François Gravel, éditorialiste
Des élections pour trancher
Le gouvernement Higgs est dans une situation intenable depuis la démission de Robert Gauvin.
L’annonce de la fermeture des services d’urgence, la nuit, de six hôpitaux situés dans des régions rurales a provoqué de vives réactions cette semaine. Aucune n’était plus attendue que celle du vice-premier ministre Gauvin.
Celui-ci fait preuve de courage en quittant le caucus progressiste-conservateur.
Les simples citoyens n’ont pas idée à quel point la ligne de parti est un outil puissant pour faire rentrer dans le rang des gens qui, normalement, dans la vie de tous les jours, ont pourtant une forte personnalité.
L’histoire est pleine de députés qui ont traversé la chambre pour accepter un poste de ministre. Ces opportunistes sont généralement punis par l’électorat.
Mais quitter sa famille politique pour une question de principe? Ce ne sont pas tous les politiciens qui sont capables de se tenir debout dans ces circonstances.
Or, M. Gauvin a été encore plus loin, vendredi matin.
Il n’a pas seulement abandonné son titre de vice-premier ministre et son ministère, quitté le Parti progressiste-conservateur et annoncé qu’il devenait député indépendant. Il a aussi brûlé les ponts avec le parti en accusant le premier ministre Blaine Higgs de ne pas défendre les citoyens.
Il a aussi soutenu que la réforme des hôpitaux constitue une attaque contre la ruralité.
Il a déclaré que son défunt père, l’ancien ministre provincial Jean Gauvin, ne reconnaîtrait plus son parti.
Surtout, il a affirmé que des progressistes-conservateurs l’ont contacté, ont tenté de l’intimider et ont joué la carte des rivalités régionales en lui laissant entendre que ce qui se produit à Caraquet ne devrait pas le concerner en tant que député de Shippagan-Lamèque-Miscou.
Robert Gauvin a dénoncé ces gens en livrant un vibrant plaidoyer sur la solidarité entre les communautés et sur l’importance de rallier les milieux ruraux, autant dans le Nord que dans le Sud. Un moment fort dont nous nous souviendrons longtemps.
Avec cette sortie de M. Gauvin, le gouvernement Higgs est désormais fragilisé.
Le Parti libéral a l’intention de déposer une motion de censure contre le gouvernement. Le Parti vert a décidé de l’appuyer. Même la People’s Alliance, censée être l’alliée indéfectible de M. Higgs, est en train de voir le vent tourner et laisse entendre qu’elle pourrait larguer le gouvernement.
De son côté, le premier ministre se retrouve avec essentiellement deux options aujourd’hui. Il peut laisser aller les choses, c’est-à-dire espérer que le député Gauvin bluffe, qu’il parle fort, mais qu’il n’ira pas jusqu’à voter contre le gouvernement.
À la lumière des événements d’hier, cela nous semble être un pari que M. Higgs a très peu de chances de remporter.
Le chef peut aussi conclure qu’il ne laissera pas un député indépendant décider de son sort et déclencher lui-même des élections.
Pour l’instant, M. Higgs semble privilégier la première option. Il déposerait ainsi un budget équilibré dans un mois et laisserait ensuite aux partis d’opposition l’opprobre de provoquer des élections.
La deuxième voie pourrait toutefois bien s’imposer.
Comprenons-nous bien. Cet éditorial n’est pas un appel à la chute du gouvernement ou au déclenchement d’élections anticipées.
Il représente toutefois un constat. Blaine Higgs est de plus en plus isolé. Ses appuis à la législature s’érodent de toutes parts.
Le premier ministre ne peut plus gouverner dans ces circonstances et encore moins mener à terme une réforme de la santé aussi importante que celle proposée.
À cela s’ajoute le problème de l’absence de représentation acadienne au sein de son caucus et de son conseil des ministres.
Le gouvernement progressiste-conservateur est dirigé par un premier ministre unilingue. Il se maintient au pouvoir avec un parti politique opposé aux droits des francophones et des Acadiens. Et il ne compte plus un seul député acadien dans son caucus.
Le premier ministre n’a pour cela que lui-même à blâmer.
S’il avait mis autant d’efforts depuis son élection à créer des liens avec les Acadiens et avec son vice-premier ministre qu’il n’en a mis à solidifier son alliance avec Kris Austin et à courtiser des politiciens de droite comme Andrew Scheer et Jason Kenney, la situation serait différente.
Si Blaine Higgs comptait plus d’antennes dans le Nord francophone, peut-être aurait-il compris bien avant le début de la crise que la mobilisation et la contestation n’allaient pas se limiter aux circonscriptions touchées. Il n’aurait pas placé son unique député acadien dans une situation impossible et menacé ainsi la survie de son gouvernement.
Il a plutôt traité son vice-premier ministre comme un pion.
Aujourd’hui, le pion est en train de mettre le roi en échec.