François Gravel, éditorialiste
La mort du Fonds du Nord
Le premier ministre Blaine Higgs a révélé dans son discours annuel sur l’état de la province son intention de fusionner les fonds de développement économique avec les autres programmes d’aide aux entreprises du gouvernement. En termes clairs, cela signifie que le fonds de relance du Nord va bientôt disparaître. Ce n’est pas une surprise.
Le Fonds de développement économique et d’innovation pour le nord du Nouveau-Brunswick ainsi que son petit frère, le Fonds de développement économique et d’innovation pour la région de Miramichi, sont les rejetons d’une longue série de projets spéciaux ayant tous le même objectif: permettre aux régions rurales du Nord de rattraper leur retard par rapport aux régions mieux nanties du sud de la province.
Les fonds de relance ont gagné en popularité grâce au progressiste-conservateur Bernard Lord, qui a mis en place un fonds de développement spécial de 25 millions $ pour la Péninsule acadienne.
Depuis, tous les premiers ministres qui ont suivi ont adopté, promis ou maintenu des plans semblables. Les montants ont varié. Les régions couvertes aussi. À un certain moment, la région de Kent a été incluse. Le Madawaska aussi. Un fonds spécifique a été créé pour la Miramichi, etc.
À la base, l’objectif était d’offrir une aide supplémentaire aux régions défavorisées. Selon ce concept, une entreprise pouvait se tourner vers les programmes habituels du gouvernement provincial, mais aussi profiter d’une aide additionnelle du fonds de relance.
Rapidement, cette vision est tombée à l’eau. Les fonds de relance sont plutôt devenus une sorte de guichet unique. Un entrepreneur qui appelait au ministère du Développement économique se voyait rediriger vers le responsable du fonds de relance de sa région.
L’aide d’appoint a cessé de se matérialiser il y a longtemps, si bien que les fonds de développement n’ont pas réussi à faire bouger l’aiguille.
Plus de 20 ans après le premier fonds spécial de 5 millions $ de la Péninsule acadienne, cette région et les autres qui l’entourent restent plus pauvres, avec une base économique moins diversifiée et un taux de chômage plus élevé que dans les centres urbains du sud de la province.
Malgré tout, les premiers ministres, tant progressistes-conservateurs que libéraux, de Camille Thériault à Brian Gallant, ont continué de miser sur ces fonds. Pourquoi?
Il y avait bien sûr des raisons politiques. Aucun de ces chefs n’a voulu donné l’impressionner d’abandonner ou de punir le Nord. Mais il y avait aussi une vision commune partagée par ceux-ci, soit celle que des régions comme la Miramichi, la Péninsule acadienne, la région Chaleur, le Restigouche et, dans une moindre mesure, le Madawaska, ont besoin d’une attention spéciale.
Cette vision a disparu en même tant que Blaine Higgs est devenu premier ministre.
Il n’en a d’ailleurs jamais fait de cachette.
Blaine Higgs ne croit pas en un Nouveau-Brunswick composé de régions urbaines et rurales, riches et pauvres, du Nord et du Sud, francophone et anglophone. À ces yeux, tout le monde doit être traité de la même façon et tant pis si cela fait des perdants.
Blaine Higgs a bien pris soin, pendant la dernière campagne électorale, de ne pas promettre de sauver le fonds Nord après sa date de péremption prévue, le 31 mars 2021.
S’il croyait en l’importance d’appuyer certaines régions, il aurait pu se servir de celui-ci pour, par exemple, investir dans le chantier naval de Bas-Caraquet.
Il ne l’a pas fait. Et il ne le fera pas parce qu’il ne croit ni au développement économique ciblé, ni au rattrapage, ni aux fonds de développement en tant que tels.
Blaine Higgs a déjà entrepris de préparer l’opinion publique à sa décision de mettre fin aux deux fonds de développement économique du Nord. «Je ne dirai pas: j’ai 30 millions $ et je vais simplement les dépenser».
Avec cette déclaration, le premier ministre tombe dans la désinformation. Rares sont les années où le gouvernement a dépensé la totalité des investissements prévus.
Aucun gouvernement n’a jamais vidé le fonds du Nord «simplement pour dépenser», comme tente de nous le faire croire le premier ministre. À titre d’exemple, en 2015-2016, le gouvernement libéral n’avait accordé que 14,1 millions $ en subventions sur les 25 millions $ promis. Fredericton avait expliqué l’écart par l’obligation de faire preuve de précaution avec les fonds publics.
En annonçant que toutes les demandes de toute la province seront évaluées selon les mêmes critères grâce à un guichet unique, Blaine Higgs envoie un message clair: les régions du Nord francophone et de la Miramichi ne méritent pas une attention particulière. Elles seront traitées comme toutes les autres.
De la musique aux oreilles pour tous ceux qui ont la conviction qu’investir dans le Nord, c’est du gaspillage.