En 2020, la perte de productivité associée à la consommation de substances comme l’alcool ou les drogues a coûté 22,4 milliards $ (589$ par personne) à l’économie canadienne. Tel est le portrait qu’a brossé le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances dans son plus récent rapport.
Cette perte de productivité – soit la valeur du temps de travail perdu en raison de mortalité prématurée ou d’invalidité de longue et de courte durée – représente à elle seule plus de 45% des pertes liées à l’usage de substances psychoactives.
«Le fait que la perte de productivité est la principale catégorie de coûts montre bien que l’usage de substances n’est pas seulement une question de santé», affirme Adam Sherk, scientifique à l’Institut canadien de recherche sur l’usage de substances de l’Université de Victoria et l’un des responsables de l’étude.
«Les employeurs peuvent venir en aide à leurs employés en investissant dans des programmes de prévention, de réduction des méfaits et de traitement et en se dotant de politiques bienveillantes.»
À l’échelle canadienne, les coûts de perte de productivité en raison de la consommation de substances se sont élevés à 589$ par personne en 2020, ce qui représente une augmentation de 16,2% depuis 2007.
En ce qui concerne le Nouveau-Brunswick, on parle plutôt de 568$ par personne en 2020. Seulement trois provinces ont présenté des chiffres inférieurs, soit le Québec (422$), l’Ontario (540$) et le Manitoba (543$).
Pour ce qui est des autres coûts directs associés à la consommation de substances – ce qui comprend, entre autres, les programmes de dépistage de la drogue au travail, les programmes d’aide aux employés et les coûts administratifs des indemnisations des accidents du travail – le coût par personne dans la province (90$) est légèrement supérieur à la moyenne nationale (87$).
La directrice des communications corporatives chez Travail sécuritaire NB, Laragh Dooley, confirme que depuis 2011, il y a eu six réclamations où la consommation de drogues ou d’alcool a été considérée comme étant la cause d’une blessure. Cela peut comprendre la prise de médicaments en vente libre et les médicaments prescrits.
Elle a toutefois précisé que les incidents en lien avec les facultés affaiblies au travail qui n’engendrent pas de blessure ne sont pas signalés à l’organisme.
Si on inclut les coûts de soins de santé et ceux liés à la justice pénale, l’usage de substances a coûté 49 milliards$ à l’économie canadienne en 2020 (environ 1291$ par personne), ce qui représente une hausse de plus de 11 milliards$ entre 2007 et 2020.
Au Nouveau-Brunswick, le coût par personne attribuable à la consommation de substances en 2020 est de 1311$. Il n’y a que l’Ontario qui affiche des coûts plus faibles.
Un outil de réflexion
À la Maison Cap d’Espoir, un lieu de thérapie pour les adultes aux prises avec des problèmes de dépendance aux drogues et à l’alcool, on a récemment créé un outil de réflexion destiné aux employeurs afin de les sensibiliser au rôle crucial qu’ils ont en lien avec l’usage de substances psychoactives en milieu de travail.
À la base, l’endroit a mis en place un programme de thérapie cognitive comportementale de 28 jours.
Selon Marie-Claude Pichette, directrice de l’établissement fondé par le regretté homme d’affaires et philanthrope du Madawaska, Jean-Paul Ouellet, ce programme, réalisé à l’aide d’experts en dépendances, est l’un des plus à jour actuellement.
«On vise particulièrement les gens sur le marché du travail pour un traitement des dépendances, mais pas une période qui les place en arrêt de travail trop longtemps. On propose une thérapie efficace de 28 jours pour leur permettre de revenir à l’emploi plus rapidement.»
L’idée d’ajouter cet outil de réflexion est issue de discussions qui ont eu lieu entre la direction de la maison de thérapie et divers représentants d’entreprises au sujet de la consommation de substances psychoactives en milieu de travail, explique Mme Pichette.
«À force de discuter avec eux, ce qu’on avait comme réponse, c’est que les gens étaient plus ou moins sensibilisés à cette problématique. Dans la plupart des cas, les programmes d’aide aux employés sont confidentiels et les employeurs n’en savent pas vraiment plus.»
Selon elle, l’outil de réflexion servira à inciter les employeurs à s’engager davantage dans cette problématique, ce qui va plus loin que le simple fait de diriger les personnes à un programme d’aide aux employés.
«Les gens ont besoin d’être accueillis, compris et à l’aise de faire les démarches avec leur employeur pour aller vers un traitement de la dépendance (…) Les employeurs ont un rôle crucial dans le rétablissement de leurs employés.»
Pour Marie-Claude Pichette, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, il est plus que jamais important de développer des outils pour faire réaliser aux employeurs que des méthodes de rétablissement efficaces existent et que les personnes aux prises avec des problèmes de consommation doivent être accompagnées dans cette épreuve.
«Ça prend une culture d’ouverture dans les entreprises, car personne n’est à l’abri de développer des problèmes de dépendance. L’accompagnement de l’employeur doit se faire avant et au retour d’une thérapie.»
Le récent guide de réflexion est évidemment un outil parmi tant d’autres qui servent à aider les employeurs et leurs employés à naviguer dans ces eaux parfois troubles.
Le Centre canadien des dépendances et de l’usage des substances à sa propre trousse d’outil destinée aux gens œuvrant dans des métiers spécialisés. Il y a quelques années, le Conseil du Canada Atlantique sur la toxicomanie a fait de même.
Pour Marie-Claude Pichette, ces outils ont notamment comme objectif de briser les tabous liés à la consommation de drogues ou d’alcool en lien avec le travail.
