Le ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra - La Presse Canadienne: Justin Tang
Protection des droits des passagers aériens: Ottawa promet plus de mordant
Le ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, promet d’imposer des amendes plus salées aux transporteurs aériens qui font subir des retards indus aux voyageurs et de simplifier le processus de plaintes avec des changements proposés à la charte de protection des droits des passagers.
Il a présenté lundi des modifications visant à donner plus de mordant au Règlement sur la protection des passagers aériens (RPPA). Celles-ci feront en sorte que les compensations seront la règle «par défaut», selon le ministre.
«La pandémie a montré qu’il y avait des lacunes dans le régime», a dit M. Alghabra en point de presse. Il a ajouté que la situation chaotique vue dans bien des aéroports l’été dernier et durant les dernières vacances des Fêtes a exposé clairement que des «échappatoires doivent être éliminées».
Les exemptions faisant en sorte qu’une compagnie aérienne n’a pas à verser d’indemnités aux voyageurs seront revues pour être «très limitées», a indiqué M. Alghabra. La nouvelle liste de ces exceptions n’a toutefois pas encore été élaborée et ne le sera qu’au terme de consultations.
Un nouveau régime d’ici la fin 2023?
Questionné à savoir quand les consommateurs canadiens pourront profiter du nouveau régime, le ministre a dit espérer que cela sera le cas d’ici la fin de l’année. Il a insisté sur le fait qu’une ébauche de la liste d’exemptions sera dévoilée «très bientôt», probablement «d’ici à l’été», et que la population pourra se prononcer.
Dans un premier temps, les changements proposés doivent d’abord être adoptés avec le projet de loi C-47 visant à implanter des mesures du budget 2022.
Présentement, le RPPA stipule que les transporteurs aériens n’ont pas à verser d’argent si les retards sont dus à des raisons de sécurité ou à des situations hors de leur contrôle, comme des conditions météorologiques. Les dédommagements, qui oscillent entre 125$ et 1000$, peuvent ainsi être évités.
Si des passagers veulent contester un refus de compensation, ils peuvent porter plainte à l’Office des transports du Canada (OTC), qui est toutefois aux prises avec d’importants arriérés.
À ce sujet, le ministre a fait savoir que les amendes maximales qu’une compagnie aérienne peut se voir imposer à la suite d’une plainte passeront de 25 000$ à 250 000$ avec les changements mis de l’avant.
Les modifications promises visent aussi à réduire le temps de traitement des plaintes à l’OTC. L’organisation n’aurait plus à résoudre ces dossiers par un processus d’arbitrage et pourrait, essentiellement, les gérer à l’interne.
La grève des 155 000 membres du principal syndicat de fonctionnaires fédéraux, l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), pourrait avoir une incidence sur la capacité d’Ottawa à s’attaquer à l’arriéré, a reconnu M. Alghabra.
«J’espère que les négociateurs vont pouvoir résoudre cela aussi rapidement que possible parce que (…) plus la grève durera longtemps, plus il y aura un impact longtemps», a-t-il dit.
À l’heure actuelle, l’OTC devrait traiter les plaintes en 120 jours et Ottawa veut abaisser cette norme à 90 jours. Or, sur son site web, l’organisation signale que l’examen d’un dossier peut durer plus de 18 mois en raison d’un volume élevé de requêtes. L’actuel arriéré est d’environ 45 000 plaintes.
Le Conseil national des lignes aériennes n’a pas tardé à exprimer son opposition aux changements annoncés par le ministre Alghabra.
«En imposant de nouveaux frais pour les réclamations des passagers soumises à l’Office des transports du Canada et en élargissant les exigences en matière d’indemnisation, le coût du transport aérien pourrait augmenter, menaçant l’accès, la connectivité et le choix pour les passagers», a prévenu, dans une déclaration écrite, le président et chef de la direction de l’organisation, Jeff Morrison.
Le Conseil national des lignes aériennes en a contre le fait qu’Ottawa veut permettre à l’OTC de refiler les coûts pour le traitement des plaintes qui lui sont adressées aux compagnies aériennes. À l’autre bout du spectre, l’organisme Option consommateurs salue cette mesure en soulignant son objectif d’incitatif.
«Ce qu’on souhaite (…) c’est que les transporteurs aériens traitent de façon adéquate les plaintes des consommateurs du premier coup plutôt que de renvoyer systématiquement les gens devant l’Office des transports, a expliqué en entrevue leur avocate, Sylvie de Bellefeuille. (S’)ils n’ont pas envie de payer pour ce système-là, ils devraient traiter les gens adéquatement dès le début.»
Le Bloc satisfait, le NPD et les conservateurs déçus
Sur la colline parlementaire, le partenaire de danse habituel des libéraux, le Nouveau Parti démocratique (NPD), s’est dit déçu de l’annonce de lundi, bien qu’il ait salué l’augmentation des amendes maximales.
«Jusqu’à présent, nous n’avons pas vu les amendes utilisées comme un outil efficace», a d’ailleurs critiqué le député Taylor Bachrach.
Celui qui est porte-parole du NPD en matière de transports estime que les dispositions proposées par les libéraux ne font que trop peu pour enrayer les échappatoires permettant aux lignes aériennes d’éviter de verser des compensations.
Les conservateurs estiment quant à eux que les mesures mises de l’avant par les libéraux «ne changer(ont) rien à la situation» des délais dans le traitement des plaintes et des retards récemment vécus dans les aéroports. «Le cauchemar de notre système de transport ne fait que s’aggraver sous le gouvernement libéral», a déclaré par écrit leur porte-parole en matière de transports, Mark Strahl.
Le gouvernement Trudeau pourra toutefois probablement compter sur l’appui du Bloc québécois, qui s’est réjoui d’«améliorations importantes» et d’un «changement de cap» quant aux ratés qui ont été vus depuis 2019, quand le RPPA est entré en vigueur.
Le député bloquiste responsable de ce dossier, Xavier Barsalou-Duval, a insisté sur «l’inversement du fardeau de la preuve», une avancée majeure à ses yeux. En effet, Ottawa signale qu’il reviendrait désormais davantage aux lignes aériennes de démontrer qu’elles n’ont pas à verser d’indemnités qu’aux consommateurs de prouver l’inverse.
«Ça pesait lourd sur les épaules des gens de devoir eux-mêmes tout documenter leur dossier alors qu’ils n’ont pas nécessairement l’information en main, a dit M. Barsalou-Duval. C’est la compagnie aérienne qui a l’information au complet sur la situation du vol, la météo, les problèmes de sécurité ou de personnel, de fonctionnement de l’avion.»