François Gravel, éditorialiste
Non aux bleuetières sans acceptation sociale
Le déboisement d’une partie de l’ancien champ de tir de Tracadie a été interrompu cette semaine, en raison de la résistance acharnée de citoyens. Tant mieux! Il est plus que temps que le gouvernement provincial consulte la population pour décider de l’avenir de ce territoire au lieu d’imposer ses vues.
L’ancien champ de tir de Tracadie, aussi surnommé camp militaire ou camp d’armée, est un gigantesque territoire sauvage au potentiel inexploité. Pendant des décennies, il a été bombardé par les avions de l’armée dans le cadre d’entraînements militaires. On ne peut pas s’y promener partout, en raison de la présence de mines et d’obus non explosés.
Les lieux appartiennent au gouvernement provincial depuis 1997. C’est lui qui a demandé à la Défense nationale d’utiliser son expertise afin de déboiser et de déminer le territoire.
Les travaux de décontamination et d’abattage ont repris plus tôt cette semaine afin de préparer le terrain en prévision de futures bleuetières. L’industrie voit cet endroit comme une potentielle mine d’or bleue. Fredericton partage cet avis et souhaite lui louer des terres pour qu’elles puissent être exploitées.
Or, l’ancien champ de tir est vu aussi par les amateurs de plein air de la région comme un paradis. Ils ne veulent pas le voir être remplacé par un désert bleu à perte de vue.
L’ennui est que le terrain ne leur appartient pas. Il a beau leur servir de «terrain de jeu», comme l’a imagé dans nos pages l’un des résistants, Raynald Brideau, le fait demeure que le dernier mot revient à Fredericton, qui peut en disposer comme il l’entend.
Les citoyens en sont donc réduits à tenter de sensibiliser la ministre de l’Agriculture, de l’Aquaculture et des Pêches, Margaret Johnson, à manifester pour attirer l’attention publique et à bloquer le passage aux abatteuses. La police est d’ailleurs intervenue plus tôt cette semaine afin de contraindre les protestataires à libérer la voie.
Tout ce beau monde a néanmoins gagné un sursis, jeudi, quand le gouvernement provincial a demandé au fédéral d’interrompre les travaux.
C’est la deuxième fois en un an que le scénario se répète, ce qui a fait dire avec justesse au député d’Acadie-Bathurst, Serge Cormier, qu’il souhaite que le gouvernement Higgs apprenne enfin de ses erreurs.
Nous sommes satisfaits que les travaux aient pris fin pour le moment. C’est une excellente nouvelle pour des manifestants à bout de souffle qui devraient sinon se battre pour protéger ces terres dans des circonstances difficiles, c’est-à-dire dans un secteur relativement isolé et en pleine vague de froid.
Ce n’est toutefois pas suffisant.
La ministre Johnson doit mettre en place un processus de consultation sérieux, avec les gens d’ici, afin de déterminer l’avenir du camp d’armée une bonne fois pour toutes.
Il est vrai que l’endroit est de propriété provinciale. Sauf que ce sont les résidents qui ont subi tous les désagréments qui venaient avec le champ de tir. Ce sont eux qui ont trouvé des mines dans leurs jardins. Ce sont eux qui ont entendu les bombes exploser tout près, sans avertissement, qui ont vu les avions de chasse survoler leurs villages et qui se sont battus pour que l’armée quitte enfin les lieux.
La moindre des choses serait qu’ils aient enfin aujourd’hui leur mot à dire et que la ministre prenne la peine de les entendre, au lieu de faire comme tant de ses prédécesseurs et imposer sa volonté. Il faut dire que tout ça part du premier ministre Blaine Higgs, lequel ne cache pas privilégier les intérêts commerciaux du géant néo-écossais Oxford Frozen Foods.
Nous ne sommes plus à l’époque de Bennett Environmental, à Belledune. Il faut un minimum d’acceptation sociale avant d’imposer le développement d’industries qui ont un impact sur le mode de vie des citoyens. Encore plus quand il est loin d’être clair, comme dans le cas des bleuetières promises, que la région profitera réellement des retombées économiques qui seront générées.
Un plan de développement récréotouristique appuyé par la population est sur la table. Fredericton doit l’étudier avec le même sérieux qu’elle accorde aux bleuets et aux forestières.