François Gravel, éditorialiste
Charest, le choix plus rassurant
Jean Charest poursuit sa quête pour devenir chef du Parti conservateur du Canada. Sa visite au Nouveau-Brunswick a servi à démontrer qu’il compte ici sur des alliés influents et fidèles, mais met aussi en lumière ses difficultés à soulever l’enthousiasme des militants, même en territoire ami.
Avec ses 10 circonscriptions, le Nouveau-Brunswick ne pèse pas lourd dans la course à la direction du Parti conservateur fédéral. Néanmoins, Jean Charest ne peut se permettre d’ignorer notre province.
Son principal adversaire, Pierre Poilievre, domine dans l’Ouest canadien. S’il veut espérer l’emporter malgré tout, M. Charest doit rafler les circonscriptions de l’Est, un peu comme Peter MacKay en Atlantique et Erin O’Toole au Québec lors de la campagne au leadership de 2020.
Jean Charest a visité au cours des derniers jours les trois principales villes du Nouveau-Brunswick (Moncton, Saint-Jean et Fredericton). Il s’est rendu aussi à Bathurst et à Néguac. Son équipe a diffusé sur les médias sociaux une photo de lui accompagné de son épouse avec en arrière-plan le pont de la Confédération.
Les activités auxquelles a participé M. Charest ont été à l’image de sa campagne jusqu’à maintenant: plutôt tranquilles. Il s’est surtout contenté de jouer la carte des liens qu’il a tissés dans la région, d’abord à l’époque où il était chef du défunt Parti progressiste-conservateur du Canada, puis ensuite à titre de premier ministre libéral du Québec.
L’ancien premier ministre David Alward et le ministre de l’Éducation Dominic Cardy étaient présents. Le chef de cabinet de Blaine Higgs, Louis Légère, y était aussi. Même chose pour le sénateur Percy Mockler et l’ancien ministre provincial Jody Carr.
Il est difficile de déterminer l’importance de cet intérêt de la part de ces grosses pointures conservatrices au Nouveau-Brunswick. Une course à la direction d’un parti se gagne à coups de militants. L’appui d’un ministre important comme Dominic Cardy peut être considéré comme prestigieux. Mais si cela n e vient pas avec une aide active sur le terrain, il ne représentera qu’un seul vote le jour fatidique. Rien de plus.
On devine aussi que ce serait plus simple pour le gouvernement Higgs de travailler avec Jean Charest qu’avec l’imprévisible Pierre Poilievre.
Ces appuis sont de bon augure pour la campagne de M. Charest.
Il était important pour lui de faire la démonstration que l’establishment du parti est dans son camp. En effet, aucun des quatre députés conservateurs fédéraux néo-brunswickois (Jake Stewart, Richard Bragdon, John Williamson et Rob Moore) ne l’a appuyé. De plus, le candidat Poilievre a fait la preuve en mars qu’il est capable de remplir des salles au Nouveau-Brunswick.
Ceux qui espéraient des engagements forts de M. Charest ont toutefois été déçus.
À l’Acadie Nouvelle, il a raconté ses souvenirs avec feu Elsie Wayne, Bernard Valcourt, Elvy Robichaud et quelques autres. Il s’est présenté comme étant un défenseur de la francophonie et a qualifié «d’extrêmement important» le «statut du peuple acadien».
Ça se gâte toutefois quand on essaie de comprendre ses positions de façon plus précise. Il a ainsi refusé de condamner la nomination d’une lieutenante-gouverneure unilingue au Nouveau-Brunswick et de se prononcer sur le jugement de la Cour du Banc de la Reine qui a décrété que le gouvernement Trudeau a agi de façon inconstitutionnelle en nommant Brenda Murphy à ce poste.
Il a pourtant été beaucoup moins timide quand il a été interrogé à propos de Canaport LNG de Saint-Jean, qu’il souhaite voir transformer en terminal d’exportation de gaz naturel. Le projet est évalué à plusieurs milliards de dollars. Parler d’énergie est plus payant que de parler de droits linguistiques dans cette campagne.
Pour le reste, la stratégie de Jean Charest consiste surtout à se présenter comme un choix modéré. En gros, les militants sont invités à se boucher le nez et à voter non pas pour leur candidat favori (Poilievre) mais plutôt pour le politicien plus susceptible de gagner des élections contre Justin Trudeau (Charest).
Ce n’est pas gagné. Des conservateurs qui ont fait ce pari avec Erin O’Toole en 2020 veulent aujourd’hui se faire plaisir et élire un candidat qui ne fait aucun compromis sur leurs valeurs, y compris les plus extrêmes.
Jean Charest est moins dangereux qu’un Pierre Poilievre qui attaque sans relâche les institutions (la Banque du Canada est sa plus récente cible). Mais cela risque bien de ne pas suffire pour remporter cette course où il n’est pas le favori.