants, faisant partie des Nomads, en 2016 au Nouveau-Brunswick.
M. Gautreau estime que la Péninsule acadienne pourrait être une destination intéressante pour les Hells Angels, à cause de la présence de soutiens sur place et aux Îles-de-la-Madeleine. Il évoque aussi le port de Belledune.
Les petits ports – à l’échelle nationale – comme celui-ci sont moins surveillés par les forces de l’ordre et se protègent surtout grâce à des entreprises privées. Ils peuvent donc être plus vulnérables à la criminalité, selon les professeurs en criminologie des universités de Regina et St. Thomas, Rick Ruddell et Jean Sauvageau.
Or, les groupes de motards hors-la-loi utilisent le Nouveau-Brunswick comme un couloir pour faire circuler des marchandises illégales, grâce aux ports, aux autoroutes et aux frontières, selon un rapport de la GRC cité par les chercheurs, dans une étude de 2020.
Les armes des citoyens contre les motards
La visibilité des bandes de motards hors-la-loi provoque de l’inquiétude chez certains citoyens. Ceux-ci peuvent toutefois demander la fermeture d’un bunker grâce à une loi provinciale. Leur municipalité peut aussi prendre des arrêtés à cet effet.
Les Red Devils affichent leurs couleurs sur la rue Main de Shediac, près du centre-ville, en face d’une enseigne de restauration rapide.
«Je n’ai pas de réaction à ça, commente un employé du casse-croûte, qui veut rester anonyme. Les Red Devils ont beaucoup aidé les commerces locaux. Ils n’ont causé aucun problème.»
Celui qui affirme faire partie de la famille du propriétaire de la cantine indique toutefois que ses clients parlent beaucoup des nouveaux voisins.
«Certains citoyens ont fait part de leur inquiétude, témoigne le maire de Shediac, Roger Caissie. Ceux qui connaissent les Red Devils connaissent leur association avec le crime organisé. Ce n’est pas une bonne nouvelle. La Ville veut demeurer une destination de choix pour les touristes et les résidents.»
L’élu en est conscient: il n’y a pas de solution magique à l’encontre des bandes de motards hors-la-loi en démocratie.
«Comment faire pour alléger les inquiétudes des gens, au moins?, s’interroge-t-il. Nous y travaillons en collaboration avec la GRC et le gouvernement du Nouveau-Brunswick.»
Fermer un local
Le gouvernement de Shawn Graham a fait adopter la Loi visant à accroître la sécurité des communautés et des voisinages en 2009, pendant une vaste opération policière contre les Hells Angels, nommée SharQc.
«Cette Loi constitue un outil pour contrer l’usage habituel d’une propriété pour certains types de crimes, explique l’agente en communication du ministère de la Justice et de la Sécurité publique, Judy Désalliers. Elle permet d’ordonner la cessation des activités criminelles, l’enlèvement des fortifications et la fermeture d’une propriété, par exemple.»
Les crimes en question sont le trafic de drogue, la prostitution, le jeu d’argent, l’organisation d’infractions ainsi que la possession et l’entreposage d’armes et d’explosifs, par exemple.
Des enquêteurs peuvent en faire part à un tribunal civil pour exiger la fermeture de lieux, sans demander de condamnations criminelles. Ils ont donc besoin de preuves moins solides que devant un tribunal pénal, où la culpabilité des accusés doit se prouver hors de tout doute raisonnable.
L’ancien ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Hugh Flemming, a rendu la Loi encore plus efficace en 2022.
Il y a ajouté un article pour que les occupants d’une propriété visée par une plainte ignorent l’identité des délateurs (même si ces derniers doivent donner leur nom aux enquêteurs). Il y a aussi ajouté la présomption selon laquelle les crimes dans une propriété ont des conséquences négatives sur le voisinage.
«Les modifications permettent d’obtenir plus de preuves devant les tribunaux pour appuyer les plaintes», fait valoir Mme Désalliers.
Une professeure de droit à l’Université du Nouveau-Brunswick, Nicole O’Byrne, et un militant anti-pauvreté, Abram Lutes, ont jugé que ces modifications rendaient la loi trop expéditive, selon Radio-Canada. Ils craignent des décisions judiciaires fondées sur des preuves minces et la possibilité de profilage raciale et sociale.
Interdire les fortifications
Les maires peuvent aussi adopter des arrêtés pour prévenir l’installation de bunkers de bandes de motards hors-la-loi. C’est ce qu’a fait l’ancien élu de Saint-Antoine (un village inclus dans la nouvelle municipalité de Champdoré), dans le comté de Kent, Ricky Gautreau.
L’ancien policier a empêché la fortification des bâtiments dans sa collectivité en 2018. Il a justifié cette décision par la nécessité pour les pompiers et les travailleurs paramédicaux de pouvoir intervenir dans tout local.
«Au Québec, des villes ont pris des arrêtés comme ça après la guerre des motards [de 1994 à 2002]», raconte l’ancien membre de l’opération Printemps 2001, qui devait éteindre la flambée de violence.
C’est notamment le cas de la municipalité de Trois-Rivières. Elle a ainsi pu faire démanteler les persiennes blindées et les vitres à l’épreuve des balles d’un bunker des Hells Angels en 2002, puis faire retirer une enseigne lumineuse avec le logo du club en 2006.
En 2018, l’ancien conseil municipal de Saint-Antoine a aussi acheté l’ancien centre communautaire La Cachette, où des membres des Bacchus, des Red Devils et des Hells Angels avaient fait un barbecue.
«Il fallait faire quelque chose, parce que des citoyens avaient peur», commente M. Gautreau.
