François Gravel, éditorialiste
Viola Léger, bien plus que la Sagouine
Avec le décès de Viola Léger, nous perdons bien plus qu’une comédienne. C’est un peu une partie de l’âme de l’Acadie qui disparaît en même temps qu’elle.
Il y a de ces gens que l’on croit immortels, dans le sens qu’on ne peut pas imaginer leur décès et encore moins un monde sans leur présence. La reine Elizabeth II entrait dans cette catégorie. Viola Léger aussi.
Mme Léger sera bien sûr à jamais identifiée à la Sagouine. Il s’agissait du rôle de sa vie, qu’elle a magnifiquement interprété pendant presque un demi-siècle. Ce sont finalement des problèmes de santé qui l’ont poussé à se retirer de la vie publique. Sinon, ne doutons pas qu’elle aurait continué à fouler les planches, même à l’âge de 92 ans.
Les hommages ont fusé de toutes parts à la suite de l’annonce de son décès, samedi, et pour cause. Celle qui a interprété le mythique personnage plus de 3000 fois a marqué les générations.
Preuve de l’importance, mais aussi de l’unanimité qu’elle suscitait, aucun compliment à son sujet ne semble trop grandiose ou exagéré. Dans les dernières heures, elle a été qualifiée de grande dame de l’Acadie, de personne qui a contribué à l’épanouissement de notre peuple, de monument de la culture acadienne et de digne représentante de la force et de la résilience des Acadiens.
Tout cela est vrai. Et plus encore! «Elle incarnait plus qu’un personnage. Elle incarnait presque un peuple», a souligné avec justesse l’écrivaine Antonine Maillet, qui a non seulement écrit la pièce, mais a choisi Viola Léger pour incarner le rôle-titre.
À travers ce concert d’éloges, une seule fausse note. Le premier ministre Blaine Higgs a réagi plus d’une quarantaine d’heures après l’annonce du décès de Mme Léger, bien après tout le monde. Il a aussi gardé le silence sur les médias sociaux, se contentant de partager un communiqué de presse du gouvernement.
Viola Léger aimait l’Acadie et les Acadiens le lui rendaient bien, comme en fait foi notre sentiment de malaise collectif en 2013 quand le Pays de la Sagouine a voulu offrir le rôle à d’autres comédiennes. L’expérience n’avait pas duré…
Il faut dire que pour la plupart d’entre nous, Mme Léger ne faisait pas que jouer le personnage de la Sagouine. Elle était la Sagouine, comme plusieurs l’ont rappelé depuis son décès.
Cela s’explique par le brio de Mme Léger en tant que comédienne, bien sûr, mais aussi en raison de l’extraordinaire importance qu’elle a eue en tant qu’ambassadrice culturelle de son peuple.
La renommée de nos artistes va aujourd’hui bien au-delà des frontières de l’Acadie, comme en font foi Lisa LeBlanc, Salebarbe et combien d’autres connus à travers la francophonie canadienne et même au-delà. Les Hay Babies reviennent d’une tournée en France où ils ont attiré les spectateurs en grand nombre.
Il n’en fut pas toujours ainsi. En 1971, la culture acadienne était encore un secret bien gardé. En incarnant brillamment ce rôle exceptionnel sur des centaines de scènes, au Canada et ailleurs dans le monde, Mme Léger a donné une visibilité au peuple acadien et contribué à sa vitalité culturelle comme bien peu l’ont fait avant elle. Et elle l’a fait avec nos mots et notre réalité de l’époque, à travers le génie d’Antonine Maillet, un peu comme l’avait fait Michel Tremblay avec sa pièce Les belles-soeurs, produite et présentée pour la première fois trois années plus tôt.
Une autre Acadienne pourra-t-elle un jour jouer la Sagouine? Disons qu’il faudra attendre encore longtemps avant de même songer à le faire. On ne remplace pas une légende aussi facilement.
Dans une entrevue accordée à l’Acadie Nouvelle en 2012, Viola Léger s’était confiée sur ses limites, alors qu’elle avançait en âge. «Le souffle de la Sagouine raccourcit», avait-elle témoigné humblement, avant de préciser son intention de jouer «tant que j’aurai la santé».
Mme Léger et, avec elle, la Sagouine telle que nous l’avons toujours connue, a rendu son dernier souffle. Elle sera bientôt conduite à son repos éternel. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick doit lui offrir des funérailles d’État. Un hommage qui serait approprié pour une femme qui a consacré sa vie à représenter fièrement l’Acadie.