François Gravel, éditorialiste
Déconnecté de la réalité
Blaine Higgs a tenté d’épater la galerie en terminant son discours sur l’état de la province jeudi avec la chanson Should I Stay or Should I Go, un clin d’œil au flou qu’il maintient à propos de son avenir politique. Mais c’est plutôt le ton jovialiste d’un premier ministre déconnecté de la réalité qu’il faudrait plutôt retenir.
Le Discours sur l’état de la province est une tradition annuelle qui remonte au milieu des années 1970. Pour le premier ministre en poste, il s’agit d’un événement qui lui donne une belle visibilité pour commencer l’année.
Vous devinerez que le discours ne prend pas réellement la forme d’une analyse sérieuse et indépendante sur l’état du Nouveau-Brunswick. De Richard Hatfield à Blaine Higgs, les premiers ministres progressistes-conservateurs ou libéraux n’ont jamais fait dans l’autoflagellation. Devant un auditoire captif qui a payé le gros prix pour être présent, ils expliquent généralement que le Nouveau-Brunswick va bien grâce à leur vision et leur leadership.
Néanmoins, même en tenant compte de cette tendance, le discours de jeudi soir détonne. Rarement aura-t-on un aussi grand décalage entre le portrait peint par un politicien et la réalité sur le terrain.
Blaine Higgs est devenu l’équivalent politique d’une girafe. La tête est tellement éloignée du corps qu’elle ne perçoit plus ce qui se passe en bas, au niveau des pattes.
Rares sont les Néo-Brunswickois qui ont vu leur qualité de vie s’améliorer depuis l’arrivée au pouvoir de Blaine Higgs.
La COVID-19, l’explosion du coût de la vie (en particulier le prix de l’essence et de la nourriture), la crise du logement et les problèmes du système de santé sont autant d’éléments qui ont frappé la population de plein fouet au cours des dernières années.
Pendant ce temps, devant un parterre rempli de gens qui représentent une partie de l’élite de la province, M. Higgs a livré en anglais seulement un discours triomphaliste qui a débuté avec les mots «Ce soir, l’heure est à la célébration!».
Il a ajouté que la province n’est plus au bord du précipice et que «le sommet est à portée de main». Il a demandé à la foule de se lever afin d’offrir une ovation à «l’équipe Higgs», à son personnel et à son épouse.
Il s’est donné tout le crédit pour les surplus budgétaires, mais aussi pour l’augmentation de la population, du niveau d’emploi, des salaires et des exportations, même s’il a peu à voir avec tout cela.
Encore une fois, ce n’est pas inédit. Ses prédécesseurs ont tout comme lui pris le crédit pour les réussites de la province et blâmé les autres pour ses échecs.
M. Higgs se distingue toutefois du fait qu’il balaie du revers de la main les conséquences négatives de ses choix. La croissance démographique s’accompagne d’une hausse du coût des loyers qui s’accélère en raison de son refus d’imposer un plafonnement. Le remboursement de la dette publique se fait au détriment d’investissements dans nos infrastructures, en éducation et en santé, alors que l’amélioration du niveau de l’emploi vantée par M. Higgs est surtout le fruit d’une pénurie de travailleurs.
Bref, le Discours sur l’état de la province nous a surtout permis de constater une nouvelle fois à quel point le premier ministre Higgs vit seul sur sa planète.
Les critiques quasi unanimes contre sa volonté d’abolir l’immersion française dans le système d’éducation anglophone ont ainsi été réduites au rang d’un simple «désaccord» qui ne le poussera toutefois pas à changer d’avis.
Ayons une pensée en terminant pour les convives qui ont payé leur billet de 250$ à 300$ dans l’espoir d’en savoir plus sur l’avenir du premier ministre et qui ont dû se contenter de le voir danser maladroitement sur une chanson des années 1980.
Blaine Higgs a voulu faire preuve d’un peu d’humour. Il a plutôt été arrogant à l’endroit de tous ceux qui attendent qu’il se décide à propos de son avenir politique, y compris au sein de son propre parti. L’empereur danse pendant que Rome brûle.
M. Higgs s’est encore une fois vanté de «diriger autrement» et même, comble du ridicule, d’être à la tête de l’un des gouvernements les plus transparents au Canada!
Qu’il commence par annoncer s’il terminera son mandat de quatre ans et s’il sera candidat à sa réélection. Le suspens qu’il maintient artificiellement ne sert personne d’autre que lui, et certainement pas le Nouveau-Brunswick dont il prétend avoir les intérêts à cœur.