Sensibiliser la population
À Bathurst, c’est l’ancien maire Paolo Fongémie qui a exprimé des craintes en 2017, à cause de l’évolution d’un club de motards présent dans la collectivité: les Darksiders North Shore. Ceux-ci semblaient avoir resserré leurs liens avec les Hells Angels.
Comme de nombreux habitants les soutenaient, M. Fongémie a tenté une opération médiatique de sensibilisation. Sa municipalité a aussi annulé un festival de moto l’été suivant.
Bathurst a toutefois préservé le statu quo dans ses arrêtés. Les Darksiders North Shore s’y trouvent encore.
Révolte des citoyens à Petit-Rocher
Se faire justice soi-même. C’est la solution qu’ont prise les habitants de Petit-Rocher (dans la nouvelle municipalité de Belle-Baie) contre un groupe de motards. C’est une option criminelle en État de droit. C’est pourquoi le sujet est tabou dans le village, même si les événements datent de 1977.
L’Acadie Nouvelle et le site internet de l’Université du Nouveau-Brunswick, ont relaté cette histoire avec quelques divergences. Voici un résumé des faits qui se recoupent.
Un groupe de huit motards nommé les Dalton ont causé des problèmes aux habitants de la région Chaleur. Ils auraient fait de l’intimidation et participé à des bagarres.
À bout, des citoyens ont incendié le local des jeunes hommes et d’autres bâtiments, mettant plusieurs personnes en danger. Ils ont également détruit des motocyclettes et d’autres véhicules.
Des officiers de la GRC sont intervenus. Puis, des citoyens ont pourchassé les fuyards dans les bois, avant qu’ils se rendent aux autorités de nombreuses heures plus tard. Les forces de l’ordre n’ont inquiété aucun habitant.
Motards hors-la-loi, mode d’emploi
Les membres des groupes de motards hors-la-loi sont-ils des criminels ou des bonhommes amateurs de Born to Be Wild? Et quel est le lien entre motocyclettes et illégalité? Attachez votre casque et suivez-nous sur la piste glissante des motards criminels.
Il est difficile d’affirmer que toutes les bandes de motards hors-la-loi sont des groupes du crime organisé. Il se peut qu’elles soient parfois des clubs d’amateurs de motocyclette et de liberté, dont certains membres sont criminels.
C’est le constat qu’a fait l’expert du sujet à l’Eastern Kentucky University, Thomas Barker, dans un article scientifique publié par Springer en 2014.
Le chercheur a fait en revanche la liste de cinq groupes de motards hors-la-loi qui sont impliqués dans le crime organisé sans aucun doute: le Hells Angels Motorcycle Club, le Outlaws Motorcycle Club, les Bandidos Motorcycle Club, le Pagans Motorcycle Club et le Sons of Silence Motorcycle Club.
«L’exemple le plus notoire d’un club de motards hors-la-loi fonctionnant comme une organisation criminelle s’est produit à Montréal, où [un] chapitre Nomads des Hells Angels a tenté de monopoliser le marché de la drogue. [Sa] guerre de 1994 à 2002 [contre] les Rock Machine MC a fait plus de 150 morts, dont plusieurs victimes innocentes», a raconté M. Barker
Le Hells Angels Motorcycle Club et le Outlaws Motorcycle Club opèrent au Nouveau-Brunswick. Ils ont une hiérarchie précise dont le but est de gagner de l’argent, par le trafic de drogues notamment. Cette hiérarchie inclut des groupes-écoles (Red Devils et Black Pistons) et des clubs alliés (Bacchus, par exemple).
«Les clubs de soutien exécutent les tâches, y compris criminelles, du gang dominant, servent de sources de recrutement potentielles et fournissent de la chair à canon dans les guerres entre clubs, a précisé M. Barker. [Ils] donnent une partie de leurs gains illicites au gang dominant.»
L’intérêt du système pour les membres élevés dans la hiérarchie est de minimiser les risques d’arrestation, de blessures et de mort. Ils peuvent aussi se concentrer sur la distribution en gros des marchandises illicites et la création de connexions avec le crime organisé international.
«Le réseau d’une bande de motards hors-la-loi importante semble se concentrer sur l’amélioration de ses relations avec les gangs de rue et l’accroissement de son implication dans le marché des opioïdes ainsi que dans la cryptomonnaie et les casinos sur les territoires des Premières Nations», indique le Service canadien de renseignements criminels dans son rapport annuel 2022.
Moto et crime
Mais quel est le rapport entre motocyclettes et crimes? La réponse se trouve dans l’Histoire.
Les premiers clubs d’amateurs de deux-roues se sont créés au début du vingtième siècle. Puis, à partir de 1924, l’American Motorcycle Association (AMA) a donné des licences aux clubs de «motocyclistes responsables» des États-Unis. Seuls ces clubs pouvaient participer aux événements de l’organisme.
Après la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), des vétérans décompressant avec de bonnes doses d’alcool ont perturbé des événements de l’AMA dans des groupes de motards «hors-la-loi», c’est-à-dire non licenciés par l’association. L’un d’eux s’appelait les Boozefighters.
Un autre s’appelait les Pissed Off Bastards of Bloomington. C’est après sa dissolution qu’Arvid Olsen, un ancien chef d’escadron de l’armée de l’air, a participé à la création du logo et du nom des Hells Angels (une tête de mort ailée portant un casque de pilote), en 1948.
Une décennie plus tard, un groupe de jeunes d’Oakland en Californie ont adopté cette marque. Parmi eux se trouvait Ralph «Sonny» Barger. C’est lui qui a organisé le passage des Hells Angels de la criminalité contre l’ordre public au crime organisé dans le but de gagner de l’argent.