François Gravel, éditorialiste
Un choix insensible
Une règle d’or dans le monde des affaires est qu’il ne faut pas s’entêter dans l’erreur. À un certain moment, il faut savoir reconnaître son échec, comptabiliser ses pertes et passer à autre chose. C’est ce que Blaine Higgs aurait dû faire il y a longtemps avec son projet d’abolir l’immersion française. Même chose pour Justin Trudeau avec la nomination d’Amira Elghawaby.
Le 26 janvier, Justin Trudeau a annoncé que Amira Elghawaby deviendra la première représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie. Quelques heures plus tard, la nouvelle tournait au cauchemar de relations publiques pour le gouvernement.
Mme Elghawaby a rédigé, il y a quelques années, une chronique publiée dans un quotidien d’Ottawa dans laquelle elle affirme que la majorité des Québécois sont influencés par un sentiment antimusulman.
Déterminée à conserver un poste avec une fourchette salariale de 162 700$ à 191 300$, elle a depuis tenté de faire amende honorable en rencontrant le chef du Bloc Québécois Yves-François Blanchet, en présentant des excuses et en affirmant ne finalement pas croire que les Québécois sont racistes.
Tout cela n’a pas suffi à calmer la tempête. Le premier ministre Trudeau se retrouve donc dans une position où il doit défendre une représentante spéciale qui a perdu toute crédibilité dans la province où, selon les écrits de celle-ci, il y a pourtant le plus à faire pour lutter contre l’islamophobie.
L’indignation des Québécois est compréhensible. Elle devrait être partagée en Acadie.
Il y a en effet une raison pour laquelle Amira Elghawaby fait une fixation sur le Québec, et ça n’a rien à avoir avec sa loi sur la laïcité. C’est en raison de son caractère francophone.
En ce sens, elle rejoint des dizaines d’autres politiciens, commentateurs et pseudo-analystes qui voient les gestes racistes posés dans le Canada anglais comme étant des incidents isolés, mais qui voient ceux qui surviennent au Québec comme étant la preuve d’une tare qui habite le peuple.
Les Acadiens échappent généralement à ce traitement parce que moins visibles sur la scène nationale, en raison d’une faible population et d’une influence limitée. Le moindre soubresaut dans l’actualité acadienne suffit toutefois à libérer la parole et les critiques à notre égard.
Pour vous en convaincre et pour tout savoir sur la folle menace de la «frenchification» du New Brunswick, allez lire les commentaires des lecteurs à la fin des textes de CBC NB, sur le web. Vous pouvez aussi vous rappeler le fait que les nouveaux amis du premier ministre Higgs, au sein de l’Anglo Rights Association of New Brunswick, ont toléré il y a quelques années la diffusion sur leur page Facebook d’une caricature qui peignait la commissaire aux langues officielles comme étant une nazie.
Ce n’est pas tout.
Amira Elghawaby est également dans l’eau chaude à la suite d’un gazouillis méprisant datant de 2021. En réaction à une lettre d’opinion dans laquelle un professeur de l’Université de Toronto décrétait que les Canadiens français avaient été le plus grand groupe au pays à avoir subi le colonialisme britannique, elle avait répondu: «Je vais vomir».
Il s’agit d’une insulte à l’endroit de tous les francophones, mais en particulier des Acadiens, peuple qui a subi les affres de la Déportation aux mains de la Couronne britannique, mais aussi d’innombrables tentatives d’appauvrissement, d’isolement et d’assimilation.
Il est logique que le gouvernement Trudeau ne se soit pas arrêté à cette déclaration ni à ce qu’elle représente du point de vue acadien.
Après tout, c’est cette même administration qui a nommé en 2019 une lieutenante-gouverneure unilingue au Nouveau-Brunswick et qui se bat aujourd’hui devant les tribunaux afin de défendre cette décision. La présence des ministres acadiens Dominic LeBlanc et Ginette Petitpas Taylor au sein du cabinet ne change malheureusement rien au manque d’égard et surtout de sensibilité de ce gouvernement à l’endroit de l’Acadie.
Le poste de représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie n’est pas accompagné de pouvoirs punitifs. Le succès de ses efforts contre la discrimination dont sont trop souvent victimes les citoyens de religion musulmane dépend donc de la crédibilité du titulaire.
Nous ne joignons pas notre voix à ceux qui réclament purement et simplement l’abolition du poste. Nous croyons toutefois que le gouvernement Trudeau doit trouver quelqu’un d’autre pour l’occuper. Quelqu’un, idéalement, qui n’a pas l’habitude de «vomir» sur les épisodes les plus sombres de l’histoire des francophones et des Acadiens.