François Gravel, éditorialiste
Ouvrir la voie aux futures infirmières
Le recteur de l’Université de Moncton a causé la surprise, cette semaine, en lançant l’idée d’abolir les frais de scolarité pour les étudiants et étudiantes en sciences infirmières. Cette proposition ne doit surtout pas tomber dans l’oreille d’un sourd.
C’est en répondant à une question de la députée libérale Francine Landry, lors d’une audience à Fredericton, que le recteur Denis Prud’homme a révélé son souhait d’abolir les frais de scolarité de tous ceux et celles qui choisissent la profession infirmière. Il s’agirait selon lui d’une façon «très efficace» pour augmenter rapidement le nombre de candidats.
Il n’est pas clair si M. Prud’homme a lancé cette idée à la suite d’une question qui l’a pris de court ou s’il travaillait déjà en coulisses afin de vendre cette idée au gouvernement. Peu importe, nous croyons qu’elle a du mérite.
Le Nouveau-Brunswick est confronté depuis des années à une pénurie d’infirmières, mais aussi de médecins de famille, de spécialistes et d’à peu près tout ce qui existe en matière de professionnels de la santé. Tous ces gens jouent un rôle crucial auprès des patients.
Les infirmières sont toutefois réputées pour tenir à bout de bras le système de santé. Le fait qu’elles ne sont pas en nombre suffisant cause des problèmes qui iront en s’aggravant.
L’ancienne ministre de la Santé, Dorothy Shephard, a présenté en novembre 2021 une réforme de la santé. Nous avons vertement critiqué en éditorial ce plan, intitulé Un appel à l’action urgent, en raison notamment de son manque d’ambition. Il ne comprend à peu près aucune initiative visant à améliorer le recrutement et la rétention dans les hôpitaux. Un oubli inadmissible.
Pour certains, la solution facile serait de réduire le nombre d’établissements de santé dans la province, en particulier dans les régions rurales. De son côté, le gouvernement Higgs dégage depuis quelques années des surplus budgétaires pharaoniques, qui pourraient dépasser cette année la barre magique du milliard de dollars. Il hésite toutefois à investir la part du lion de ceux-ci dans les salaires ou des primes d’embauche, avec raison.
En effet, rien ne démontre que le Nouveau-Brunswick pourrait sortir gagnant d’une guerre des salaires avec les autres provinces ou États. Il y aura toujours quelqu’un en Amérique du Nord pour offrir une meilleure rémunération ou des primes plus alléchantes.
Cela dit, c’est un non-sens que tant d’obstacles se dressent sur la route de nos futures infirmières. Celles-ci doivent passer le fameux examen NCLEX, lequel a eu pour effet de réduire grandement le taux de réussite des diplômés et diplômées, ou encore se rendre à leurs frais au Québec afin de subir l’examen de cette province. C’est sans oublier les stages obligatoires non rémunérés et coûteux. Les stagiaires doivent en effet débourser des centaines de dollars pour leur uniforme, l’équipement, le stationnement, etc.
Il faut ouvrir la voie à ceux et celles qui choisissent la profession infirmière. Pas leur imposer une course à obstacles.
Une excellente façon d’y arriver serait d’éliminer les frais de scolarité et les frais de stage afin de rendre leur formation plus attrayante. Ce changement inciterait non seulement un plus grand nombre d’Acadiennes à se lancer dans cette profession, mais aurait aussi pour effet d’attirer des étudiants d’ailleurs au pays.
Cette façon de faire n’est pas inédite. Le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick a annoncé en mai 2021 qu’il offrait un nouveau programme d’assistant-préposé en soutien aux soins, dans le but de venir à bout de la pénurie d’employés dans les foyers. Du financement obtenu du Programme d’appui aux initiatives sectorielles du gouvernement du Canada a permis aux intéressés de suivre cette formation tout à fait gratuitement.
Une telle vision implantée au niveau universitaire coûterait des millions de dollars au trésor public néo-brunswickois. Il faudrait étudier l’impact sur les autres programmes offerts (la pénurie de personnel ne touche pas que le secteur de la santé) et mettre en place des pare-feu. Que faire par exemple des étudiants qui abandonnent leur formation gratuite après quelques années? Ou de l’étudiant québécois qui souhaite retourner chez lui aussitôt son diplôme en poche?
La pénurie de personnel en santé est un problème grave et récurrent. Il faut des solutions novatrices afin de pourvoir les innombrables postes vacants. Sinon, nous n’y arriverons pas. Nous invitons Fredericton à étudier la proposition du recteur Prud’homme afin de déterminer s’il est réaliste de la mettre en vigueur.