«Ces tabous mènent souvent à l’isolement, ce qui fait que ça crée un cercle vicieux. On vit des émotions désagréables alors on va consommer pour se soulager. C’est efficace à court terme, mais après, on vit de la culpabilité, ce qui fait que l’on a encore des émotions négatives (…) C’est graduel la dépendance.»
La consommation d’alcool en tête de liste
Selon le rapport du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, plus de 40% du total des coûts liés à l’usage de substances (19,7 milliards$) étaient attribuables à l’alcool en 2020. Il est suivi du tabac (22,7%) des opioïdes (14,4%) et de la cocaïne (8,5%).
On estime qu’environ 60% des coûts attribuables à l’usage de substances ont découlé d’une consommation d’alcool et de tabac au cours des 14 dernières années. Toutefois, les coûts attribuables à l’usage d’alcool ont grimpé de plus de 21%, alors que ceux liés au tabagisme ont diminué de 20%.
C’est aux opioïdes qu’est associée la plus importante hausse des coûts par personne en termes de perte de productivité. Ils ont pratiquement doublé, passant de 69$ en 2007 à 139$ en 2020.
«Il y a beaucoup de consommation d’alcool, mais il y a beaucoup de consommation d’amphétamines qui a un peu le même effet que la cocaïne, mais elles sont faites de façon chimique et c’est moins dispendieux. On retrouve aussi beaucoup de co-dépendances, c’est-à-dire qu’une personne va consommer une drogue et l’alcool va aller avec», a mentionné la directrice de la Maison Cap d’Espoir.
D’après les données de 2020 du CCDUS, le cannabis a compté pour 2,4 milliards $ des coûts totaux attribuables à l’utilisation de substances, en 2020. Cela représente une proportion d’environ 5% par rapport aux autres substances.
De 2007 à 2018, les coûts par personne associés au cannabis ont augmenté de 15,8%. Ils ont toutefois diminué d’environ 9% entre 2018 et 2020, suivant la légalisation de l’usage récréatif de la substance, principalement en raison d’une diminution de 13,5 % des coûts judiciaires.
Par contre, on a remarqué que les coûts par personne en perte de productivité ont augmenté pour le cannabis (14,8 %).
Marie-Claude Pichette croit que la consommation de cannabis n’est pas souvent vue comme étant problématique.
«Des fois, on entend des gens dire qu’ils ont réglé leur problème d’alcool, mais ils disent qu’ils fument du cannabis pour se détendre. C’est un peu plus banalisé de ce que l’on entend de nos participants de notre programme.»
«Avec la légalisation, ça vient le banaliser encore plus. Comme c’est encore assez nouveau, on ne voit pas encore tous les impacts.»
De son côté, Me Rhéaume Perreault, avocat dans le domaine du droit du travail et de l’emploi, est persuadé que la légalisation du cannabis aura un impact sur le marché du travail, en ajoutant qu’il est possible que l’adoption d’une telle législation engendre une augmentation de la consommation au boulot.
Il a pris soin d’ajouter que, à l’instar de l’alcool, l’employeur peut l’interdire.
«Les employeurs sont encouragés à mettre en place des politiques reliées à la consommation de la drogue afin notamment de rencontrer leurs obligations en matière de santé et sécurité et de prévenir tout risque d’accident. Cependant, ces politiques doivent prendre en considération l’état du droit en matière de tests de dépistage.»
Les limites du dépistage
L’avocate et conseillère en santé et sécurité au travail, Me Chantal Lavoie, a écrit, en 2018 que les tests de dépistage sont des moyens utilisés en dernier recours et qui reposent sur un équilibre fragile entre les droits de gérance de l’employeur, la protection de la sécurité publique et les droits à la vie privée et à la dignité de l’employé.
Dans cette optique, elle a mentionné que l’employeur sera justifié de procéder à du dépistage «lorsque les objectifs qu’il poursuit par cette action sont légitimes et que le recours à ces tests est un moyen rationnel et proportionné pour atteindre ces objectifs.»
«L’employeur devra démontrer que l’atteinte aux droits fondamentaux de l’employé est minimale, car tout test de dépistage de drogue ou d’alcool constitue une violation du droit à l’intégrité physique et du droit de l’individu au respect de sa vie privée.»
Les tests de dépistage aléatoires ne sont pas toujours autorisés au Canada sauf dans des cas précis.
Selon Rhéaume Perreault, la jurisprudence a reconnu qu’un employeur pouvait exiger qu’un employé se soumette à un test de dépistage afin de vérifier sa capacité à effectuer ses tâches de façon sécuritaire dans des cas comme:
- un retour au travail après une longue absence en lien avec un problème de consommation;
- s’il a des raisons de croire que ce dernier est une source de danger pour lui-même ou pour ses collègues de travail;
- s’il a des motifs raisonnables de croire que l’employé est au travail avec les facultés affaiblies;
- à la suite d’un incident sérieux ou d’un accident;
- dans le cadre d’une entente de la dernière chance dans un cas de dépendance à la drogue ou à l’alcool;
- lorsque la réglementation le prévoit comme dans le cas des pilotes d’avion par exemple. Cependant, les tests de dépistage de la marijuana comportent encore des incertitudes.
«Selon certaines études, les traces de marijuana peuvent être dépistées dans l’urine jusqu’à cinq jours après la consommation de la substance, s’il s’agit d’un consommateur occasionnel, et jusqu’à six semaines ou plus s’il s’agit d’un consommateur régulier. Ainsi, il est parfois difficile de démontrer qu’un employé était sous l’influence de drogue au moment de l’administration du test», a expliqué Me Perreault.